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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

L'absence de "risque zéro" peut-elle atténuer la responsabilité en cas d’accident ?


L’adage bien connu, selon lequel « le risque zéro n’existe pas », renvoie à l’idée qu’« à l’impossible nul n’est tenu ».

En cas d’accident, le réflexe naturel est bien souvent d’invoquer cette absence de risque zéro, notamment en lien avec les aléas liés au facteur humain.

Quelle est la pertinence de cet argument et sa perception par les Juges ?

A cette question importante en pratique, la Cour de cassation vient de répondre de manière lapidaire (cf. Cass. Crim. 8 avril 2014, n°12-84653).

Dans cette affaire, l’employeur, qui exploitait une mine, était poursuivi en tant que personne morale  pour délit de blessures involontaires par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements applicables à son activité, suite à un accident de travail survenu à l’un de ses salariés, blessé par la chute d’un bloc de schiste consécutif à un tir de mine par explosif.

Outre l’inobservation de la réglementation sur la sécurité applicable aux travaux miniers (cf. prescriptions des articles 107 du Code minier et 131 du décret du 27 janvier 1959), il était reproché à l’entreprise de ne pas avoir procédé à une formation pratique à la sécurité ni organisé de manière rigoureuse au moyen de procédures et consignes adaptées, le travail des salariés dans un environnement dangereux (mines souterraines).

Pour sa défense, la société faisait valoir notamment qu’elle avait établi des consignes de travail de sécurité claires et précises pour réduire dans la mesure du possible les accidents du travail, et que le risque zéro ne peut être exclu lorsqu’un salarié ayant une responsabilité avérée de sécurité particulière ne respecte pas ces consignes.

En l’occurrence, l’un des salariés était chargé d’une opération de sécurité (surveillance des excavations susceptibles de se détacher) et avait reçu des consignes précises dans le cadre notamment de la remise d’un livret d’accueil. Il travaillait en outre avec un collègue particulièrement expérimenté.

L’employeur soutenait qu’il ne pouvait être jugé responsable du fait des manquements de cet opérateur qui étaient en l’occurrence la cause directe de l’accident, alors que ce dernier ne pouvait ignorer les risques et les diligences de sécurité à mettre en œuvre…

La Cour d’appel, sensible à cette argumentation, a prononcé la relaxe de l’employeur. Cette décision favorable sera toutefois cassée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, suite à un pourvoi de la partie civile.

Cette argumentation est ainsi balayée, en considérant « qu’en se déterminant ainsi, par des motifs contradictoires, alors qu’elle avait relevé que la cause directe de l’accident résidait dans le défaut de la mesure de « décalabrage » postérieure à un tir de mine, indispensable à la sécurité des mineurs, puis mis en évidence le manque de formation adaptée à la particulière dangerosité des travaux en cause ainsi que l’absence de consignes de travail précises et claires données préalablement à leur réalisation, la Cour d’appel, qui ne pouvait déduire l’absence de caractère fautif des agissements poursuivis de la prétendue faute commise par un autre ouvrier, de la distribution d’un livret d’accueil explicatif ou de l’inexistence du « risque zéro » impropre à exonérer la société prévenue de son obligation de veiller à la stricte et constante application des règles de sécurité, n’a pas justifié sa décision ».

Autrement dit, pour la jurisprudence, l’absence de risque zéro invoquée ne constitue pas un motif d’exonération, à partir du moment où des négligences ou imprudences sont relevées à l’égard de l’employeur.

Il en découle que :

  • La faute commise par un salarié (y compris la victime) n’est pas exonératoire pour l’employeur, à moins de démontrer qu’elle a été la cause exclusive de l’accident et que l’employeur n’a pu l’empêcher (dans ce cas on pourrait admettre la thèse de l’absence de risque zéro).
  • Cela peut donner à penser que l’employeur serait pénalement responsable du fait d’autrui, contrairement au principe général du droit pénal (cf. C. Pén. art. 121-1). Typiquement, la faute du salarié est en réalité considérée ici comme révélatrice d’une faute personnelle d’imprudence de l’employeur, par défaut d’organisation ou de diligence de la part de l’employeur, même si ce n’est pas la cause directe du dommage (précisons qu’en matière d’infraction non intentionnelle, la personne morale peut être responsable pénalement en raison d’une simple faute de négligence commise par l’un de ses organes ou représentants agissant pour son compte, sans exiger que cette faute soit « caractérisée » ou « délibérée »).
  • Le fait qu’une marge de risque subsiste du fait du comportement du salarié, en dépit des mesures prises, ne constitue pas pour l’employeur un cas de force majeure susceptible de l’exonérer au pénal. Dans le même sens, il a pu être jugé qu’un salarié négligent ou imprudent ne peut pas non plus invoquer la force majeure au motif d’une absence de risque zéro s’agissant des techniques utilisées (cf. Cass. Crim. 29 février 2000, n° 99-80724 dans le cas d’un accident pyrotechnique imputable à un chef artificier lors d’une manifestation publique).

Cela illustre l’influence qu’exerce l’obligation générale de sécurité jusque dans le domaine pénal, étant rappelé que selon une jurisprudence classique, l’employeur est tenu de veiller personnellement à la stricte et constante conformité avec les règles de sécurité dans l’entreprise et à leur mise en œuvre effective par le personnel.

Dès lors que des manquements sont relevés par rapport à cette obligation générale et/ou à des prescriptions particulières, les juges sont fondés à considérer qu’il est contradictoire pour l’employeur d’invoquer l’absence de risque zéro du fait d’un salarié.

La thèse de la « fatalité » peut même s’avérer risquée sur le plan de la stratégie de défense, laissant penser que l’employeur aurait une attitude laxiste en matière de prévention.

Du point de vue des Juges, c’est justement parce que tous les risques ne peuvent être éradiqués à la source qu’il faut les évaluer et définir des actions efficaces en termes de maîtrise des risques.

Il existe ainsi une logique commune avec la jurisprudence qui met à la charge de l’employeur une obligation de sécurité de résultat, et définit la faute inexcusable comme le manquement à cette obligation « lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

Sur ce terrain, il est toujours délicat d’invoquer l’absence de risque zéro sachant que les Juges peuvent estimer que compte tenu de sa qualité de professionnel avisé, de ses moyens et de son organisation, l’employeur aurait dû avoir conscience du danger d’exposition.

On notera à ce sujet qu’au travers de cette définition de la faute inexcusable, il a été choisi de raisonner en termes d’exposition à un danger (évènement déterministe) et non à un risque (évènement probabiliste), mais force est de constater que dans la pratique -y compris judiciaire-, ces deux notions sont souvent utilisées indifféremment bien qu’elles n’aient pas le même sens (ex : « risque zéro » et « danger zéro » ne se confondent pas forcément).

 

* Article rédigé pour PREVENTICA : www.preventica.com

 

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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