par Sébastien Millet
L’évolution du droit pénal du travail : la nouvelle donne pour les entreprises
La loi Macron a habilité le Gouvernement à prendre des mesures de renforcement des prérogatives du système d’inspection du travail en vue de garantir une meilleure effectivité du droit du travail et une plus grande efficacité des contrôles.
Partant du constat d’inefficacité statistique (relative somme toute) du droit pénal du travail, rapportée à l’épaisseur de la réglementation, la loi Macron n° n° 2015-990 du 6 août 2015 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de renforcement des prérogatives du système d’inspection du travail en vue de garantir une meilleure effectivité du droit du travail et une plus grande efficacité des contrôles. Au 1er juillet 2016, entreront en vigueur la nouvelle ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 (JORF du 8 avril 2016) ainsi que son décret d’application n° 2016-510 du 25 avril 2016 (JORF du 27 avril). Ces mesures s’appliqueront à toutes les entreprises, y compris agricoles. Au 1er juillet 2016, entreront en vigueur la nouvelle ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 (JORF du 8 avril 2016) ainsi que son décret d’application n° 2016-510 du 25 avril 2016 (JORF du 27 avril). Ces mesures s’appliqueront à toutes les entreprises, y compris agricoles. Le projet de loi El Khomri soumis à la procédure du 49-3 prévoit de ratifier cette ordonnance (cf. article 51 quater). Objectif annoncé : améliorer l’efficacité des contrôles administratifs et la rapidité des procédures et sanctions, afin d’assurer l’effectivité des règles du droit du travail, et ainsi, de lutter contre la concurrence sociale déloyale, ce qui va bien au-delà du cadre de lutte contre le travail illégal dont l’arsenal juridique est déjà très étoffé. Cette évolution s’accompagne en arrière-plan d’une mutation profonde du système d’inspection du travail et de son organisation au plan tant national que local en vue de renforcer l’efficacité des contrôles sur les entreprises (cf. Décret n° 2014-359 du 20 mars 2014 et arrêté du 26 mai 2014), avec à terme la disparition programmée du corps des contrôleurs du travail et leur intégration dans le corps unique des Inspecteurs du travail (traditionnellement en charge des entreprises de moins de 50 salariés), qui disposent de prérogatives plus importantes. Sans attendre, tous sont intitulés dès à présents d’«agents de contrôle de l’inspection du travail ». Intéressons-nous ici en synthèse aux incidences spécifiques de cette réforme dans le domaine de la santé et sécurité au travail, qui constitue une priorité d’action du système d’inspection du travail (en sachant que ces nouvelles prérogatives sont de portée générale et trouveront à s’appliquer dans tous les autres domaines de la réglementation du travail). Le contraste est saisissant : à côté du 3e Plan Santé au Travail et de son approche soft axée sur l’amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels, cette réforme du contrôle de l’application du droit du travail constitue au contraire un « tour de vis » pour les entreprises, les chefs d’entreprise et leurs délégataires de pouvoirs. Loin d’une dépénalisation du droit du travail, il faut s’attendre à ce que les contrôles débouchent sur un accroissement des sanctions, en fréquence et en sévérité.
Jusqu’à présent, cela n’était possible dans le droit du travail qu’en matière de détachement transnational (C. Trav., L1263-6 et L1264-3), ainsi qu’en cas de manquement à l’obligation de déclaration des salariés du BTP (C. Trav., L8291-2). Au plan général (cf. C. Trav., L8115-1 s. et R8115-1 s.), et pour schématiser, entrent désormais dans le champ de l’amende administrative les manquements aux dispositions en matière : de durées maximales du travail, de repos ; de décompte de la durée de travail de salaire minimum légal ou conventionnel ; d’installations en matière sanitaires de restauration et d’hébergement. Le projet de loi « Travail » (cf. art. 51) prévoit même d’étendre cela dans le cadre des règles du Code des transports sur le temps de travail. Même s’il est prévu une possibilité de modulation du montant en fonction des circonstances, de la gravité du manquement, du comportement de son auteur ainsi que de ses ressources et charges (cf. analogie avec le principe de proportionnalité et de personnalisation des peines en matière pénale), il n’en reste pas moins que l’amende pourra être particulièrement « salée » puisque son montant est plafonné à 2.000 euros et appliqué autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés par le manquement (montant doublé en cas de réitération constatée dans un délai de 1 an). A cela s’ajoute, dans le domaine de la santé et sécurité au travail, la possibilité d’infliger des amendes administratives en cas de manquement aux décisions prises par l’inspection du travail en matière d’arrêts temporaires de travaux ou d’activités, de demandes de mesures et vérifications, ou de non-respect des décisions et dispositions relatives à l’affectation des jeunes travailleurs (C. Trav., L4751-1 s. et R8115-9 s.). Le montant de l’amende est nettement alourdi dans ces cas (jusqu’à 10.000 euros). La décision doit être motivée après respect d’une procédure contradictoire : l’employeur est invité à présenter ses observations dans un délai d’un mois et peut demander à ce que celui-ci soit prorogé d’un mois, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient. Précisons également que l’autorité administrative est tenue d’informer le CHSCT (ou les DP à défaut) des amendes prononcées à l’encontre de l’employeur dans ce domaine pour leur permettre d’exercer leurs attributions. Dans tous les cas, les manquements passibles d’amende administrative se prescrivent par 2 ans révolus (au lieu d’un an en matière de contravention pénale), à compter du jour où le manquement a été commis. Il pourra toujours être fait échec à cette procédure d’amende administrative en cas d’engagement de l’action publique, sachant que les manquements visés constituent en parallèle des infractions pénales, notamment au titre du délit général d’inobservation des dispositions en matière de santé/ sécurité prévu à l’article L4741-1 du Code du travail. Au passage, il est important de préciser ici que la peine d’amende est aggravée, passant de 3.750 euros à 10.000 euros pour l’employeur ou son délégataire (et jusqu’à 30.000 euros en cas de récidive), appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs de l’entreprise concernés indépendamment du nombre d’infractions relevées dans le procès-verbal. Ainsi, le recours à la voie pénale ne disparaît pas mais ne sera plus le seul aiguillage possible, l’idée des pouvoirs publics étant de fluidifier le processus de sanctions pour une meilleure effectivité du droit du travail. Ce choix en faveur de l’amende administrative apparaît toutefois comme ayant un caractère irrévocable pour l’autorité administrative, en lui interdisant ensuite de « changer son fusil d’épaule ». En revanche, cette option n’interdirait pas que des poursuites pénales puissent ensuite être déclenchées à l’initiative du Ministère public (ou d’une partie civile) dans la limite du délai de prescription des infractions.
Si ces nouvelles prérogatives paraissent difficilement contestables en termes de protection des travailleurs face à des situations d’urgence ou de danger, il convient en revanche de porter un regard plus critique sur ce nouveau cadre juridique de sanctions. Très clairement, le législateur a fait le choix de la répression plutôt que celui de la prévention. On notera au passage la mission de conseil des services administratifs (prévue aux articles R8112-1 et 2 du Code du travail) reste au stade théorique en pratique. Il est permis d’exprimer certaines craintes :
Compte tenu des relations tendues qui peuvent parfois exister entre les directions d’entreprises et les inspections du travail, il faut espérer que le fait de confier à l’autorité hiérarchique le pouvoir de décision permettra d’avoir une approche raisonnable, étudiée et modulée au cas par cas. Cela est d’autant plus indispensable qu’au final, la procédure d’amende administrative peut pour un même fait conduire à une sanction plus lourde qu’en cas de condamnation pénale … Ces sanctions pourront même se cumuler, en théorie (avec toutefois une réserve posée en cas de double sanction par la jurisprudence du Conseil constitutionnel au regard du principe de proportionnalité et de nécessité des peines, interdisant que le montant global puisse dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues). On peut penser qu’un découpage naturel devrait se faire entre d’un côté, la voie pénale en cas d’infraction grave ou ayant eu des conséquences graves (présence de victimes notamment), et de l’autre, la voie des sanctions administratives pour tout ce qui concerne les infractions non-conformité. On sait toutefois que le taux de poursuites après transmission de procès-verbal est faible, ce qui alimente une certaine défiance entre les parquets et les unités de contrôles, lesquelles devraient donc être probablement plus enclines à faire jouer leur pouvoir de sanction propre chaque fois que cela leur sera possible. Les pratiques qui se mettront en place (certainement sous l’impulsion de directives ministérielles) permettront de mieux matérialiser cette ligne de partage. La question d’un futur Code de déontologie du service public de l’inspection du travail annoncé par le projet de loi « Travail » (cf. art. 51 ter) aura donc toute son importance. En attendant, les entreprises risquent de se retrouver soumises au « bon vouloir » de l’administration, ce qui appelle certaines recommandations pour les directions d’entreprises :
Il convient en effet de rappeler que l’Administration ne peut s’affranchir du respect du principe du contradictoire, et que la motivation de ses décisions peut être contestée et que celles-ci peut être annulées en cas d’illégalité. A ce sujet, cette réforme a pour effet d’ouvrir un nouveau pan de contentieux, puisque les décisions précitées ne pourront être contestées que dans le cadre d’un recours devant le tribunal administratif (à l’exclusion de tout recours hiérarchique devant le Ministre du travail), même s’il faut préciser que l’analyse comparée de la jurisprudence fait souvent ressortir des différences d’approche entre le juge judiciaire et le juge administratif. En tout état de cause, le choix d’une sanction administrative (p. ex. en cas de proposition transactionnelle) n’interdira pas de s’interroger (pesée des avantages / inconvénients) sur l’opportunité dans certains cas de prendre le parti d’une défense devant le juge pénal en vue d’une relaxe ou d’une minoration d’amende, même si cela n’est jamais acquis.
Sébastien MILLET *Article publié sur www.preventica.com |
amendes • arrêt de travaux • danger grave et imminent • infraction • inspection du travail • mise en demeure • procès-verbal • santé sécurité • transaction pénale