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Droit du Travail
par Axel Elleaux

Peut-on llicencier un salarié pour des faits tirés de sa vie privée ?


Cas d’école devenu réalité, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que la grève des salariés pour manifester leur désaccord avec la réintégration dans l’entreprise d’un salarié condamné pour agression sexuelle sur mineur justifie le licenciement de ce dernier. (Cass. Soc., 13 avril 2023, n° 22-10.476, inédit)

Dans les faits, un salarié a été incarcéré du 25 octobre 2013 au 10 novembre 2016 en raison de sa condamnation pour agression sexuelle sur mineurs commis à l’occasion de ses activités d’entraîneur de football.

Après avoir repris son poste le 14 novembre 2016 puis avoir été en arrêt de travail du 15 novembre 2016 au 27 mars 2017, une quarantaine de salariés de l’entreprise ont tenu un piquet de grève les 27 et 28 mars 2017 pour manifester leur mécontentement quant à la réintégration de ce salarié.

Le salarié a alors été licencié le 7 avril 2017 avec dispense de préavis pour trouble objectif causé au bon fonctionnement de l’entreprise.

L’affaire a été portée à la connaissance de la chambre sociale de la Cour de cassation suite au pourvoi formé par le salarié contre un arrêt de la cour d’appel de Reims du 16 décembre 2020 qui le déboutait de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié considère que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse puisque, d’une part, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie privée et, d’autre part, qu’il a été victime d’une manifestation orchestrée par l’employeur à son encontre.

La Cour de cassation confirme la décision d’appel et indique que le licenciement fondé sur des faits tirés de la vie privée du salarié est normalement injustifié, sauf lorsque le comportement du salarié a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise.

  1. L’interdiction rappelée de fonder le licenciement sur un fait tiré de la vie privée du salarié

La Cour de cassation rappelle qu’en principe, « il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié ».

En effet, ce principe, énoncé pour la première fois dans l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 20 novembre 1991, n° 89-44.605, vise à garantir une immunité disciplinaire au salarié quant à sa vie privée, protégée par l’article 9 du Code civil. L’idée est de cantonner le pouvoir disciplinaire de l’employeur au fonctionnement de l’entreprise et de protéger le salarié lorsqu’il n’est plus dans l’exercice de ses fonctions.

La Cour de cassation est allée parfois, pour asseoir cette protection, jusqu’à affirmer qu’un tel fait ne pouvait pas être constitutif d’une faute (Cass. Soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326), sapant alors toute possibilité de sanction du salarié, au-delà du licenciement.

Toutefois, la limite entre vie privée et vie professionnelle n’est pas étanche au point de protéger le salarié en tout état de cause.

  1. Le trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise justifiant le licenciement fondé sur des faits tirés de la vie privée du salarié

La Cour de cassation précise que la protection du salarié contre le licenciement pour des faits tirés de sa vie privée ne vaut pas « lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise ».

La voie présentée, intéressante pour le licenciement de salariés dont le comportement déborderait sur la vie de l’entreprise, nécessite d’établir l’existence d’un trouble bien réel, matériellement vérifiable (Cass. Soc., 30 juin 1992, n° 89-43.840 ; Cass. Soc., 16 septembre 2009, n° 08-41.837).

Il faut noter que les juges se montrent exigeants sur la caractérisation de l’existence d’un trouble objectif. Ainsi, dans une affaire où un salarié, embauché comme garde-malade par une association chargée de l’accueil et de la prise en charge de personnes handicapées mentales, avait été licencié à la suite des violences qu’il avait exercées sur sa femme et son fils, la cour d’appel et la Cour de cassation ont estimé que « les éléments produits par l’employeur ne permettaient pas de caractériser l’existence d’un trouble objectif » (Cass. Soc., 1er février 2017, n° 15-22.302).

La comparaison entre cette affaire et celle qui retient notre attention nous permet de considérer que c’est la tenue d’un piquet de grève par une quarantaine de salariés de l’entreprise, paralysant son activité, qui permet la caractérisation du trouble objectif au sein de l’entreprise et non la nature pénale des faits commis par le salarié condamné.

La chambre sociale enfonce le clou en indiquant que l’arrêt d’appel « constate que les faits ont suscité un émoi durable et légitime au sein de la ville ». Ainsi, la condamnation pénale est la cause du licenciement parce qu’elle est à l’origine de la grève empêchant le salarié de reprendre durablement son travail.


Axel Elleaux

Juriste,

Ayant découvert le droit social lors d'une expérience au sein de l'association Bordeaux Junior Conseil et en licence de droit des entreprises, j'ai décidé d'approfondir mes connaissances dans ce domaine en intégrant le master Droit de l'emploi et des relations sociales à l'Université de Bordeaux. Dans une optique de professionnalisation, j'ai réalisé un stage de 2 semaines au sein du cabinet ELLIPSE AVOCATS à l'issue duquel j'ai conclu un contrat d'alternance avec le même cabinet.

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