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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Les drones, nouvelle opportunité ou nouveau risque pour la sécurité ?


Pour les entreprises, l’utilisation de drones ouvre la voie à de nouvelles opportunités ; mais présente également un nouvel enjeu en termes de sécurité puisqu’il peut s’agir d’une source de menace externe potentielle (cf. les récents incidents liés à des survols illicites d’agglomérations ou d’installations sensibles relayés par les médias retiennent l’attention).

 

Les drones ne sont plus un simple jouet-gadget, et incarnent typiquement la perception ambivalente que l’on peut avoir face au progrès technologique : d’un côté, l’intérêt pour de nouveaux domaines d’applications (civils, commerciaux, militaires, etc.) ; de l’autre, la crainte liée au développement de nouveaux risques pour les droits ou la sécurité des individus.

La réglementation actuelle tente de concilier ces deux aspects, donnant un cadre juridique de liberté (très) encadrée.

Elle s’articule essentiellement autour de deux arrêtés du 11 avril 2012, « navigabilité/ opération/ télépilotage » d’une part et « espace aérien » d’autre part.

 

  1. Définition

Sans entrer dans le détail très technique de cette réglementation, précisons d’abord ce qu’est un drone, sachant que ce terme anglo-saxon n’a pas d’acception juridique : il s’agit d’un aéronef civil télépiloté et circulant dans l’espace aérien sans personne à bord.

Ces aéronefs se répartissent en 7 catégories de machines (A et B pour les aéromodèles destinés aux loisirs ou compétitions ;  C à G pour les autres aéronefs télépilotés sans personne à bord en fonction de leur poids et de leur capacité de charge, pouvant aller jusqu’à plus de 150 kg).

Cette réglementation graduée n’est toutefois pas applicable à certains équipements, tels que les ballons sondes utilisés pour les relevés atmosphériques par exemple.

 

  1. Exploitation

En-dehors de l’aéromodélisme, l’utilisation civile susceptible d’être faite par une entreprise s’inscrit :

  • Soit dans le cadre de vols expérimentaux ou de vols d’aéronefs prototypes ou permettant de développer une nouvelle technologie, qui nécessitent l’octroi d’une autorisation temporaire spéciale du Ministre chargé de l’aviation civile (dite de « laissez-passer »), après justification de respect de conditions techniques et de restrictions nécessaires pour la sécurité des tiers et des biens au sol ;
  • Soit dans le cadre d’activités dites « particulières », ce qui recouvre les activités suivantes en lien avec un travail aérien, à savoir selon l’article 3 a) de l’arrêté « navigabilité/ opération/ télépilotage » :
    • Les traitements agricoles, phytosanitaires ou de protection sanitaire et les autres opérations d’épandage sur le sol ou de dispersion dans l’atmosphère ;
    • Le largage de charges de toutes natures (ce qui est toutefois très limitatif compte tenu de l’interdiction du jet d’objets depuis un aéronef en évolution – cf. C. Trans. L6142-8 et L6131-3 ; précisons par ailleurs que le transport de marchandises dangereuses est ici interdit) ;
    • Le remorquage de banderoles ou toute forme de publicité ;
    • Les relevés, photographies, observations et surveillances aériennes (y compris la participation aux activités de lutte contre l’incendie) ;
    • Enfin, toute autre activité nécessitant une dérogation aux règles de l’air, ainsi que la formation à ces activités citées.

Ces activités particulières sont possibles, sous réserve du respect d’un important cahier des charges visant à assurer la sécurité des personnes et des biens, au sol comme dans l’espace aérien.

 

  1. Les obligations de l’exploitant

Le cadre réglementaire relatif à la conception, aux conditions d’emploi et aux capacités des utilisateurs repose sur un tronc commun d’obligations (cf. exigence d’un manuel d’activités particulières, formation, … ), et des règles spécifiques (cf. documents de navigabilité, autorisations particulières, … ) tenant compte à la fois :

  • De la catégorie de l’appareil ;
  • Du type de scénario opérationnel envisagé, selon que le vol se fait ou non en vue directe du télépilote, sa distance maximale avec l’aéronef, l’absence ou non de survol d’une zone peuplée et la hauteur par rapport au sol ou aux obstacles artificiels. Il existe ainsi 4 scénarios réglementaires, classés de S-1 à S-4.

A cela s’ajoute des obligations liées à l’utilisation et l’insertion de l’aéronef dans l’espace aérien, qui créent des servitudes. Ainsi, s’agissant des activités dites particulières, la hauteur de vol est limitée à 150 m au-dessus de la surface par exemple. Par ailleurs, certaines activités peuvent nécessiter de procéder à une demande spéciale de création d’espace aérien afin d’organiser une ségrégation de l’activité (à titre permanent ou temporaire) par rapports aux autres usagers.

Les applications relatives à la surveillance  ouvrent donc des perspectives intéressantes en matière de sécurité et de sûreté des entreprises, par exemple en matière de prévention des risques technologiques ou d’accidents majeurs (cf. applications possibles en matière de surveillance des établissements SEVESO).

Cela étant, les possibilités de prises de vues aériennes ou d’enregistrement d’images ou de données (thermiques, etc.) sont réglementées par l’article D133-10 du Code de l’aviation civile (ces activités particulières de relevés, photographies, observations et surveillance aérienne peuvent d’ailleurs relever du scenario opérationnel S-4, qui est le plus exigeant). Le pilote et son employeur doivent se renseigner sur le zonage et les interdictions applicables (sous peine de sanctions pénales – cf. délit prévu à l’article L6232-2 du Code des transports). Tout enregistrement hors de la partie visible du spectre électromagnétique (infrarouge notamment) est soumis à demande d’autorisation préalable, tandis que dans les autres cas, une procédure obligatoire de déclaration administrative préalable est prévue.

En tout d’état de cause, s’ajoute à cela la protection de la vie privée des tiers, sous peine de sanctions civiles et pénales pour l’exploitant. Ainsi, le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui au moyen d’un procédé quelconque sans son consentement est puni, pour les personnes physiques, d’une peine principale d’an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende : soit en captant, enregistrant ou transmettant des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; soit en fixant, enregistrant ou transmettant l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé (C. Pénal, art. 226-1 – à noter que la loi permet de présumer le consentement des personnes lorsque les actes ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’elles s’y soient opposés, à condition qu’elles aient été en mesure de le faire, ce qui semble par définition difficile de concevoir ici).

 

  1. Les diligences de sécurité de l’exploitant

La réglementation prévoit un principe de responsabilité de l’exploitant de l’aéronef, à qui il incombe de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des tiers.

Ces diligences de sécurité réglementaires sont nombreuses et très détaillées par le 1er arrêté du 11 avril 2012 (cf. Annexe II), telles que :

  • Identification des risques liés aux opérations et définition des moyens de prévention (NB : cela n’exonère pas de respecter les obligations du Code du travail relatives notamment à l’évaluation des risques professionnels pour les intervenants -cf. obligation de sécurité de résultat de l’employeur- et la coordination de la sécurité en cas d’intervention d’entreprises extérieures) ;
  • Elaboration, mise à jour, dépôt et mise à disposition du personnel télépilote d’un manuel d’activités particulières (MAP) définissant notamment les conditions de sécurité de l’exploitation et la répartition des rôles au sein de l’entreprise (encadrement, etc.);
  • Compétences, licences et formation continue des télépilotes, dont la liste doit être dressée ;
  • Respect des conditions techniques d’utilisation du constructeur ;
  • Interdiction d’utiliser l’aéronef en cas d’anomalie détectée avant le vol ;
  • Préparation des opérations à partir notamment des cartes aéronautiques et de l’information aéronautique ;
  • Aménagement d’une zone de protection de l’opération au sol (périmètre de sécurité pour la protection des tiers et éviter les interférences) et respect de distances minimales par rapport à l’aéronef (30 m en principe) ;
  • Procédures de suivi de la sécurité et désignation d’une personne responsable ayant des pouvoirs suffisants ;
  • Maintien en état de navigabilité ;
  • Déclarations administratives diverses ;
  • Souscription des polices d’assurance de responsabilité civile nécessaires ;
  • Etc.

Dans le cadre du scénario opérationnel S-4, l’exploitant et son donneur d’ordre (client) doivent, après analyse conjointe des risques pour les tiers au sol ou en vol, définir les mesures de sécurité ainsi que leurs responsabilités respectives et les mesures de surveillance de l’exploitant par le donneur d’ordres.

 

  1. Les responsabilités

L’exploitant est défini comme la personne (morale ou physique) responsable de l’organisation ou de la pratique de l’activité particulière.

Sa responsabilité est première compte tenu des obligations mises à sa charge ; toutefois, elle n’exclut pas celle d’autres personnes, sachant que la notion d’exploitant doit être distinguée :

  • De son donneur d’ordres ;
  • Du propriétaire de l’aéronef ;
  • De son télépilote (= « personne qui a le contrôle de la trajectoire de l’aéronef télépiloté » ; sa responsabilité consiste à assurer la sécurité du vol vis-à-vis des tiers et des biens).

Sur le plan civil, en cas de dommages, les règles de responsabilités sont définies par le Code des transports (cf. L6131-1 et s.), et distinguent selon que les dommages sont occasionnés :

  • En vol à un autre aéronef (cf. application des principes du Code civil sur la responsabilité pour faute, du fait des choses, ou du fait du préposé) ;
  • Aux personnes et aux biens à la surface (dans ce cas il s’agit d’une responsabilité de plein droit de l’exploitant du fait des dommages causés par les évolutions de l’aéronef ou les objets qui s’en détachent, sauf preuve –hypothétique- d’une faute de la victime).

Vis-à-vis des tiers victimes, le propriétaire est solidairement responsable avec l’exploitant lorsque celui-ci lui a loué l’aéronef (toutefois, lorsque la location a été inscrite au registre d’immatriculation, le propriétaire n’est responsable que si le tiers établit une faute du propriétaire – C. Transp., L6131-4).

Sur le plan pénal, signalons entre autres que la non-conformité en matière de conditions de sécurité et de navigabilité constitue un délit puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende maximale de 75000 euros pour les personnes physiques (C. Trans., L6232-4).

Le non-respect de la réglementation peut constituer en outre, pour toute personne impliquée, un élément :

  • de l’infraction de blessures ou d’homicide involontaire (cf. C. Pén. art. 222-19 et s. ; art. 221-6 et s.) en cas d’accident corporel lié à l’utilisation d’un drone ;
  • de l’infraction de mise en danger délibérée d’autrui en l’absence d’accident (cf. C. Pén. art. 223-1 et s.).

 

En conclusion, ce cadre sécuritaire est d’évidence particulièrement complexe pour les exploitants soucieux de mener leurs activités de manière conforme. De fait, les entreprises souhaitant utiliser cette technologie préfèreront probablement recourir à des prestataires spécialisées, pour des raisons de coût et de maitrise des risques.

Cela étant, on ne peut qu’être frappé du décalage entre ces exigences sécuritaires très poussées et le fait que paradoxalement, ce cadre reste très libéral (notamment concernant l’achat de matériels et d’équipements). L’histoire est jonchée d’exemples qui imposent de se demander si finalement le cadre juridique et les moyens de contrôle existant sont bien adaptés face aux nouvelles menaces et potentialités d’actes de malveillance que présente l’utilisation de toutes ces technologies « grand public ». A ces enjeux émergents en termes de sûreté/ sécurité correspondent de nouveaux questionnements, par exemple en matière d’études de danger ou de capacités techniques d’interception et leur encadrement légal.

 

* Article publié sur www.preventica.com

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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