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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Julia Auriault

[Interview croisée] Souffrance au travail, le CSE peut être associé à la procédure de prise en charge des signalements


La question de la souffrance au travail est, depuis ces dernières années, au cœur, des préoccupations des entreprises. La prise en charge de la souffrance au travail peut être préventive, ou curative, ou les deux. Pour y parvenir, il existe des outils (la formation, les procédures, la désignation de référents…). Gérard Neis, de la CGT BTP, et Julia Auriault, Avocate associée du Cabinet Ellipse avocats Paris et médiatrice, offrent un regard croisé sur cette question d’actualité compte tenu du contexte sanitaire et psychosocial. C’est aussi l’occasion d’échanger sur un mode d’emploi qui associerait le CSE.

 

Les Cahiers Lamy du CSE : en quoi la mise en place d’une procédure ou d’un « process » en cas de signalement d’une situation de souffrance au travail vous apparait opportune dans le cadre de la prévention de la santé et de la sécurité des salariés?

Julia Auriault : l’employeur est soumis à une obligation de sécurité qui est régulièrement rappelée par la Cour de cassation. À ce titre, il doit mettre en place des outils avec les instances représentatives du personnel pour prévenir au maximum les situations de souffrance au travail et le cas échéant, pouvoir réagir quand elles se présentent. Je dirais que si l’entreprise n’a pas mis en place de tel process, elle se met en risque et expose ses dirigeants. Si un cas de souffrance au travail survient au travers du signalement d’une situation de harcèlement moral, l’entreprise ne sera pas en mesure de réagir et de trouver rapidement une solution. Toutes les entreprises s’intéressent à cette question mais elles ne savent pas comment agir. Les équipes RH et opérationnelles sont souvent démunies quand elles réalisent, face à une situation concrète de harcèlement par exemple, qu’elles ne sont pas outillées. Or, dans ces situations il faut être réactif car le temps est aussi générateur de souffrance. La victime présumée a besoin de se sentir entendue, le cas échéant, le personne mise en cause aussi… L’avantage d’une procédure qui séquence les actions à mettre en œuvre apporte un cadre objectif rassurant pour tous. La victime présumée comme la personne mise en cause doivent connaitre les étapes et leur cadencement une fois l’alerte donnée. Cette maîtrise de l’outil par l’équipe RH permet de sécuriser un risque avéré mais dont le traitement par la prévention tertiaire est résilient.  Le risque, à défaut, est l’inertie et donc potentiellement l’engagement de la responsabilité de l’entreprise comme de ses dirigeants. L’expérience sur la mise en place de ces outils, montre que le CSE a pleinement sa place : d’abord au stade de l’élaboration de cette procédure et ensuite au niveau de l’enquête mise en œuvre en cas de dénonciation d’un cas de souffrance au travail ou de harcèlement.

Gérard Neis : les représentants du personnel sont des salariés particuliers puisque leur rôle est de représenter leurs collègues et donc d’être à leur écoute. Cela les rend plus particulièrement sensibles à la question de la souffrance au travail mais ils ont du mal à appréhender dans toutes ses dimensions cette thématique. L’entreprise elle-même a du mal à les positionner. Une première chose qui me semble essentielle, est que les partenaires sociaux se parlent sur la question de la souffrance au travail. L’employeur doit intégrer le fait que s’il souhaite que son entreprise  onctionne bien, il faut qu’il y ait une bonne ambiance au travail et qu’il dispose face à lui des instances représentatives du personnel qui ont le souci de la santé mentale et physique des salariés. Il faut que les parties en présence se mettent d’accord pour agir en coopération mais cela présente deux écueils : d’abord la compréhension du rôle de chacun, et ensuite la question de la manière d’agir face à la dénonciation d’un cas de souffrance. en tout état de cause, il faut impérativement à la manœuvre un service RH sensibilisé à cette problématique et bienveillant si l’on veut que les entreprises mettent en place une procédure. Il faut que l’entreprise intègre la problématique psychologique dans le travail sinon rien ne sera fait et cela passe par la formation. elle est capitale et doit être à la fois psychologique et juridique : savoir ce qu’est la souffrance au travail (avec une formation sur la psychologie, l’ergonomie, les RPS, etc.) et connaitre les définitions légales ainsi que les moyens légaux à mettre en œuvre dans ces situations. il faut impérativement organiser des formations paritaires avec l’employeur, les IRP et les référents harcèlements (sexuels et comportements sexistes) en leur faisant faire des cas pratiques pour qu’ils « vivent » ces situations et sachent ensuite comment agir. Peut-être faut-il élargir les compétences des référents harcèlement sexuel ou instaurer un autre référent nommé par l’entreprise ou le CSE qui ait une compétence plus large sur la souffrance au travail car le harcèlement sexuel n’en est qu’un aspect et est en général ciblé sur une personne. Mais la souffrance au travail est en général collective et liée à un problème d’organisation plus qu’à une personne. Des accidents du travail et des cas de burnout ont pu avoir lieu parce que l’entreprise agissait toujours dans l’urgence et ne préparait pas correctement le travail dans les bureaux et sur les chantiers. Un exemple parmi d’autres : un jour une salariée responsable d’une activité me raconte qu’on lui signifie une nouvelle commande à réaliser mais impossible à planifier en l’état actuel de ses équipes. Elle en parle à son chef de service pour lui demander de mettre les moyens nécessaires. Celui-ci a rétorqué qu’il comprenait mais qu’il fallait qu’elle fasse « comme elle peut ». Forcément un salarié investi, consciencieux, finira par faire « comme il peut » s’investira sans compter pour répondre aux attentes de l’entreprise quitte à se rendre malade. Car son travail a un sens auquel l’organisation du travail de son entreprise ne répond pas.

 

Les Cahiers Lamy du CSE : Comment doit selon vous être menée l’enquête en cas de signalement d’une situation de souffrance au travail et comment assurer sa transparence ?

J. A. : le déclenchement de l’enquête intervient après le signalement de harcèlement moral. La mise en place d’une commission constitue le premier réflexe. Par expérience, sa composition ne doit pas être figée. Le choix d’une composition à géométrie variable est une garantie de bon fonctionnement car chaque situation est différente et appellera des acteurs différents (référent RH ou CSE, représentant du personnel, RH, DRH,  psychologue, médiateur…). L’essentiel étant que l’entreprise traite sans délai le signalement. À cette fin, elle peut associer le CSE à travers une information formelle ou non lorsqu’un cas de souffrance au travail est dénoncé. Un simple appel au secrétaire du CSE pour qu’il soit tout de suite informé peut suffire. ensuite, dans une second temps, l’inscription de cette question à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CSE permet au comité d’assurer le suivi du dossier. La communication est essentielle ! elle est capitale pour que la résolution du problème soit efficace. en agissant de la sorte, la direction de l’entreprise et la DRH donnent une inflexion à la procédure la plus transparente possible. C’est aussi un moyen d’éviter la suspicion naturelle qui peut être portée par les parties. Lorsque l’enquête est terminée, un rapport est remis. Il permet de rendre objective une situation par nature subjective, dans laquelle il peut y avoir beaucoup d’émotions, de ressentis. Cette enquête est donc primordiale pour démarrer
le process avec l’intervention des acteurs qui sont compétents pour agir. La question se pose de la transparence de l’enquête lorsqu’elle conclue au harcèlement et entraine le licenciement de la personne mise en cause. Si l’entreprise ne peut pas utiliser l’enquête à l’appui de ses démarches, elle risque d’être condamnée devant le conseil de prud’hommes saisi par le salarié. Il me paraît indispensable d’envisager entre direction et CSE une information sous la forme d’un point de suivi. Cette information partagée sera prompte à développer le dialogue et à limiter aussi les expertises diligentées par le CSE dans ce domaine.

G. N. : L’enquête doit être menée en coopération avec un représentant de la direction et un représentant du personnel car la méfiance des salariés est réelle. Souvent le réflexe de la direction est de convoquer la victime et de lui proposer une rupture conventionnelle lorsqu’elle se rend compte que la situation est inextricable. Il est effectivement à ce moment-là trop tard, la victime ne souhaitant plus revenir dans l’entreprise. Cette méthode est bien sûr à proscrire car, non seulement elle ne résout rien mais surtout elle empêche la recherche préventive de solution.

 

Les Cahiers Lamy du CSE : Quelles sont selon vous les éléments à prévoir dans la mise en place d’une procédure de signalement et de résolution des cas de souffrance au travail ?

G. N. : L’instauration d’une procédure requiert quatre étapes : premièrement un accord entre la direction et les IRP sur la question de la souffrance au travail car ce cadre va créer les conditions d’une coordination laquelle va générer une coopération. Deuxièmement, il faut impérativement une formation plus particulièrement des managers, tant psychologique que juridique sur cette question de la souffrance au travail. Troisièmement il faut prévoir une commission à géométrie variable pour s’adapter à chaque situation et qui interviendra pour mener l’enquête. enfin, quatrièmement il ne faut pas hésiter à faire intervenir un tiers en cas de situations exceptionnelles pour aider à la résolution du problème comme un psychologue ou un médiateur.

J. A. : Il est très rare que des accords soient signés sur la résolution des problèmes de souffrance au travail. La raison en est simple : en signant de tels accords, les délégués syndicaux ont l’impression qu’ils exonèrent l’employeur de toute responsabilité. La charte ou l’accord qualité de vie au travail sont des outils plus privilégiés par les partenaires sociaux pour intégrer cette thématique. Je rejoins Gérard Neis sur les éléments de la procédure à mettre en place. Ce qui est sûr, c’est que l’on ne peut pas copier/coller une procédure de résolution de conflit « type » retenue par une entreprise sur une autre. Chaque environnement d’entreprise est unique avec son histoire, sa pratique du dialogue social, sa population… Il faut donc des outils adaptés qui répondent à la culture de ces entreprises.

 

« En cassant le cadre spatio-temporel du travail, le télétravail déstabilise et éclate les collectifs de travail »

 


Julia Auriault

Médiateur professionnel et Avocat associé, Paris

Médiatrice CMAP Ellipse Avocats Paris


Après l'obtention du CAPA et une expérience au sein de la Cour d'appel de Paris en qualité d'assistante de justice, Julia Auriault intègre le cabinet parisien Barthélemy & Associés en janvier 2004 au sein d'une équipe dédiée à toutes les branches du contentieux en matière sociale (contentieux individuel, collectif, social et pénal) et plus particulièrement à la protection sociale. Elle poursuivra son activité au sein du cabinet CVML avant de créer son cabinet.Chargée d'enseignement à Paris 2 Panthéon Assas. Julia Auriault intègre en décembre 2019, le Cabinet ELLIPSE AVOCATS Paris en qualité d'associée et développe la prévention des RPS et harcèlements moral et sexuel par la mise en oeuvre de process et de formations adaptées à la culture spécifique de chaque groupe ou entreprise. Son expertise : le droit social, le contentieux, l'accompagnement des équipes RH et des équipes dirigeantes dans la gestion des relations individuelles et collectives de travail. La résolution des conflits individuels et collectifs en qualité de médiatrice.

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