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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

L’égalité professionnelle, nouvelle donne en matière de santé-sécurité au travail


Chaque année, la période estivale donne lieu à la publication de réformes sociales ; cette année ne déroge pas à cette règle avec la loi du 4 août 2014 n° 2014-873 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (JORF du 9 août).

Bien que ce ne soit pas l’aspect le plus commenté du dispositif, certaines de ses dispositions sociales visant à rendre plus effective l’égalité professionnelle concernent le domaine de la santé sécurité au travail.

Sans parler de rupture (le sujet n’est pas totalement nouveau), cela constitue néanmoins une évolution significative, en reliant plus étroitement le sujet de l’égalité professionnelle entre sexes avec celui de la santé-sécurité au travail.

  1. L’élargissement du champ de l’évaluation des risques

Dans le cadre de leurs démarches d’évaluation des risques, les entreprises devront dorénavant tenir compte de « l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe » (C. Trav., L4121-3 modifié).

Il s’agit là d’une évolution substantielle qui mérite quelques commentaires.

On peut tout d’abord s’interroger sur l’emploi du singulier (« l’exposition au risque ») alors qu’il est question d’évaluation des risques. Sans doute est-ce là la marque d’une volonté d’intégrer cette dimension de manière générale.

D’ailleurs, au-delà de cet aspect terminologique, il s’agit d’une obligation inscrite dans la loi (et non simplement dans les textes réglementaires relatifs au document unique – cf. C. Trav., R4121-1 s.).

Dans l’esprit, il s’agit donc de rendre cette approche systématique, et pas simplement ponctuelle sur certains risques. 
La méthodologie de démarche d’évaluation va devoir être adaptée en conséquence pour satisfaire à cette nouvelle exigence.
En arrière-plan, il en va de la responsabilité de l’employeur sur le terrain de son obligation de sécurité (de résultat), dont la portée se trouve ainsi élargie et renforcée.

Outre les risques qui en découlent, il s’agit incontestablement en pratique d’une nouvelle contrainte juridique qui ne facilitera pas la démarche des entreprises dans le cadre de la mise en place ou de la mise à jour de leur document unique.

En effet, une fois ce principe posé, la loi ne définit pas pour autant de mode d’emploi (elle est notamment d’application immédiate et ne prévoit pas de texte réglementaire d’application).

L’aboutissement de l’évaluation des risques étant la mise en place de mesures de prévention appropriées, cela devrait logiquement pouvoir déboucher sur des différences de traitement entre hommes et femmes en vue de corriger les écarts liés à des différences d’exposition.

Une difficulté se profile alors : quid du risque de discrimination ? La loi n’exclut pas la possibilité de discriminations à raison du sexe dans le domaine de l’hygiène-santé-sécurité, même si ce n’est pas leur terrain classique  (cf. l’adverbe « notamment » de l’article L1132-1)

« Positive » ou pas, la discrimination est contraire à l’ordre public et réprimée pénalement. La protection de la santé constitue bien entendu un objectif légitime, mais la loi n’autorise à prendre en considération ce motif qu’en ce qui concerne les différences de traitement fondées sur l’âge (C. Trav., L1133-2), et pas sur le sexe. Il peut toutefois être admis l’existence de différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (cf. C. Trav., L1133-1 et L1142-2).

Le sujet étant sensible, il est regrettable que la loi soit muette car elle crée une obligation sans l’accompagner d’une sécurité juridique suffisante. L’enfer étant bien souvent pavé de bonnes intentions, on peut imaginer la situation d’une entreprise se retrouvant « piégée » d’avoir pris des mesures de prévention différenciées : les salariés bénéficiant de mesures moindres pourraient invoquer la discrimination pour solliciter l’application des mêmes mesures (ou leur nullité), et à défaut, invoquer le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité pour obtenir une indemnisation …

Nouvelle obligation, nouveaux risques ; en bref, une certaine prudence est donc de rigueur dans la mise en œuvre de ce nouvel axe d’évaluation des risques professionnels.

Pour finir dans ce registre et en lien avec cette actualité, signalons que la jurisprudence vient de reconnaître que le non-établissement du document unique d’évaluation des risques constitue pour les salariés un préjudice réparable pouvant donner lieu au versement de dommages et intérêts (Cass. Soc. 8 juillet 2014, n°13-15474 et n°13-15470).

Dans ces deux affaires, l’employeur soutenait d’une part que faute de disposer d’indications et de précisions sur les substances ou préparations chimiques utilisées au sein de l’entreprise il n’était pas tenu d’établir un document unique d’évaluation des risques, et que d’autre part, l’exposition n’étant apparue que ponctuellement à l’occasion de travaux réalisés par certains salariés de l’entreprise suite à un sinistre, il n’était pas non plus tenu de tenir la liste des travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux prévus à l’article R4412-40 du Code du travail.
A tort selon les juges, qui rejettent de manière radicale ce type d’argumentation.

Quoique non surprenante au regard de la référence à l’obligation générale de sécurité de l’employeur (visa de l’article L.4121-1 du Code du travail), la solution n’en est pas moins inédite.

Elle est d’autant plus significative sur le principe que l’ensemble des salariés (en l’occurrence licenciés pour motif économique dans le cadre d’un PSE) ont été indemnisés à ce titre.

Au-delà du risque sur le terrain pénal, cet enjeu financier vient rappeler que l’évaluation des risques est un incontournable dans la gestion sociale de l’entreprise.

On peut toutefois s’interroger sur le point de savoir si la même solution aurait été rendue dans l’hypothèse non pas d’une absence de document unique, mais d’une évaluation insuffisante ou défectueuse.

  1. Le renforcement des informations du comité d’entreprise

La loi vient par ailleurs enrichir le contenu des rapports annuels d’information obligatoires au comité d’entreprise, selon que l’effectif est inférieur à 300 salariés (cf. rapport annuel unique – C. Trav. L2323-47) ou qu’il atteint ce seuil (cf. rapport annuel de situation comparée – C. Trav. L2323-57).

Jusqu’à présent, le rapport annuel d’information devait contenir une analyse de situation comparée des hommes et des femmes portant sur les conditions d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de rémunération effective et d’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale.

Pour les entreprises de 300 salariés et plus (cf. C. Trav., R2323-12 I 4°), ce rapport de situation comparée devait contenir des indicateurs relatifs aux conditions de travail incluant des données générales par sexe portant sur la répartition par poste de travail selon l’exposition à des risques professionnels, et la pénibilité (dont le caractère répétitif des tâches).

Dorénavant, et quel que soit le seuil d’effectif, le rapport annuel devra intégrer en plus, distinctement du thème des conditions de travail,  une nouvelle rubrique dans laquelle sera analysée la situation respective des femmes et des hommes en matière de sécurité et de santé au travail, et ce, pour chacune des catégories professionnelles de l’entreprise.

A noter que ces informations sont plus précises que celles devant figurer a minima dans la nouvelle base de données économiques et sociales –BDES- depuis le 14 juin 2014 dans les entreprises de 300 salariés et plus (cf. C. Trav. R2323-1-3, qui prévoit que l’information relative à l’investissement social de l’entreprise doit porter notamment sur les conditions de travail (de n-2 à n+3), thème dans lequel sont regroupées la durée du travail, l’exposition aux risques et aux facteurs de pénibilité, les accidents du travail et maladies professionnelles, l’absentéisme et dépenses en matière de sécurité). Autrement dit, la mise à disposition des informations minimales dans la BDES ne vaudra pas communication régulière au comité d’entreprise du rapport annuel.

Ces dispositions doivent également être articulées avec celles de l’article R2323-17  (bilan social) et de l’article L4612-17 du Code du travail (rapport sur l’hygiène et la sécurité du CHSCT), permettant par ailleurs au comité d’entreprise de disposer d’informations relatives au thème de la santé-sécurité dans l’entreprise.

Incontestablement, la nouveauté réside ici dans le fait d’aller plus loin dans la transparence à l’égard des représentants du personnel (sous peine potentiellement de délit d’entrave), en leur fournissant des informations analytiques, à la fois quantitatives et qualitatives sur la situation comparée des travailleurs masculins et féminins, venant compléter les informations dont ils disposent par ailleurs en matière de santé-sécurité.

Cela rappelle que contrairement à une idée reçue, le CHSCT n’est pas la seule instance compétence dans ce domaine, et qu’il ne faut pas négliger la compétence générale du comité d’entreprise (de même que celles des délégués du personnel), en veillant à bien articuler leurs interventions respectives en matière de procédures d’information et de consultation.

* Article rédigé pour Preventica : www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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