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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Obligation de sécurité : pas d’atténuation de la responsabilité de l’employeur en considération d’une « acceptation des risques » par le salarié


Dans l’entreprise, la sécurité est l’affaire de tous … Si l’affirmation est une évidence pratique, sur le plan juridique, les choses sont bien différentes car la sécurité est avant tout l’affaire du chef d’entreprise.

La loi instaure une obligation générale de sécurité à la charge de l’employeur, qualifiée d’obligation de résultat par la jurisprudence, qui consiste à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », et se décline notamment au travers des 9 principes généraux de prévention qui sont autant de « fondamentaux » (C. Trav., L4121-1 et s.).

Il s’agit d’une responsabilité pleine et entière, qui découle du pouvoir d’organisation et de direction dont dispose l’employeur (le pouvoir fonde la responsabilité).

La loi reconnaît en parallèle une obligation pour chaque salarié « de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail » (cf. C. Trav., L4122-1).

Celle-ci n’est pas concurrente de la première, et la loi précise bien qu’elle s’apprécie pour le salarié au cas par cas, compte tenu des instructions de l’employeur, des conditions du règlement intérieur, et « en fonction de sa formation et selon ses possibilités ».

Surtout, la loi pose le principe selon lequel cette obligation du salarié est « sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur. »

« Principe de la responsabilité patronale » …

Si l’obligation de sécurité de résultat auquel cela renvoit fait l’objet d’une jurisprudence foisonnante, les déclinaisons de ce principe sont plutôt rares.

La décision qui vient d’être rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc. 10 février 2016, n° 14-24350) est donc particulièrement intéressante.

Dans cette affaire, une salariée jusqu’alors sédentaire avait été amenée à partager son temps de travail avec une double affectation entraînant pour elle un rythme de déplacements professionnels très soutenu à l’échelon national, conduisant à des arrêts de travail puis à une déclaration d’inaptitude et à son licenciement.

Sollicitant notamment une condamnation de son ancien employeur pour manquement à l’obligation de sécurité et inexécution déloyale de son contrat de travail, la Cour d’appel limite son indemnisation et retient un partage de responsabilité au motif « que les certificats médicaux joints aux débats attestent des conséquences des conditions de travail de l’intéressée sur sa santé et que la société est manifestement fautive pour n’avoir pas pris en compte les risques d’un état de fait qu’elle connaissait, que pour autant, l’indemnisation due doit également inclure la propre attitude de la salariée, laquelle a elle-même concouru à son dommage en acceptant un risque qu’elle dénonçait dans le même temps, s’il correspondait à une augmentation de son salaire, et que si elle était dans son droit de le faire, il est néanmoins juste qu’elle en supporte également les incidences ».

Saisie d’un pourvoi de la salariée, la Cour de cassation rejette cette considération d’équité et censure cet arrêt : « Vu l’article L. 4121-1 du code du travail (…) Qu’en statuant ainsi, alors que les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Cette décision présente l’intérêt de mettre en perspective la politique de rémunération au regard des enjeux de santé/ sécurité.

De même que l’amélioration des conditions de travail constitue un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique (cf. Directive n° 89/391 du 12 juin 1989),  à l’inverse, l’octroi de contreparties financières au salarié ne peut compenser une dégradation des conditions de travail.

Autrement dit, la volonté contractuelle (dont on sait qu’elle est déséquilibrée du fait du lien de subordination juridique et de la possible situation de précarité économique) ne peut justifier une renonciation du salarié à se prévaloir de la protection légale en matière de santé ou de sécurité au travail, qui relève de l’ordre public.

Bien sûr, la jurisprudence interdit déjà aux entreprises de prendre en matière de rémunération des mesures accidentogènes ou pathogènes et ayant pour effet de compromettre la santé ou la sécurité des travailleurs (cf. caractère illicite de certaines primes de rendement – p. ex. Cass. Soc. 24 septembre 2008, n° 07-44847 ; ou encore la fixation d’objectifs inatteignables générateurs de RPS – Cass. Civ. II, 8 novembre 2012, n° 11-23855).

Cela devrait conduire à une réflexion, notamment auprès des acteurs du dialogue social à une époque où les pouvoirs publics veulent promouvoir la négociation collective en matière de santé/ sécurité (cf. le PST III 2016-2020), sur certains dispositifs dit de « compensation »  censés rendre acceptable l’exposition à certains risques ou facteurs de risques professionnels (on pense notamment à la pénibilité, pour laquelle la situation est assez paradoxale puisque les salariés expriment parfois qu’ils ont plus intérêt à créditer des points sur leur C3P plutôt qu’à ne pas être exposés) …

Il ne faut toutefois pas stigmatiser les systèmes de rémunération, qui peuvent au contraire s’avérer être des vecteurs de prévention. Typiquement, les accords d’intéressement peuvent ainsi intégrer comme critère de performance l’amélioration des conditions de travail ou de sécurité avec généralement comme indicateur le taux d’ATMP, sans porter atteinte au principe de responsabilité civile et pénale de l’employeur (cf. Cass. Soc. 24 septembre 2002, n° 00-18290). Dans un même registre, la mise en place de couvertures complémentaires qui permet au travers des garanties de prévoyance et de frais de santé d’indemniser notamment le risque professionnel, ne saurait être considéré comme un acte de déresponsabilisation de l’employeur au motif qu’il aurait souscrit un contrat d’assurance ! La dimension de prévention est en effet de plus en plus marquée dans les produits proposés par les organismes assureurs, ce qui peut utilement venir enrichir la politique de l’entreprise.

Ceci précisé, l’enseignement à retenir de cette affaire est que l’employeur ne peut réduire sa responsabilité en cas de manquement à son obligation de sécurité, en invoquant une « acceptation des risques » par le salarié, puisqu’il est justement tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour les éviter.

Cela reste toujours un argument de plaidoirie, mais la Chambre sociale de la Cour de Cassation vient rappeler aux juridictions du travail qu’à partir du moment où elles retiennent la responsabilité de l’employeur, elles ne peuvent pas minorer l’indemnisation du salarié en considération du fait que par son comportement, il a pu concourir à son propre dommage.

Cela rejoint la jurisprudence de la 2e Chambre civile et de la Chambre criminelle qui considèrent, respectivement dans le domaine de la faute inexcusable et du contentieux pénal des ATMP, que le comportement du salarié ne présente de caractère exonératoire pour l’employeur que lorsqu’il constitue la cause exclusive de l’accident et s’apparente à un cas de force majeure. Par exemple, la faute même inexcusable du salarié à l’origine de son accident du travail n’empêche pas de reconnaître une faute inexcusable à la charge de l’employeur. De la même manière, en matière pénale, l’entreprise est fréquemment amenée à invoquer l’imprudence ou le non-respect des règles de sécurité par le salarié ; or il est rare en pratique que celle-ci puisse être la cause unique de l’accident, sachant que les juges parviennent souvent à retenir qu’au contraire, elle n’est que le révélateur d’une faute d’organisation ou de surveillance de la part de l’employeur.

Cela étant, l’obligation du salarié n’en reste pas moins bien ancrée dans la loi, et il existe un domaine dans lequel la jurisprudence lui donne une pleine effectivité, autorisant ainsi l’employeur à pouvoir user assez largement de son pouvoir disciplinaire en cas de manquements du salarié. La faute grave est même très souvent confirmée dès lors que le comportement à risque du salarié entraîne une mise en danger, sans nécessiter la survenance d’un sinistre (cf. p. ex. Cass. Soc. 13 janvier 2016, n° 14-28307).

Cela ne peut qu’être approuvé, car il serait totalement incohérent d’astreindre l’employeur à une obligation de résultat (même si la jurisprudence est venue tempérer celle-ci – cf. Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444), et dans le même temps, lui interdire de pouvoir sanctionner des manquements.

En effet, le spectre de la sanction et du règlement intérieur (qui comporte un volet hygiène/ sécurité et disciplinaire) sert la politique de prévention primaire, au même titre que les actions de formation et de sensibilisation.

Pour conclure, s’il paraît bienvenu d’admettre que le salarié ne puisse renoncer à préserver sa santé et sa sécurité pour des considérations économiques, il reste également important de rappeler que chaque salarié doit être acteur de la prévention compte tenu de l’importance du facteur humain à l’origine des accidents.

Cela mérite d’être rappelé, car à développer tous azimuts l’obligation de sécurité de l’employeur, le risque est d’occulter cette dimension, avec comme effet pervers de démobiliser les individus et au final, de fragiliser la maîtrise des risques dans les entreprises.

 

* Article publié sur www.preventica.com

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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