XS
SM
MD
LG
XL
Droit du Travail
par Axel Elleaux

Le juge a tranché : le congé parental d’éducation ne fait pas perdre les droits à congés payés !


La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt, publié au bulletin, le 13 septembre 2023, n° 22-14.043, dans lequel elle s’aligne sur la jurisprudence de la CJUE selon laquelle les droits à congé payé acquis avant un congé parental sont reportés à la date de reprise du travail.

En l’espèce, une salariée a bénéficié de plusieurs suspensions de son contrat de travail, elle a été :

-en absence pour cause de maladie, puis en congé pathologique et prénatal du 1er au 19 août 2018 ;

-en congé maternité du 20 août 2018 au 16 février 2019 ;

-puis en congé parental d’éducation total à compter du 17 février 2019.

Elle a ensuite conclu une rupture conventionnelle avec son employeur le 31 octobre 2020.

La salariée a donc bénéficié de suspensions successives de contrat du 1er août 2018 au 31 octobre 2020.

Elle a saisi le 25 mars 2021 le conseil de prud’hommes de Chambéry pour obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice pour 43 jours de congés payés acquis avant le début de son congé parental et qu’elle n’avait pas pu prendre.

Le 8 mars 2022, la juridiction prud’homale, en dernier ressort, a débouté la salariée de sa demande en paiement de l’indemnité compensatrice de congé payé.

La salariée forme un pourvoi en cassation contre la décision en arguant que les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont, selon ses allégations, maintenus dans leur état jusqu’à la fin du congé parental.

Les droits à congés payés acquis avant la prise du congé parental d’éducation sont-ils reportés à la date de fin du congé parental d’éducation ?

La chambre sociale de la Cour de cassation, par la technique de la motivation enrichie, commence par rappeler l’intérêt de cette question avant de répondre que le salarié bénéficie du report de ses droits à congé payé à la date de fin du congé parental d’éducation.

  1. La perte originelle des droits à congés payés pendant la durée du congé parental d’éducation

La chambre sociale de la Cour de cassation avait d’abord considéré dans un arrêt du 28 janvier 2004, n° 01-46.314, que puisque la décision du salarié de bénéficier d’un congé parental d’éducation s’impose à l’employeur, il est rendu impossible, par le salarié, l’exercice de son droit à congé payé avant l’expiration de celui-ci.

En effet, le salarié génère deux jours et demi ouvrables de droits à congé payé par mois de travail effectif selon l’article L3141-3 du Code du travail, ce qui fait un total de trente jours par an. Ces congés payés doivent être pris tous les ans au sens de l’article L3141-1 du Code du travail. Or, en cas d’impossibilité de prendre ces congés, notamment en cas de rupture du contrat de travail, le salarié a droit à une indemnité de congés payés équivalente aux congés non pris (article L3141-24 du Code du travail).

La Cour avait alors considéré que la prise du congé parental d’éducation total (c’est-à-dire qui provoque la suspension du contrat et pas seulement la réduction du temps de travail), dont la durée initiale est d’un an au plus avec possibilité de prolongation (article L1225-48 du Code du travail), met dans l’impossibilité le salarié de bénéficier de ses congés payés, puisqu’ils ne peuvent plus être pris en principe après une période de référence égale à une année.

Toutefois, la Cour retient dans cet arrêt de 2004 que, puisque la décision du salarié de bénéficier d’un congé parental d’éducation s’impose à l’employeur, il résulte que le salarié a lui-même rendu impossible l’exercice de son droit à congé payé et qu’il ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés.

Ainsi, pour bénéficier de tous ses congés, le salarié devait scrupuleusement s’assurer que les droits à congé payé acquis avant le congé parental d’éducation n’arriveraient pas à expiration avant la date de fin du congé parental d’éducation.

  1. La consécration du report des droits à congé payé à la date de retour du congé parental d’éducation

 

  1. Prémices de la consécration

La clause 5 (§2) de l’accord-cadre annexé à la directive européenne du 8 mars 2010, 2010/18/UE, dispose que « les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du congé parental sont maintenus en l’état jusqu’à la fin du congé parental. »

La Cour de justice de l’Union européenne considère alors qu’il s’agit d’éviter la perte ou la réduction des droits dérivés de la relation de travail, acquis ou en cours d’acquisition et de garantir que le travailleur se retrouvera dans la même situation à son retour de congé parental que celle dans laquelle il était antérieurement audit congé. (CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-537/07, §39)

Ainsi, dans une affaire à propos de la législation autrichienne, la CJUE considère que les congés payés annuels acquis avant le départ des salariés en congé parental doivent être conservés. (CJUE, 22 avril 2010, aff. C-486/08)

Par ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 13 juin 2012, n° 11-10.929, qu’il appartenait à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli les diligences qui lui incombent légalement.

Les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et celle de la Cour de cassation faisaient alors pressentir un revirement de la Cour de cassation sur ce sujet.

  1. Finalisation et portée de la consécration

La Cour de cassation consacre le report des droits à congés payés acquis avant le congé parental d’éducation à la date de retour du congé parental d’éducation en interprétant les articles L3141-1 et L1225-55 du Code du travail à la lumière de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010.

Ce revirement a une portée assez importante puisque l’arrêt porte sur des faits antérieurs au 11 mars 2023.

En effet, cette date marque l’entrée en vigueur de la loi d’adaptation au droit de l’Union européenne, n° 2023-171, du 9 mars 2023. Cette loi modifie l’article L1225-54 du Code du travail en ces termes : « le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis avant le début du congé [parental] ». La généralité de la formule laisse penser qu’elle couvre tous les droits relatifs à la relation de travail, et notamment les droits à congé payé.

Ainsi, cette interprétation vaudra également pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2023 et tous les salariés à qui le bénéfice des droits à congé payé a été refusé à la date de retour du congé parental d’éducation pourront demander une indemnité compensatrice de congé payé.

Cette décision doit être prise avec la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, n° 22-11.106, FPBR, selon laquelle la prescription de 3 ans, applicable à l’indemnité compensatrice de congé payé, ne court pas si l’employeur n’a pas mis le salarié en mesure de prendre ses congés payés.

Dès lors, il faudra s’attendre à ce qu’il y ait des cas où le bénéfice des droits à congé payé a été refusé au salarié à la date de retour du congé parental d’éducation et que ce refus de la part de l’employeur empêche la prescription de courir permettant au salarié de réclamer des indemnités de congés payés longtemps après les faits.

Nota bene : le congé parental d’éducation n’est cependant pas compté dans le calcul des droits à congé payé.

Pour aller plus loin : L’incidence d’un arrêt de travail sur l’acquisition des droits à congés payés : chronique d’une mort avérée.

congés payés


Axel Elleaux

Juriste,

Ayant découvert le droit social lors d'une expérience au sein de l'association Bordeaux Junior Conseil et en licence de droit des entreprises, j'ai décidé d'approfondir mes connaissances dans ce domaine en intégrant le master Droit de l'emploi et des relations sociales à l'Université de Bordeaux. Dans une optique de professionnalisation, j'ai réalisé un stage de 2 semaines au sein du cabinet ELLIPSE AVOCATS à l'issue duquel j'ai conclu un contrat d'alternance avec le même cabinet.

Contactez nous

Obtenez le meilleur conseil
en droit du travail pour votre entreprise

Obtenir du conseil

Confidentialité et réactivité
Nos avocats interviennent partout en France

Continuer
La lecture