par Sébastien Millet
2015, une année de transition pour les régimes complémentaires d’entreprise : la fin d’une époque ?
Les employeurs et leurs salariés assistent actuellement à une (r)évolution à marche forcée du paysage des régimes complémentaires de frais de santé et de prévoyance dans les entreprises, avec en toile de fond, l’asphyxie du modèle français de protection sociale. A la veille d’un mouvement national des entrepreneurs, jamais l’environnement juridique n’aura été aussi ici contraint pour les entreprises, à une époque où l’on aspire pourtant à une simplification pour libérer la compétitivité et favoriser les créations d’emploi.
Dans la période actuelle où les budgets des entreprises dédiés au financement de la protection sociale complémentaire des salariés sont au mieux gelés, l’alternative se résume soit à subir l’interventionnisme étatique, les incessantes évolutions réglementaires, et le renchérissement des couvertures imposées par les organismes assureurs ; soit à chercher à optimiser au mieux les systèmes de garanties. Cette démarche nécessite toutefois une forte expertise à la fois juridique et assurantielle. L’ingéniérie dans ce domaine s’avère de plus en plus sophistiquée, avec en arrière-plan cette fois, le risque de remise en cause des exonérations sociales en cas de contrôle URSSAF tant les exigences réglementaires sont de nature à faciliter les requalifications. A cela s’ajoute le risque de passif social pour l’entreprise face au développement du contentieux à l’initiative de salariés ou d’anciens salariés. [1]
Voici un bref panorama de ce qui attend les entreprises en 2015. D’emblée, disons que les employeurs ne peuvent rester passifs et devront mettre en œuvre un plan d’actions adapté à leur situation.
- Tout d’abord, ils devront veiller à la conformité des couvertures existantes (santé, prévoyance et retraite supplémentaire) avec les conditions prévues pour bénéficier d’exonérations sociales, tant sur le plan du formalisme que des pratiques. En particulier, ces règles viennent à nouveau d’être modifiées par un décret de « toilettage » n° 2014-786 du 8 juillet 2014 concernant l’exigence de caractère collectif et obligatoire des régimes complémentaires. La conformité avec ces nouvelles règles peut nécessiter des mesures d’adaptation, alors même que la période de mise en conformité laissée aux entreprises venait de s’achever quelques jours auparavant, le 30 juin 2014 …
- Après avoir intégré les modifications du dispositif de portabilité concernant les complémentaires santé au 1er juin 2014, ce sera le tour les régimes de prévoyance (garanties « risques lourds ») au 1er juin 2015. La légalisation du dispositif [2] a pour conséquence de s’imposer à tous les employeurs quel que soit le secteur d’activité. Cela nécessitera au niveau de l’entreprise d’avenanter, selon les procédures idoines, l’acte fondateur des garanties (décision unilatérale le plus souvent) ainsi que le contrat d’assurance. La généralisation du système de financement mutualisé et l’allongement de la durée de maintien de garanties auront pour conséquence une revalorisation mécanique du tarif d’assurance qui sera anticipé dès les propositions de renouvellement 2015.
- Les employeurs devront également suivre de près les négociations de branche, dans la mesure où leurs obligations conventionnelles risquent d’être sensiblement impactées, d’une part, du fait de la généralisation des complémentaires santé, et d’autre part, de la disparition progressive des clauses de désignations imposées [3], au profit de mécanismes de recommandations d’organismes assureurs [4]. De grandes manœuvres sont en cours dans le monde de l’assurance collective de personnes (rapprochement d’organismes ; offres visant à prendre de nouvelles parts de marché), dans la mesure où les entreprises sont appelées, au nom de la liberté d’entreprendre, à avoir le libre choix de leur prestataire. Là aussi, tout restera une question de coût car en pratique, certaines entreprises ayant un « mauvais risque » auront intérêt à rester dans le périmètre de la mutualisation de branche … N’oublions pas en outre que si la LFSS pour 2014 avait été retoquée par le Conseil constitutionnel, celui-ci n’a pas interdit que le forfait social puisse être à l’avenir modulé dans des conditions plus raisonnables afin de favoriser les entreprises jouant le jeu de la solidarité professionnelle [5].
- L’impact majeur va concerner les garanties de frais de santé, puisque à partir du 1er janvier 2016, toute entreprise devra couvrir ses salariés dans le cadre d’un panier de soins minimum[6]. Son contenu a été récemment fixé par un décret n° 2014-1025 du 8 septembre 2014. Les entreprises ne disposant pas encore de couverture santé pour l’ensemble de leur personnel (bien que cela soit obligatoire pour bénéficier des exonérations sociales) devront s’équiper ; les autres devront se mettre en conformité si nécessaire. A cet égard, si le panier de soins est minimaliste, se posera en revanche la question du financement, sachant que la loi impose une participation patronale au moins pour moitié. Or, la rédaction ambigüe de la loi laisse place à interprétation, entre les partisans de la thèse selon laquelle l’employeur ne serait tenu de financer à hauteur de 50% que les garanties correspondant à la couverture minimale, et ceux estimant que cette obligation doit au contraire s’appliquer quel que soit le niveau des garanties. En ligne de mire, se profile le risque de conduire les entreprises à réduire considérablement leurs engagements courant 2015. Le souhait vertueux d’assurer à tous les salariés une couverture minimale risque de conduire à « niveler par le bas » les garanties pour tous. En tout état de cause, bénéficier d’une couverture santé confortable constituera de plus en plus un élément important du point de vue de la fidélisation du personnel.
- Dans ce prolongement, il convient enfin d’intégrer la mise en conformité des garanties santé avec le cahier des charges du contrat « responsable », qui vient se superposer au panier de soins minimum, mais en y ajoutant certaines exigences de plafonds de remboursement (notamment en optique). Un décret d’application annoncé par la LFSS pour 2014 vient d’être publié le 18 novembre 2014 [7]. Il était particulièrement attendu, à tel point que le législateur a dû intervenir cet été [8], afin de reporter la date d’entrée en vigueur du dispositif, initialement prévue pour le 1er janvier 2015. Cette échéance était matériellement impossible à tenir pour les organismes assureurs, qui devront adapter l’ensemble de leur portefeuille de contrats santé. Alors que l’enjeu est de taille et aurait mérité une sécurité juridique renforcée (la non-conformité du contrat entraînant en effet la perte du bénéfice des exonérations de cotisations sociales et l’application à taux plein de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance), un dispositif inutilement complexe –et pour le moins alambiqué- a été au contraire mis en place concernant la date à laquelle ces nouvelles exigences seront opposables aux entreprises. Chaque entreprise doit donc dès à présent étudier quelle est précisément sa situation afin de prendre les arbitrages nécessaires auprès de ses salariés et de son organisme assureur. En l’état des textes, une vigilance particulière sera requise en cas de révision de la l’acte fondateur du régime, cette mesure étant de nature à rendre immédiatement applicable le nouveau contrat responsable. Face aux incertitudes créées par ce dispositif, une nouvelle circulaire administrative est attendue pour venir clarifier l’interprétation des textes.
Dans cet environnement, il est à craindre qu’à terme, une fois que cette généralisation sera intervenue et que toutes les entreprises seront équipées de manière obligatoire, la prochaine étape soit par exemple la baisse des plafonds d’exonération sociale de manière à les cibler sur la couverture minimale. La tentation est forte et le contexte favorable à la remise en cause des « niches » sociales et fiscales. La question est d’ailleurs autant plus permise que les contributions patronales en matière de complémentaire santé ne sont déjà plus déductibles fiscalement pour les salariés [9] … Si tel devait être le cas, seules les entreprises les plus riches pourraient alors continuer à pratiquer des niveaux de couverture supérieurs, en « sursalaire ». Bien sûr il s’agit là de prospective.
Quelles que soit la nature de ces évolutions institutionnelles, la tendance est au renchérissement très net des couvertures, en sorte que les employeurs et leurs salariés ont un intérêt commun à rechercher le meilleur rapport garanties/ cotisations de manière à conserver un juste équilibre financier. La révision à la baisse des garanties sera parfois le prix à payer pour assurer la pérennité des couvertures sur le long terme.
[1] Même s’il faut relever ici que depuis 2013, la jurisprudence est venue opportunément sécuriser les entreprises concernant la problématique majeure, sur le terrain du droit du travail, liée à l’application de l’égalité de traitement dans le domaine de la protection sociale complémentaire (cf. Cass. Soc. 13 mars 2013 ; Cass. Soc. 30 avril 2014 ; Cass. Soc. 9 juillet 2014).
[2] Cf. CSS, L911-8 (dispositions d’ordre public)
[3] Cf. Conseil Constitutionnel, décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013
[4] Cf. Nouvel article L912-1 du Code de la Sécurité sociale issu de la LFSS pour 2014 n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 (décrets d’application à paraître)
[5] Conseil constitutionnel n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013
[6] Cf. CSS, L911-7 (dispositions d’ordre public)
[7] Décret n° 2014-1374 du 18 novembre 2014
[8] Cf. loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2014
[9] Cf. Loi de Finances pour 2014 n° 2013-1278 du 29 décembre 2013
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