par Benoît Dumollard
Une erreur répétée de paie devient une prime contractuelle
La question des erreurs de paie au bénéfice du salarié se pose régulièrement lorsqu’il s’agit de savoir si le salarié peut revendiquer éventuellement le droit de conserver le bénéfice des sommes qu’il a reçues par erreur de la part de son employeur.
La règle applicable est fondée sur les principes généraux du code civil qui prévoient que tout paiement supposant une dette, ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
Autrement dit, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. Le principe civiliste paraît très clair, mais force est de constater que son application en droit du travail peut parfois laisser la place à l’interprétation.
La portée de ce principe a été nuancée à l’occasion d’un arrêt de la Cour de cassation (Chambre sociale, 13 décembre 2023, n°21-25.501) dans lequel l’employeur n’a pas pu obtenir de remboursement à la suite du versement à un salarié de deux primes fondées sur un accord d’entreprise dans le cadre duquel il n’aurait pas dû en bénéficier.
En l’espèce, il convenait de se prononcer sur le fait de savoir si des primes versées de manière répétée par erreur pouvaient conduire à un droit définitivement acquis pour le salarié.
Les juges ont répondu positivement en retenant que, l’employeur ayant versé pendant plus de sept années de façon continue à un salarié des primes d’équipe et de casse-croûte, auxquelles celui-ci, faute de travailler en équipe, ne pouvait prétendre, cela équivalait à une contractualisation desdites primes.
Dans cette affaire, le raisonnement des juges s’est appuyé sur le principe de la fixation du montant du salaire, élément contractuel essentiel, qui ne peut pas être modifié de manière unilatérale par l’employeur, ce qui n’est pas contestable en soi et reste aussi un principe civiliste.
Mais cette décision va clairement à l’encontre du principe de la répétition de l’indu et plus largement se trouve en contradiction flagrante avec l’impossibilité, en particulier pour un salarié, de se prévaloir d’un enrichissement sans cause.
En toute rigueur, ce n’est pas la répétition de l’erreur en elle-même qui aurait dû être l’élément déterminant, mais plus exactement le fait de savoir si l’employeur avait pu avoir réellement connaissance de cette situation, en apportant des éléments de preuve factuels, et ce faisant l’aurait acceptée de manière au moins tacite.
Ce n’est pas le raisonnement qui a été suivi dans cette affaire puisque le seul écoulement du temps a suffi à les convaincre, l’employeur ne pouvant pas ignorer sa propre erreur ou en tout cas celle de son service paie, voire du paramétrage de son logiciel. Cette décision n’a pas fait néanmoins l’objet d’une publicité dans les arrêts de la Cour de cassation et pourrait donc rester une simple décision isolée.
Le fait que l’erreur se soit produite sans discontinuer a sans doute pesé dans la décision finale. Par ailleurs, comme il s’agit de primes issues d’un accord d’entreprise, il serait intéressant de savoir si la position serait identique pour de primes conventionnelles de branche.
Il n’en demeure pas moins que ce précédent impose quand même à l’employeur de rester vigilant sur les éventuelles erreurs ou négligences en matière de paie qui peuvent se produire en pratique à ses dépens, au risque de devoir le payer au prix fort…
A partir de combien d’années ou de mois écoulés la répétition ininterrompue d’une erreur de paie deviendrait-elle un droit acquis pour le salarié ?