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Droit de la Protection Sociale, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Licenciement abusif : attention aux risques indirects en matière de prévoyance !


Le licenciement est l’acte de résiliation unilatéral par lequel l’employeur procède à la rupture du contrat de travail.

Cette mesure emporte certaines conséquences en matière de droits à protection sociale complémentaire, qu’il est nécessaire de bien connaître.

 

  1. Les conséquences du licenciement proprement dit

La rupture du contrat de travail a pour effet de faire sortir le salarié du périmètre du groupe assuré dans le cadre du contrat collectif souscrit par l’employeur. Conséquence, si l’ancien salarié peut continuer à être indemnisé au titre d’un sinistre né antérieurement à son départ, en revanche, tout fait générateur postérieur le prive en principe de la mise en oeuvre des garanties du contrat de l’entreprise.

Il existe toutefois certains tempéraments à cette règle.

En matière de prévoyance (risque lourds), l’assuré qui se trouve déjà indemnisé par l’organisme assureur de l’entreprise au titre de l’incapacité de travail (maladie) avant son départ et qui « bascule » en invalidité après la rupture de son contrat, peut prétendre au bénéfice des garanties du contrat de son employeur alors même qu’il n’est plus membre du groupe assuré. En retenant la notion de « prestation différée », la jurisprudence fait ici une extension de la règle de l’article 7 de la loi Evin au cas de rupture du contrat de travail (Cass. Civ. II 17 avril 2008, n° 07-12064 et 07-12088). Encore faut-il que l’assuré puisse démontrer que son classement en invalidité est bien consécutif à la maladie dont il était atteint avant son licenciement (cf. Cass. Civ. II 18 février 2010, n° 09-12825, affaire concernant un licenciement pour inaptitude consécutive à des fait de harcèlement moral).

Surtout, les salariés dont la rupture du contrat de travail ouvre droit à l’assurance chômage bénéficient d’un droit au maintien temporaire –et sans contrepartie de cotisation- de leur couverture complémentaire de prévoyance et/ou de frais de santé (cf. CSS, L911-8).

Ce dispositif de « portabilité » inscrit désormais dans la loi (qui peut ensuite être relayé par le maintien « loi Evin » des garanties santé – cf. loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 4), doit être mentionné dans le certificat de travail du salarié.

Or, pour en bénéficier, le salarié doit avoir ouvert ses droits dans le ou les régimes de l’entreprise, avant la date de rupture de son contrat de travail (entendons ici de la date de cessation du contrat de travail, et non de la date de notification de la décision, à moins que celle-ci n’ait d’effet immédiat ; par exemple en cas de faute grave ou de faute lourde).

 

  1. Les conséquences souvent insoupçonnées du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Voici quelques illustrations de situations dans lesquelles la remise en cause du licenciement peut avoir des conséquences pour l’employeur au-delà de l’indemnisation classique de la perte d’emploi (et qui sont autant de postes de préjudice spécifiques non soumis au barème de plafonnement des dommages et intérêts prévu par la loi Macron qui vient d’être définitivement adoptée – cf. art. 266) :

 

* Le cas du salarié licencié pour faute lourde :

La faute lourde exclut légalement le bénéfice de la portabilité. Encore faut-il qu’elle soit fondée ; or, la jurisprudence exige la démonstration par l’employeur d’une intention de nuire du salarié à l’entreprise. Elle admet très difficilement la faute lourde, hormis des cas extrêmes (sabotage ou concurrence déloyale p. ex.).

S’agissant de la portabilité, nul besoin que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, il suffirait que la faute lourde soit requalifiée en faute grave pour que le salarié retrouve son droit à portabilité. Cette reconstitution sera toutefois virtuelle car la décision de justice n’interviendra bien souvent que postérieurement à la date de fin du maintien de droit théorique.

Dans cette hypothèse, l’ancien salarié (ou ses ayants droits en cas de décès) pourrait demander à être indemnisé au titre de la perte du bénéfice de la portabilité, ce qui peut avoir des conséquences financières extrêmement lourdes pour l’entreprise, par exemple si le salarié a subi un sinistre qui n’a pas pu être pris en charge par l’organisme de prévoyance …

L’employeur qui envisage de prononcer un licenciement pour faute lourde sans préavis ni indemnités est donc particulièrement appelé à la prudence, d’autant qu’aujourd’hui, la durée de portabilité peut s’étendre à 12 mois après la rupture du contrat (voire plus dans certaines branches comme le Bâtiment), avec une potentialité importante de sinistre indemnisable pendant cette période pour le chômeur (aggravée en cas p. ex. de dépression).

Ce risque est à bien considérer sachant que la jurisprudence a déjà statué dans un sens similaire au sujet de la perte des droits à DIF en cas de licenciement pour faute lourde (cf. Cass. Soc. 21 mai 2014, n° 13-16543).

 

* Le cas du licenciement abusif privant le salarié de la possibilité de remplir une condition prévue pour bénéficier des garanties du contrat d’assurance :

Il vient d’être jugé (cf. Cass. Soc. 15 avril 2015, n° 13-22044) qu’un employeur doit indemniser les ayants droit d’un salarié licencié à tort pour faute grave, alors que la non-exécution du préavis l’avait empêché d’être présent aux effectifs à la date de son décès, ce qui constituait une condition prévue au contrat d’assurance pour bénéficier de la garantie de capital décès.

A 12 jours près en l’espèce, les ayants droit auraient pu être couverts ; ils obtiennent en réparation la somme de 155.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (outre les classiques rappels de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire d’indemnité de licenciement, de préavis et de congés payés sur préavis).

Bien sûr, l’employeur ne pouvait pas prévoir le décès du salarié, mais l’ « addition » pour lui est particulièrement salée, alors même que la cause réelle et sérieuse du licenciement était reconnue en l’espèce !

Dans le même registre, il avait pu être jugé par exemple :

  • Qu’un salarié peut être indemnisé en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, lorsque celui-ci l’a empêché de pouvoir exercer les options sur titres dont il bénéficiait dans le cadre du règlement du plan d’option de souscription d’actions de l’entreprise (Cass. Soc. 2 février 2006, n° 03-47180) ;
  • Qu’une mise à la retraite empêchant un salarié de pouvoir  remplir la condition d’ancienneté requise par le règlement d’un régime de retraite supplémentaire à prestation définies de l’entreprise pouvait constituer un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, sans nécessiter d’intention de nuire (Cass. Soc. 4 juin 2002, n° 00-42280).

Dans le domaine de la prévoyance et des frais de santé, la question pourrait se développer du fait des nombreux régimes instituant une clause d’ancienneté : en cas de rupture d’essai ou de licenciement abusifs, le salarié qui sort des effectifs sans avoir pu atteindre la condition d’ancienneté requise par l’acte juridique instituant les garanties (accord collectif, référendaire ou décision unilatérale de l’employeur), pourrait demander une indemnisation au titre de la perte du bénéfice de la portabilité puisqu’il n’a jamais ouvert ses droits dans le régime.

 

En résumé : attention au risque d’ « auto-assurance »

Dans ces différentes situations, l’employeur court le risque de se retrouver en auto-assurance …

Cela étant, pour éviter toute tentation d’indemnisation « punitive » qui n’a pas lieu d’être, il importe de rappeler qu’il s’agit là d’une préjudice de perte de chance, laquelle, selon une jurisprudence constante « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (cf. p. ex. Cass. Soc. 18 mai 2011, n° 09-42741).

Il n’est pas non plus inutile de rappeler qu’il appartient au demandeur, conformément aux principes généraux de responsabilité civile, de démontrer l’existe d’un lien de causalité direct et certain entre la faute ou le manquement de l’employeur et le préjudice subi.



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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