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Droit de la Protection Sociale
par Sébastien Millet

Financement de la prévoyance par les entreprises : à quoi faut-il se préparer ?


En matière de protection sociale complémentaire, deux mouvements convergents sont actuellement à l’œuvre, de manière « rampante » :

  • D’une part, le rabotage progressif des niches sociales et fiscales ;
  • D’autre part, le désengagement progressif de la Sécurité sociale et le transfert vers les assurances privées, notamment collectives, ce qui est très marqué en matière de frais de santé (cf. la loi de sécurisation de l’emploi du 16 juin 2013 qui prévoit la généralisation programmée des complémentaires santé dans les entreprises).

Deux dispositions sont actuellement en projet et s’inscrivent dans cette logique :

 

1. L’article 5 du projet de loi de finances 2014 prévoit de supprimer, pour les salariés, la déductibilité fiscale des contributions patronales versées pour financer les garanties de frais de santé, et de réduire en conséquence les limites de déductibilité dans le cadre de l’enveloppe « prévoyance ».

Concrètement, les salariés seront donc pénalisés sur le plan fiscal par cette mesure, qui s’appliquera de manière indifférenciée à toutes les garanties de frais de santé quel que soit le niveau de couverture et le montant de la contribution patronale allouée.

Les exonérations de cotisations de Sécurité sociale concernant les contributions patronales dédiées au régime de frais de santé ne sont pour l’heure pas remises en cause. La justification paraît claire : supprimer une niche fiscale jugée « inutile » dès lors que les garanties santé seront obligatoires dans l’ensemble des entreprises, à terme (à compter du 1er janvier 2016).

 

2. L’article 12 ter du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, qui vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale vient réactiver l’article L912-1 du Code de la Sécurité sociale relatif aux clauses de désignations dans les conventions et accord collectifs de branche, déclaré contraire à la Constitution (cf. Décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 et Décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013).

Motif, une atteinte à la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, disproportionnée par rapport à l’objectif de mutualisation des risques.

La parade imaginée consiste ici à remplacer les clauses de désignation par des clauses de recommandation d’un ou plusieurs organismes, plus souples et assorties d’une procédure de mise en concurrence des organismes ou institutions candidats, avec obligation de réexamen tous les 5 ans au plus tard.

En réalité, cette refonte sera beaucoup moins neutre qu’il n’y paraît car le choix de s’assurer auprès d’un organisme non recommandé aura de lourdes conséquences financières pour l’entreprise.

Seul l’œil avisé peut toutefois percevoir cette modification, d’ordre paramétrique (cf. articles L137-15 et 16 du Code de la Sécurité sociale).

Ainsi, dans le cas où une clause de recommandation sera prévue (pour les garanties de prévoyance et/ ou de frais de santé), l’entreprise aura le choix à compter du 1er janvier 2015 entre :

  • Soit adhérer auprès d’un organisme recommandé par la branche et bénéficier d’un forfait social réduit au taux de 8 % (entreprises d’au moins 10 salariés) ou d’une exonération (entreprises de moins de 10 salariés) ;
  • Soit se faire assurer auprès d’un opérateur non recommandé et payer le forfait social au taux de 20 % (entreprise d’au moins 10 salariés – cf. alignement sur le taux applicable aux contributions finançant les garanties de retraite supplémentaire), ou au taux de 8 % (pour les entreprises de moins de 10 salariés).

Le « haut niveau de solidarité » exprimé suffira-t-il à justifier d’une telle distorsion (12 ou 8 points selon les cas) ?

Or, non seulement le forfait social ne crée pas de droits nouveaux pour les salariés, mais il va mécaniquement renchérir considérablement le coût des couvertures de prévoyance pour les entreprises, au risque de les conduire à revoir leur niveau d’engagement ou à opter pour la couverture de branche, souvent moins avantageuse. Dans un contexte de crise où les trésoreries sont très tendues, les entreprises auront-elles réellement le choix ?

Rappelons qu’il s’agit d’un prélèvement obligatoire mis à la charge exclusive des employeurs ; autant dire que cela vient indirectement gommer les exonérations accordées en parallèle au titre des cotisations de Sécurité sociale. Peut-on encore parler de « niche » sociale ?

Sous réserve de l’adoption de ces dispositions et de leur éventuelle censure par le Conseil Constitutionnel, les arbitrages risquent d’être malheureusement douloureux, aussi bien pour les employeurs que pour les salariés …



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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