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Droit de la Protection Sociale
par Sébastien Millet

Toilettage du décret du 9 janvier 2012 : ce qui change à compter du 11 juillet 2014


Annoncé dans la foulée de la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013, le « toilettage » du décret du 9 janvier 2012 vient –enfin- d’intervenir.

Dans l’attente de plus amples précisions et commentaires, voici un premier décryptage en synthèse :

 

  1. Le décret n° 2014-786 du 8 juillet 2014 (JORF du 10 juillet)

Ce texte, dont les dispositions sont applicables à compter du 11 juillet 2014,  vient remanier certaines dispositions du Code de la Sécurité sociale relatives au caractère collectif des régimes complémentaires de retraite et de prévoyance ainsi qu’en ce qui concerne les possibilités de dispense d’adhésion dans le cadre des systèmes à adhésion obligatoire.

Autant dire que ce texte était particulièrement attendu puisque les entreprises avaient jusqu’au 30 juin 2014 pour mettre en conformité leurs dispositifs sur ces points … Vu des entreprises, il est légitime de s »interroger sur la « simplification » affichée. Ces décalages de calendrier sont d’autant plus regrettables qu’ils contribuent à alimenter l’insécurité juridique permanente, dans un domaine particulièrement complexe où la stabilité réglementaire serait la bienvenue.

Outre le risque URSSAF, rappelons que le domaine des complémentaires santé et de la prévoyance est en plein bouleversement et va continuer de nécessiter un important travail d’adaptation (cf. légalisation de la portabilité, refonte du contrat responsable, négociations de branche, couverture minimale généralisée, fin des clauses de désignation conventionnelles, négociation annuelle obligatoire, etc.).

Autant dire que les entreprises doivent donc surveiller de près ces questions, ne serait-ce que pour rester en conformité sur le plan juridique avec leurs obligations légales et conventionnelles.

Les enjeux sont considérables pour les employeurs et leurs salariés, bien au-delà de la question des exonérations sociales (qui focalise l’attention mais ne constituent jamais que la « face émergée de l’iceberg »).

Face à l’inflation des réformes et des exigences de formalisme juridique, deux approches sont classiquement possibles : soit subir, soit tenter de tirer parti des systèmes de protection sociale complémentaires, qui constituent il faut bien le considérer, des leviers pour les entreprises sur le plan économique et social. Pour cela, une bonne compréhension des mécanismes est nécessaire.

 

  1. Quels impacts en pratique pour les entreprises ?

Si le décret vient tirer les conséquences de la généralisation de la complémentaire santé en ce qui concerne les règles que doivent respecter les branches ou les entreprises qui instituent de nouveaux dispositifs de protection sociale complémentaire, quels sont les impacts sur les régimes existants ?

Rappelons qu’à l’origine, le législateur a imposé que les règles soient définies par voie réglementaire et plus par voie de circulaire administrative (cf. LFSS pour 2011 n° 2010-1594 d 20 décembre 2010, art. 17). Ce qui n’était censé concerner que la définition des « catégories objectives » a en fait été étendu aux critères du caractère collectif dans leur ensemble ainsi qu’aux dispenses d’adhésion dans le cadre du décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012. Ces dispositions réglementaires ont été abondement commentées par l’administration (Circulaire DSS/2013/344 du 25 septembre 2013) et l’ACOSS (lettre-circulaire de questions-réponses du 4 février 2014), dont certaines des interprétations sont en définitive reprises par le décret du 8 juillet 2014.

De fait, se pose également la question importante du sort des circulaires antérieures publiées par la DSS … Rappelons que si ces circulaires constituent une source importante de complexité, elles apportent également une certaine sécurité juridique puisqu’elles sont opposables à la Sécurité sociale (dans certaines conditions : CSS, L243-6-2). Encore faut-il qu’elles ne soient pas remises en cause par un texte légal ou réglementaire supérieur dans la hiérarchie des normes. Bien que l’on soit ici plutôt à droit constant, la question de l’abrogation implicite (totale ou partielle) pourrait éventuellement se poser, dans l’attente de la publication d’une prochaine circulaire …

 

a)     Ce qui change concernant l’exigence de caractère collectif des couvertures :

Tout d’abord, concernant les couvertures dites catégorielles, plusieurs aménagements sont prévus :

– Concernant l’utilisation du critère n°2, la volonté est clairement de cantonner l’utilisation de ce critère lié au niveau de rémunération qui, bien que légitimé sur le plan du droit de la Sécurité sociale, ne manque pas de soulever d’importantes questions en droit du travail … Ainsi, il s’agira dorénavant d’un critère exprimé en terme de seuil et non plus de tranche. Il ne pourra ainsi être fait référence qu’à un seuil de rémunération déterminé à partir de l’une des limites inférieures des tranches de rémunération définies par les régimes ARRCO ou AGIRC.

Egalement, dans l’objectif de limiter les régimes de retraite supplémentaire réservés de fait au top management, il  ne pourra être constitué de catégorie regroupant les seuls salariés dont la rémunération annuelle excède la limite supérieure de la tranche C (soit 8 PASS).

– S’agissant du critère n°3, il sera dorénavant fait référence non plus à l’appartenance aux catégories et classifications professionnelles ou interprofessionnelles, mais à la « place dans les classifications professionnelles ». A priori, cette formulation semble plus large (notons qu’il n’ait plus fait référence à des catégories) et devrait permettre de tenir compte de la très grande diversité de situations, ce qui avait donné lieu à des questions-réponses très fournies de l’ACOSS. La prudence reste toutefois de rigueur dans le maniement de ce critère, car le moins que l’on puisse dire est que ce changement sémantique est particulièrement ambigu et susceptible de donner lieu à des interprétations divergentes … L’avenir dira si l’administration entend ou non maintenir sa position sur le sujet. En toute logique, il ne saurait toutefois être question ici de faire rentrer dans le champ du critère n° 3 des catégories relevant du critère n° 4, pour lesquelles l’employeur ne bénéficie pas d’une présomption de conformité …

– S’agissant du critère n°4, les sous-catégories professionnelles pourront dorénavant être définies en référence au niveau de responsabilité, au type de fonction, au degré d’autonomie, mais également à l’ancienneté dans le travail des salariés (ce que l’ACOSS admettait déjà). A noter qu’il s’agit ici d’une notion d’ancienneté « dans le travail » et non pas dans l’emploi dans le sens où elle est généralement entendue.

– Enfin, le critère n° 5 (jusqu’à lors relatif aux usages constants, généraux et fixes en vigueur dans la profession) est élargi à l’appartenance au champ d’application d’un régime légalement ou réglementairement obligatoire assurant la couverture du risque concerné, ainsi qu’à l’appartenance à certaines catégories spécifiques de salariés définies par les stipulations d’une convention collective, d’un accord de branche ou d’un accord national interprofessionnel caractérisant des conditions d’emploi ou des activités particulières. La doctrine administrative est ici confortée (cf. ANI sur les VRP, etc.), même s’il faut rappeler que ce critère ne permet pas de bénéficier de la présomption de conformité et nécessite toujours une justification. 

 

S’agissant par ailleurs de l’exigence du caractère collectif appliquée aux contributions patronales, le décret prévoit dorénavant qu’en cas de mise en place de taux de cotisations croissant en fonction de la rémunération (cf. prestations de retraite supplémentaire, d’incapacité de travail, d’invalidité ou d’inaptitude), l’exigence d’une progression identique de la contribution salariale est remplacée par l’exigence d’une progression « au moins aussi importante ».

Deux tolérances administratives déjà admises sont également intégrées dans le Code de la Sécurité sociale :

  • D’une part, l’employeur est autorisé à financer la garantie des ayants droits si celles-ci présente un caractère obligatoire (cf. régime santé « famille obligatoire ») ; il peut dans ce cas être prévu la possibilité pour le salarié de bénéficier des même dispenses d’adhésion autorisées pour son conjoint que pour lui-même, toute celles de l’article R 242-1-6 étant applicables au conjoint, sans que cela ne remette en cause le bénéfice de l’exclusion d’assiette au titre des contributions patronales.
  • Pour les salariés multi-employeurs (sous réserve de travailler de manière régulière et simultanée pour le compte de plusieurs employeurs), il est dorénavant admis la possibilité que les différents employeurs conviennent par accord de se partager les quote-parts respectives de cotisation patronales, pour une garantie donnée.

 

b)     Concernant le caractère obligatoire et les dispenses d’adhésion.

Ces précisions étaient particulièrement attendues, à tel point que la DSS et l’ACOSS avait dû prévoir à titre de tolérance la possibilité pour les entreprises d’anticiper la publication de ce décret.

Point à retenir, la possibilité de permettre des dispenses d’adhésion au bénéfice des salariés sous CDD, des apprentis et des salariés à temps partiel à faible rémunération, est désormais élargie dans l’entreprise ayant recours à la décision unilatérale de l’employeur (DUE). Il s’agit là de l’apport principal du décret, qui vient ainsi corriger officiellement ce que d’aucuns considéraient comme une « aberration » majeure du décret du 9 janvier 2012 (dans la mesure où les entreprises ont majoritairement recours à la DUE et se trouvaient pénalisées alors que l’objectif d’une dispense n’est pas d’exclure les salariés concernés mais de leur laisser la possibilité de ne pas adhérer au régime). L’égalité est ainsi rétablie avec les 2 autres modes opératoires autorisés que sont l’accord collectif de travail et le projet d’accord ratifié par référendum.

Ce cas de dispense est également clarifié : afin d’éviter toute ambiguïté, il est bien précisé dorénavant qu’il s’agit d’un cas de dispense bénéficiant aux salariés bénéficiaires d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat de mission de plus ou moins 12 mois.

 

S’agissant des autres cas (limitatifs) de dispense, leur présentation est simplifié, sans remise en cause de leur mécanisme sur le fond. On notera que pour les bénéficiaires de la CMU-C ou de l’ACS, il est dorénavant prévu que la dispense ne peut alors jouer que jusqu’à la date à laquelle les salariés cessent de bénéficier de cette couverture ou de cette aide (il était auparavant fait référence à l’échéance du contrat individuel).

Le décret précise également que ces différents cas de dispenses s’entendent sans préjudice de l’application de la dispense prévue par l’article 11 de la loi Evin n° 89-1009 du 31 décembre 1989 pour les salariés concernés qui le souhaitent (= ceux employés par l’entreprise lors de la mise en place par voie de DUE et refusant de cotiser au système en matière de prévoyance), celle-ci étant applicable de plein droit. Il n’y a donc a priori pas là de « nouveauté » sur le fond par rapport à la circulaire DSS du 25 septembre 2013.

 

Concernant le formalisme, l’employeur devra en revanche impérativement veiller à ce que la demande de dispense porte la mention selon laquelle le salarié a été préalablement informé par l’employeur des conséquences de son choix (= la dispense prive le salarié du bénéfice des cotisations et des prestations en cas de sinistre). Cette exigence de bon sens au regard de l’obligation générale d’information et de conseil de l’employeur mérite donc, si besoin, de mettre à jour les formulaires-type mis à disposition par les entreprises. Rappelons en effet qu’il existe un contentieux important en la matière …

 

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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