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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Comportements dangereux en entreprise, « tolérance zéro »


Dans le domaine de la sécurité, l’obligation de sécurité mise à la charge de l’employeur a tendance à occulter l’existence d’une obligation de sécurité incombant à chaque travailleur (C. Trav., L4122-1).

 

Il doit ainsi veiller à sa sécurité personnelle et à sa santé, mais aussi à celle des tiers (ce qui vise aussi bien ses collègues que des personnels extérieurs, des clients ou usagers ou encore des riverains ou du public).

 

Certes, la loi précise bien que cette obligation est sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur, qui dispose pour sa part du pouvoir d’organisation et de direction (pouvoir = responsabilité).

 

L’obligation de sécurité du salarié est quant à elle variable en principe selon :

  • Les instructions reçues de l’employeur,
  • Le contenu du règlement intérieur (s’il existe),
  • Sa formation,
  • Ses possibilités (ce qui dépend donc du contexte, de la nature des tâches à accomplir, des moyens mis à sa disposition, etc…).

 

Toutefois, face à des comportements dangereux (par action ou omission) commis dans l’entreprise, l’employeur se trouve d’une manière générale pleinement conforté aujourd’hui dans l’usage de son pouvoir disciplinaire.

 

Cela d’autant plus s’il a pris le soin d’intégrer dans le contrat de travail une clause de rappel de l’obligation de sécurité, puisque vient s’y ajouter un manquement contractuel direct.

 

C’est un fait notable, une jurisprudence se développe sur le terrain de l’obligation de sécurité du salarié, avec comme particularité d’admettre plus facilement ici la faute grave que dans d’autres domaines.

 

Le fil rouge de ces décisions paraît être l’admission d’une politique de « tolérance zéro » de la part de l’employeur, dès lors que le comportement du salarié -intentionnel ou non- implique une mise en danger d’autrui (collègues, tiers, usagers, etc.) et présente ainsi un caractère non excusable (à ne pas confondre ici avec la notion de faute inexcusable en droit de la Sécurité sociale).

 

Cette logique est cohérente avec la sévérité de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, mais également avec la définition de la faute grave. Celle-ci justifie le licenciement sans préavis ni indemnités (hors congés payés), et se définit comme la faute rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et nécessitant sa mise à l’écart immédiate de l’entreprise (c’est la raison pour laquelle il est recommandé de procéder à une mise à pied à titre conservatoire pendant la durée de la procédure).

 

S’il y a intention de nuire à l’entreprise, le comportement dégénère même en faute lourde, avec notamment perte des droits à portabilité concernant les garanties santé et la prévoyance et possibilité pour l’employeur d’engager la responsabilité financière du salarié ; mais cette qualification est très difficile à retenir. Attention car en cas de contentieux, « le doute profite au salarié »…

 

Plusieurs décisions récentes illustrent parfaitement cette sévérité à l’égard du salarié, qui tranche avec la jurisprudence habituelle où des « circonstances atténuantes » sont largement admises (ancienneté, absence de passé disciplinaire, etc.). Ici, les arguments ou explications avancés par le salarié ont au contraire peu d’impact, y compris lorsque le manquement constitue un fait isolé.

 

A noter que le salarié sera d’autant moins fondé à bénéficier d’une bienveillance des juges s’il a des responsabilités (cf. encadrement) et qu’il doit à ce titre faire preuve d’exemplarité.

 

En quelque sorte, la gravité est ici présumée et l’employeur peut être fondé à agir « pour l’exemple », à condition d’avoir un dossier et des preuves solides (tout l’enjeu est là).

 

Il faut considérer le pouvoir disciplinaire comme étant parfois malheureusement le « bras armé » de la politique de prévention et de sensibilisation du personnel. Cela d’autant qu’il convient également de ne pas laisser se développer des situations de « laisser-faire » qui inévitablement se retourneront contre l’entreprise.

 

Ont pu être ainsi récemment confirmés le licenciement pour manquement à l’obligation de sécurité :

  • D’un salarié ayant laissé son chien pendant trois heures à l’intérieur de son véhicule stationné sur le parking de l’entreprise et qui n’avait pas été en mesure de l’empêcher d’attaquer une salariée sur ce parking, la cour d’appel a ainsi caractérisé un manquement du salarié à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l’enceinte de l’entreprise, d’autres membres du personnel (faute grave – Cass. Soc. 4 octobre 2011, n° 10-18862) ;
  • D’une salariée qui, au cours d’une altercation avait tenu en direction d’une autre salariée un cutter dont la lame était sortie, alors même qu’elle se disait victime de stress et de harcèlement (cause réelle et sérieuse – Cass. Soc. 30 octobre 2013, n°12-20190) ;
  • D’un cadre responsable d’exploitation pour avoir en toute connaissance de cause différé la maintenance d’un équipement de travail pour des raisons de rentabilité et continué d’affecter plusieurs salariés sur le matériel non-conforme, et ce, en falsifiant des documents pour minimiser sa responsabilité (faute grave – Cass. Soc. 20 novembre 2013, n° 12-21941). Cet arrêt est certainement instructif pour la formation des managers, sachant que le fait que l’intéressé ait pu être soumis à des contraintes contradictoires n’a pas été retenu comme circonstance justificative compte tenu du caractère délibéré de son comportement.
  • D’un salarié membre de l’équipe de première intervention incendie au sein de l’entreprise, surpris en train de fumer dans un local présentant un risque d’incendie du fait de sa proximité avec des produits inflammables et d’une conduite de gaz (faute grave – Cassation sociale, 15 janvier 2014, n°12-20321). Cet arrêt est intéressant pour sa part eu égard au fait que le comportement pouvait être de nature à mettre en cause la sécurité des personnes, mais également des installations.

 

Point essentiel, peu importe que le comportement ici n’ait pas eu de conséquences dommageables.

 

Etant tenu d’une obligation de sécurité (de résultat) et de veiller personnellement à l’application des règles de sécurité, l’employeur a d’une certaine manière l’obligation de réagir pour faire cesser les agissements concernés et éviter en temps utile la survenance d’accidents. Typiquement, l’éviction du salarié fautif de l’entreprise constitue le moyen ultime, lorsque la prévention n’a pas suffi.

 

Le risque de mise en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur est généralement -et à juste titre- invoqué dans la justification du licenciement.

 

L’employeur doit toutefois se montrer particulièrement vigilant à bien respecter la procédure et le droit disciplinaire, qui recèle de nombreux pièges et autres subtilités.

 

A ce sujet, confondre vitesse et précipitation conduit souvent à de lourdes condamnations prud’homales pour des raisons de formalisme alors même que l’entreprise pouvait disposer d’un motif légitime…

 

* Article rédigé pour Preventica : www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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