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Droit du Sport
par Adrien Simonot

L’indemnisation de l’agent sportif victime de l’infidélité de son client


Les agents sportifs sont parfois victime de l’infidélité des joueurs dont ils gèrent les intérêts. De nombreuses décisions de justice témoignent de cette réalité.

 

Ainsi, il arrive qu’un joueur, bien que lié à un agent, signe un contrat seul. De ce fait, l’intermédiaire ne perçoit pas la commission qui lui était due. Face à cette situation, l’agent sportif n’est pourtant pas dépourvu de moyens pour recouvrir sa créance. Il convient toutefois de distinguer différentes hypothèses.

 

  1. Le fait reproché au joueur a été commis en cours d’exécution du contrat le liant à son agent

 

Dans cette hypothèse, la responsabilité contractuelle du joueur pourra être engagée et l’indemnisation perçue par l’agent variera selon que les parties auront inséré, ou non, une clause d’exclusivité au contrat.

 

1.1. Lorsque le contrat liant l’agent sportif au joueur n’est pas assorti d’une clause d’exclusivité et que le joueur, ayant entravé les démarches de l’agent en l’empêchant de mener à bien sa mission, signe un contrat avec un club sans son intermédiaire, l’agent ne peut prétendre à rémunération. Il peut néanmoins engager la responsabilité contractuelle du joueur en raison de sa déloyauté et obtenir des dommages et intérêts pouvant parfois être fixés au niveau de la rémunération qu’il aurait dû percevoir. (Cour d’appel de Douai, 21 janvier 2013, n° 12/03411).

 

1.2. La solution sera différente si, face à ce même comportement du joueur, l’agent sportif peut se prévaloir d’une clause d’exclusivité insérée au contrat. En engageant la responsabilité contractuelle du joueur, il pourra cette fois recouvrir la totalité de la commission qu’il aurait dû percevoir par l’attribution de dommages et intérêts.

 

1.3. Enfin, il arrive que l’agent sportif et le joueur aient prévu dans leur contrat la mise en œuvre d’une clause pénale en cas d’inexécution de l’une des parties.

 

Cette clause permet de fixer par avance, et forfaitairement, le montant des dommages et intérêts qui seront dus en cas d’inexécution contractuelle.

 

Dans la mesure où les parties peuvent librement fixer son montant (qui est arrêté à la signature du contrat), celui-ci peut être bien supérieur à la réalité du préjudice. Cette clause  a donc un caractère dissuasif et vise avant tout à empêcher les parties de s’abstenir d’exécuter une des obligations prévues au contrat.

 

Toutefois, son montant ne doit pas être trop éloigné de la réalité du préjudice subi afin d’éviter que la partie qui doit  s’acquitter du montant de la clause pénale ne demande au juge de la réévaluer.

 

C’est précisément ce qui s’est passé dans une affaire (Cour d’Appel d’Orléans, 3 juin 2013, N° 12/02461) dans laquelle, victime de l’infidélité de son joueur qui avait signé des contrats avec différents clubs, malgré la clause d’exclusivité les liant, une société d’agent sportif avait fait valoir la clause pénale insérée au contrat. Cette clause pénale avait été fixée à la somme de 100 000 euros. Les juges, saisis par le joueur, ont estimé qu’elle n’était pas en adéquation avec le préjudice réellement subi par la société, justifiant ainsi de la réduire au montant de 60 000 euros.

 

Il n’en demeure pas moins que l’existence d’une clause pénale dans un contrat liant un agent sportif à un joueur permet de dissuader les parties de ne pas respecter leurs engagements mais également de recevoir réparation de l’inexécution contractuelle sans avoir à se pourvoir en justice, sauf si l’autre partie refuse de s’acquitter de la clause pénale.

 

Dans ces trois situations, on retiendra que le joueur a engagé sa responsabilité contractuelle en ne faisant pas appel à son agent sportif (avec qui il était pourtant lié contractuellement) pour s’engager avec un club.

 

  1. Le fait reproché au joueur a été commis à l’expiration du contrat le liant à son agent

 

Plus subtile est la situation qu’a eu à connaître la Cour d’appel de Grenoble (8 janvier 2015, n° 14/01865) dans une affaire dont les faits, a priori  relativement similaires, différaient pourtant sur un point très important.

 

En l’espèce, une société d’agent sportif signe avec un joueur de rugby un contrat de gestion exclusive  pour la négociation des contrats avec des clubs professionnels basés en Europe. Dans le cadre de ce contrat, la société présente le joueur à un club. Mais ce n’est qu’à l’expiration du contrat liant le joueur à la société d’agent sportif (intervenue quelques jours plus tard) que le joueur s’engagera avec le club présenté par l’agent sportif. Considérant avoir été écarté des négociations de manière déloyale, la société d’agent sportif décide de demander en justice le paiement de la commission qu’il estime lui être due.

 

Par jugement en date du 10 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Grenoble déboute la société d’agent sportif de ses demandes en raison de l’absence de mentions dans le contrat  de gestion exclusive relatives au nom du joueur et à la rémunération censée être perçue par la société d’agent sportif.

 

La société interjette appel et demande à la Cour de réformer le jugement, de reconnaitre que le contrat avait été rompu abusivement et de condamner le joueur à lui verser, entre autre, une indemnité représentant 8% du montant total des rémunérations du contrat au titre de la perte de chance d’exécuter une mission rémunératrice, ainsi que des dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation.

 

Dans son arrêt rendu le 8 janvier 2015, la Cour d’appel de Grenoble fait partiellement droit aux demandes de la société d’agent sportif. Les juges considèrent que la société ne pouvait plus se prévaloir des termes du contrat puisque celui-ci avait expiré au moment de la signature du joueur. Elle ne pouvait donc prétendre qu’à la réparation du préjudice économique constitué par la perte de chance de faire signer ce contrat. Dès lors, prenant en compte les démarches effectuées par l’agent sportif antérieurement à l’expiration du contrat, le montant de son préjudice a été fixé à la somme de 3000 euros.

 

Cette décision mérite une attention particulière dans la mesure où, contrairement aux situations précédemment évoquées, le fait reproché au joueur se situe postérieurement à l’expiration du contrat le liant à son agent.

 

S’il pouvait paraître logique qu’un agent victime de l’infidélité de son joueur avec qui il est contractuellement lié puisse mettre en jeu sa responsabilité contractuelle en raison de la violation d’une obligation contractuelle, fallait-il encore savoir comment obtenir l’indemnisation lorsque les faits reprochés se situaient hors de la période contractuelle.

 

Le joueur pensait pouvoir attendre la fin du contrat le liant à son agent sportif pour signer avec le club qu’il lui avait pourtant présenté, pensant ainsi que, faute de pouvoir engager sa responsabilité contractuelle, il n’aurait aucun compte à rendre à son agent. C’était sans compter sur l’obstination de ce dernier qui a obtenu une indemnisation en se fondant sur la notion de perte de chance.

 

Définie comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ 1er, 21 novembre 2006, n° 05-15674), la perte de chance permet l’indemnisation d’une probabilité objective disparue.

 

L’indemnisation ne correspond pas à la perte de chance d’avoir été partie à la signature du contrat (puisque rien ne dit que la présence de l’agent aurait permis automatiquement  la signature), mais l’indemnisation est fondée ici sur l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’agent de participer aux négociations, dont il était l’instigateur, et qui auraient pu déboucher sur la signature du contrat.

 

Il n’est dès lors pas possible pour l’agent de se faire indemniser du montant total qu’il aurait dû percevoir si le contrat avait été signé en sa présence, puisque la notion de perte de chance ne permet pas de se voir accorder une réparation égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance perdue si elle s’était réalisée.

 

Mais, considérant que s’il avait pris part aux négociations, la signature aurait pu se concrétiser, l’agent sportif a été  indemnisé d’une partie de la somme qu’il aurait perçu en cas de signature.

 

Fort instructif quant à la manière dont peut être indemnisée une victime dans cette situation, l’arrêt semble hélas plus évasif concernant le fondement de la responsabilité du joueur. En effet, la perte de chance peut trouver à s’appliquer aussi bien en matière délictuelle qu’en matière contractuelle.

 

Or, la décision ne permet pas de tirer de conséquences sur ce point, notamment en raison de son manque de lisibilité, de l’absence de visa et de certaines contradictions.

 

« La signature du contrat avec l’US CARCASSONNE est survenue le 12 avril 2013 après l’expiration le 5 avril 2013 du contrat d’agent, de sorte que la société A&RSPORTS LTD ne pourra se prévaloir des termes du contrat du 5 avril 2011 venu à expiration, mais seulement prétendre au préjudice économique constitué par la perte de chance de faire signer ce contrat ».

 

Manque de lisibilité tout d’abord dans la mesure où « se prévaloir des termes du contrat » pourrait signifier que l’agent ne peut engager la responsabilité contractuelle du joueur puisque la signature a eu lieu en dehors de la période contractuelle. Mais cela pourrait aussi signifier que l’agent peut engager la responsabilité contractuelle, sans pour autant être indemnisé du montant total de la commission prévue au contrat car la perte de chance, rappelons-le, ne permet pas de se voir accorder une réparation égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance perdue. Selon l’interprétation que l’on a de ces termes, le fondement de la responsabilité sera différent.

 

La Cour d’appel semble ensuite se contredire en indiquant que la société « ne pourra se prévaloir des termes du contrat », mais que son préjudice économique est constitué  « par la perte de chance de faire signer ce contrat ».

 

Malgré l’absence de certitudes concernant le fondement de la responsabilité engagée par le joueur, cet arrêt reste tout de même très instructif en ce qu’il ouvre la voie à une indemnisation, au titre de la perte de chance, du préjudice constitué par l’infidélité de son client, même si les faits reprochés se situent hors période contractuelle.

 

Espérons toutefois qu’un pourvoi ait été formé ce qui permettrait de connaître la position de la Haute juridiction.

 

 



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