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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

2016 : Osons négocier et agir sur la qualité de vie au travail !


* Article publié sur www.actuel-rh.fr

 

« Nombreuses sont les entreprises qui s’interrogent actuellement sur la « quadrature du cercle », ou comment améliorer durablement la performance économique de l’entreprise dans un environnement global en mutation accélérée, surtout quand celle-ci est confrontée aux risques psychosociaux et à leurs effets dévastateurs ?

L’enjeu est de taille, et l’une des réponses réside certainement dans la politique de qualité de vie au travail (QVT) que chaque entreprise peut mettre en place.

Ce sujet mérite de mobiliser non seulement les équipes RH, mais plus encore en amont la Direction générale elle-même, car ce thème impacte la stratégie globale de l’entreprise.

Il faut être convaincu de l’intérêt de cette approche, qui nécessite en premier lieu de s’inscrire dans une approche de long terme.

Face à un sujet qui peut sembler en apparence « fourre-tout », voici en synthèse quelques lignes directrices à partir du cadre juridique applicable en matière de QVT et les perspectives que peut offrir la démarche aux entreprises.

 

  1. De l’incitation à l’obligation de négocier

 

Le thème de la qualité de vie au travail (QVT) illustre parfaitement le cheminement de réformes sociales à vocation structurelle. Même s’il était déjà en filigrane près de 40 ans plus tôt dans l’ANI du 17 mars 1975 sur  l’amélioration des conditions de travail, ce thème a véritablement émergé à la faveur d’un contexte nouveau par le biais de la négociation collective, via l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, intitulé « vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle »,

Selon cet accord, la QVT « peut se concevoir comme un sentiment de bien – être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance,  la  culture  de  l’entreprise,  l’intérêt  du  travail,  les conditions  de  travail,  le  sentiment  d’implication,  le  degré  d’autonomie  et  de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ». Elle « désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises, d’autant plus quand leurs organisations se transforment. »

La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (art. 33) a par la suite légalisé le dispositif de l’article 13 de l’ANI en prévoyant à titre expérimental, la possibilité de regrouper dans une négociation unique dite de « qualité de vie au travail », tout ou partie des négociations obligatoires, en vue de la conclusion d’un accord collectif à durée déterminée triennal. Particularité, cette négociation dérogatoire était subordonnée à un accord majoritaire (avec une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections CE ou DP).

Depuis le 1er janvier, cette option expérimentale est fermée, et les –rares- accords conclus dans ce cadre restent applicables jusqu’à leur terme.

La loi Rebsamen n° 2015-994 du 17 août 2015, dont l’objectif est d’organiser un dialogue social plus stratégique dans les entreprises, a restructuré en trois blocs les thèmes de négociation obligatoire (cf. art. 19), instituant ainsi à compter du 1er janvier 2016 une négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle hommes/ femmes et la QVT (consacrant ainsi le lien entre ces deux thématiques initié par l’ANI du 19 juin 2013).

Les entreprises qui, à cette date, sont toutefois couvertes par un accord relatif à la conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle, à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, aux mesures de lutte contre les discriminations ou à l’emploi des travailleurs handicapés ne sont soumises aux obligations de négocier sur ces thèmes qu’à l’expiration de cet accord (et au plus tard à compter du 31 décembre 2018).

 

Le contenu de la nouvelle négociation obligatoire

 

Cette nouvelle négociation devra aborder plusieurs sous-thèmes, à savoir (cf. C. Trav. , L2242-8 nouveau) :

  1. L’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ;
  2. Les objectifset les mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (pas uniquement en matière d’écarts de rémunération : conditions de travail, mixité des emplois, parcours professionnel, etc.) ;
  3. Les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle ;
  4. Les mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;
  5. Les modalités de définition d’un régime complémentaire en matière de prévoyance et de frais de santé(dans des conditions au moins aussi favorables que celles du « panier de soins » minimum généralisé au 1er janvier 2016) ;
  6. L’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés (dispositif (peu répandu en pratique bien que soumis à négociation obligatoire) ;
  7. La prévention de la pénibilité (lorsque l’entreprise entre dans le champ du dispositif de manière obligatoire sous peine d’une pénalité – cf. C. Trav., L2242-12 nouveau et L4163-3). L’intégration de ce sous-thème est toutefois facultative pour l’entreprise.

 

Rien n’interdit d’avoir une vision plus large de la QVT et d’y intégrer d’autres types de mesures. L’accord de méthode peut ici permettre de canaliser le champ des thématiques.

Les entreprises soumises à NAO devront donc adapter en conséquence leurs pratiques, sachant que ce thème relève d’une périodicité annuelle (qui peut éventuellement être aménagée et portée à trois ans par accord collectif majoritaire – C. Trav., L2242-20). Notons que cela recoupe pour partie la nouvelle consultation annuelle obligatoire du CE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (C. Trav., L2323-15 nouveau).

Au plan juridique, il convient d’être vigilant sur le plan rédactionnel à la portée des engagements susceptibles d’être pris, que ce soit dans un cadre négocié ou unilatéral à défaut.

Bien entendu, cela reste classiquement une obligation de négocier –de bonne foi– et non de conclure (l’accord QVT issu de la NAO est désormais conclu selon les conditions de droit commun, sans exiger une signature majoritaire).

Que cette négociation aboutisse à un constat de désaccord, ou que l’entreprise ne soit pas  soumise à l’obligation de négocier, la démarche QVT reste une formidable opportunité.

 

2. Au-delà de cette obligation, la QVT constitue une réelle opportunité pour les entreprises

 

Les dirigeants doivent être convaincus de l’intérêt de travailler sur la QVT, quelle que soit le support ou le cadre procédural des mesures. Plus généralement, elle répond à une logique de responsabilité sociétale d’entreprise (RSE), qui touche au développement durable, et qui peut être relayée par la mise en place d’un système de management de la qualité (cf. p. ex. norme ISO 26000 et ses lignes directrices).

Si bien entendu, le schéma de « l’entreprise libérée » ne peut être décliné dans toutes les entreprises, il peut être nécessaire de revoir certains présupposés en termes d’organisation de l’entreprise et de gestion des relations hiérarchiques.

Il ne faut pas considérer cela comme une « concession » sociale ; le fait de repenser certaines façons d’exercer le pouvoir de direction ne signifie bien entendu pas renoncer à celui-ci.

Dans la sphère RH, il s’agit désormais d’un terrain de réflexion et d’action majeur. L’enjeu est d’adapter le cadre du travail aux évolutions de la société, ainsi qu’à l’évolution des attentes des travailleurs. La « fracture générationnelle » à laquelle on assiste (cf. gestion des générations « Y » et bientôt « Z ») constitue un défi et impose de repenser les rapports aux travail.

L’intérêt de la démarche de QVT réside dans sa grande souplesse, chaque entreprise pouvant y voir « midi à sa porte », en définissant les mesures les plus adaptées à sa situation, son secteur d’activité, son histoire, etc. Même dans le cadre de la nouvelle NAO, il n’est pas interdit d’expérimenter, d’autant que chaque entreprise peut faire déjà de la QVT à la manière de Mr Jourdain.

Elle présente incontestablement une double ambivalence, avec :

– une dimension collective et une dimension individuelle ;

– une finalité « défensive » si l’entreprise vit en mode dégradé, et/ou « offensive » si elle est en mode de conquête.

 

Améliorer la résilience de l’entreprise face aux crises sociales et aux risques professionnels (prévenir plutôt que subir)

 

L’enjeu très actuel est de permettre, grâce notamment à la démarche de QVT, de changer de paradigme et de passer d’une gestion subie de la « souffrance au travail » à une situation permettant de prévenir à la source la survenance de risques psychosociaux (surcharge de travail, stress, harcèlements, violences, etc.) et leurs conséquences néfastes (burn-out, turn-over, absentéisme, désengagement et désinsertion professionnels, ATMP, inaptitudes, conflits au travail, pertes de flexibilité, etc.).

La QVT apparaît comme un instrument fondamental pour sortir de la spirale infernale des RPS et de mobiliser au mieux les énergies positives au sein de l’organisation, qui peuvent « déplacer des montagnes ».

Il semble d’ailleurs peu réaliste de concevoir une véritable politique de prévention primaire des RPS si celle-ci n’est pas adossée à un plan de restauration ou d’amélioration de la QVT, en complément du respect des principes généraux de prévention sur le plan organisationnel, humain et technique.

Il s’agit clairement d’un vecteur de prévention, qui participe directement à l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur, et dont on connaît les lourdes conséquences juridique en termes de responsabilité.

Sur ce terrain, l’existence d’un plan d’actions constitue indiscutablement un moyen de défense utile permettant à l’employeur de démontrer en cas de contentieux l’étendue de ses diligences en termes de protection de la santé mentale des travailleurs qu’il emploie. Les juges seront invités à y être plus sensibles compte tenu des évolutions récentes de la jurisprudence (cf. Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444, « Air France »).

Précisons que la QVT est placée au cœur du nouveau plan santé au travail (PST) élaboré par le Ministère du travail pour la période 2016-2020, avec pour objectif central d’accompagner les entreprises dans leur démarche QVT.

 

Inscrire la QVT de manière dynamique dans l’accompagnement et la gestion du changement

 

L’adaptation aux mutations organisationnelles et technologiques constitue l’un des points d’achoppement de nombreux projets d’entreprise, et se termine de plus en plus fréquemment au contentieux.

Ici également, le fait d’intégrer la démarche QVT au stade du projet permet d’anticiper les impacts humains, d’accompagner le changement et de contribuer à rassurer les salariés sur l’avenir, tout se résumant bien souvent dans ce domaine à une simple question de décalages de perceptions.

Plus généralement, la digitalisation de l’entreprise et du travail nécessite de repenser les modèles d’organisation afin qu’ils restent pertinents. La technologie n’étant en soi ni bonne ni mauvaise, elle peut être utilement mise au service de l’objectif d’amélioration de la QVT à condition que les changements soient correctement accompagnés, et veillant à mettre en place des garde-fous (à titre d’exemple, citons le droit à la déconnexion, qui devrait probablement être inscrit dans la prochaine réforme du Code du travail).

 

Faire évoluer le dialogue social et les relations collectives vers des approches plus constructives et porteuses de sens

 

Cela est valable aussi bien vis-à-vis dans les rapports institutionnels avec les organisations syndicales représentatives que vis-à-vis des instances représentatives élues (CE, DP, CHSCT).

Sans remettre en cause leurs prérogatives, le droit d’expression directe des salariés doit être promu en parallèle, car il constitue un facteur essentiel en termes de QVT. L’expérience montre que ce canal est un élément très favorable à l’amélioration des conditions de travail.

Or, pour l’entreprise, qualité de vie au travail rime avec la qualité du travail et gains de performance individuelle et collective.

De leur côté, les partenaires sociaux, souvent en « perte de vitesse » et tentés de radicaliser leur discours ou revendications, ne peuvent que gagner en crédibilité au travers d’une démarche gagnant-gagnant, en s’impliquant sur des sujets qui ont du sens et imposent de se projeter sur le long terme.

Sans tomber dans l’utopie, il est permis d’entrevoir la perspective de développer, avec la refonte parallèle du fonctionnement des instances représentatives du personnel, de nouvelles relations direction/ représentants, moins basées sur des rapports d’opposition et plus constructives, fondées sur la coresponsabilité.

En repositionnant la place du collectif dans un monde de plus en plus individualiste, le dialogue social peut ainsi contribuer à la création d’une culture d’entreprise et à maintenir une fraternité professionnelle.

 

La nécessité d’une méthodologie et d’un travail sur les indicateurs de mesure de la QVT

 

Pour être efficace, la démarche doit non seulement être sincère (sinon elle sera perçue comme non crédible par les salariés, ce qui viendrait à contre-emploi : rien de pire que le greenwashing), mais également structurée.

Cela commence par une politique intégrée (cf. approche systémique prônée par l’ANI), visant à insérer l’objectif de QVT dans l’organisation et la vie de l’entreprise, partout où cela est possible, à un coût économique raisonnable.

Sans doute est-il important d’observer qu’il existe dans ce domaine de très nombreuses mesures peu coûteuses et de bon sens qui peuvent y contribuer (à commencer par le travail sur les « marqueurs de reconnaissance » : écoute, valorisation, autonomie, confiance, transmissions, équité, éthique, etc.). Bien souvent, les premiers leviers consisteront d’ailleurs à faire évoluer les pratiques plus qu’à définir de nouveaux engagements juridiques « en dur ».

Le qualitatif mérite de primer sur le quantitatif, et toute la chaîne hiérarchique (du top management au management intermédiaire) doit être mobilisée.

La définition des mesures doit s’appuyer sur une phase diagnostic d’état des lieux et d’évaluation préalable, en concertation avec les salariés et leurs représentants afin de favoriser les bonnes idées et le consensus.

L’appui de conseils externes peut être utile (surtout s’agissant d’actions de formation et de sensibilisation), mais l’entreprise ne doit pas sous-estimer son potentiel et sa capacité à faire émarger d’elle-même des solutions « qui marchent ». Les actions QVT tendent d’ailleurs à devenir un outil de promotion de l’image de l’entreprise (cf. sport en entreprise, etc.).

En tout état de cause, la QVT est une mine pour les RH en termes d’innovation sociale.

Enfin, comme tout plan d’action, l’entreprise doit se doter d’indicateurs (y compris sur les signaux faibles) : par « effet miroir » avec les RPS, cela permet de traduire concrètement la perception qu’ont les salariés de leur travail, de leurs conditions de travail, de leurs relations professionnelles et de leur entreprise. Mieux vaut privilégier des critères simples et lisibles pour ne pas transformer le dispositif en « usine à gaz ».

La direction, qui reste le pilote, peut à partir de ces indicateurs de suivi, agir sur le plan collectif (évaluer les écarts, revoir les objectifs et adapter si nécessaire son plan d’actions), mais également individuel (action « à chaud » et en temps utile sur les cas difficiles).

Enfin, les résultats obtenus contribuent directement à la performance économique et sociale de l’entreprise, et à son attractivité en termes d’image, aussi bien vis-à-vis d’un personnel motivé (et fidélisé) que du public. »



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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