par Jean-Michel Bernad
Le comité social économique : back de the trees
En janvier 2023 la CFDT, avec l’IRTS, a publié une étude critique sur les CSE : « L’ordonnance de 2017 sur les CSE : un affaiblissement de la démocratie sociale en entreprise »
Le constat, tiré de l’expérience de 3000 élus, souligne la multiplication des sujets à traiter par cette instance assortie d’une diminution des moyens, le tout générant usure et démotivation des élus.
Lors des rencontres RH du 6 juin 2023 organisées par le quotidien « Le Monde » des DRH et spécialistes du sujet ont débattu des conséquences de la réforme de 2017 sur le dialogue social.
A cette occasion les DRH présents ont souligné que la centralisation des échanges dans une instance unique a, selon eux, amélioré le fonctionnement et l’efficacité du dialogue social tout en constatant la difficulté des élus à faire face à une augmentation des sujets à débattre, avec des dossiers de plus en plus complexes.
Lors de ces rencontres Frédéric REY, sociologue du travail, co-auteur de l’étude précitée de la CFDT a rappelé que « La légitimité des représentants du personnel, c’est d’opposer le travail réel au prescrit imaginé par les directions. Si on leur enlève cette connexion avec le travail réel, on se retrouve avec des représentants fragilisés, (qui ne sont plus) en capacité d’articuler leurs revendications avec la réalité des attentes des salariés ».
Alors que l’année 2023 est celle du renouvellement de nombreux CSE ces constats et analyses présentent un intérêt certain.
Les CSE ont-ils vraiment gagnés en efficacité ou se sont-ils éloignés des réalités du travail ?
Les membres élus du CSE sont-ils usés par la multiplication des sujets complexes et le manque de moyen ce qui les éloigne de leurs collègues de travail et électeurs ?
Les constats partagés sur certains points et divergents sur d’autres nous incitent à proposer une grille de lecture complémentaire ainsi qu’une proposition de méthode.
Quand la forme prend le dessus sur le fond
Il nous semble logique que des DRH, qui plus est représentants de groupes structurés, fassent le constat d’un gain d’efficience du CSE lorsqu’il s’agit de mener des dossiers complexes qui nécessitaient, avant 2017, de consulter alternativement CE et CHSCT et de subir les expertises demandées par les deux instances représentatives.
Il est tout aussi logique que direction et membres du CSE se retrouvent sur le constat partagé d’un alourdissement de la tâche pour les membres élus de cette nouvelle institution qui cumule les missions des anciens CE/CHSCT et DP, y compris pour ceux qui ont fait le choix de compléter le dispositif par la création de représentants de proximité.
De toute évidence les sujets techniques et juridiques à analyser et débattre ainsi que les responsabilités se sont multipliés pour les représentants des salariés.
L’augmentation et la sophistication des thèmes obligatoires de consultations du CSE est venue amplifier ce phénomène.
Les ordonnances de 2017, et les textes suivants, ont été en effet l’occasion pour le législateur d’imposer des sujets de consultations obligatoires correspondants à une certaine vision du dialogue social et intégrant en complément, certes à juste raison, des sujets sociétaux importants.
En 2023 une des priorités de tout DRH en charge du bon fonctionnement des instances est de check lister et d’organiser les consultations légales obligatoires et récurrentes (orientations stratégiques de l’entreprise, situation économique et financière, politique sociale, conditions de travail et emploi…) tout en trouvant les bons créneaux pour consulter sur les sujets ponctuels propres à l’entreprise.
Pour les DRH concernés, les priorités dans la gestion d’un CSE d’une entreprise de plus de 300 salariés portent trop souvent sur l’organisation du bon déroulement des consultations obligatoires et la réponse aux demandes d’expertises et enquêtes émanant des élus.
Dans une telle configuration :
- Les prescriptions législatives et réglementaires conduisent les entreprises à traiter les sujets en partant d’un thème (« emploi précaires ») que l’on qualifie, que l’on quantifie et que l’on tente d’analyser et de suivre
- L’analyse des données, la pertinence des chiffres et les évolutions constatées mobilisent temps et énergie
De retour dans les bureaux et ateliers les élus sont souvent en difficultés pour expliquer de quoi ils ont débattu pendant une journée de réunion.
Les DRH de retour vers leurs collègues cadres vivent la même difficulté à passionner leur auditoire sur les sujets traités en CSE.
Dans une telle configuration les élus, mais aussi les représentant de la direction, sont bien en peine pour conserver un lien direct avec la réalité opérationnelle de l’entreprise et le « travail réel ». Dans les configurations les plus dégradées les échanges se focalisent sur des sujets formels (délais, supports…) au détriment du fond.
Depuis 2017 la déconnexion entre les instances représentatives du personnel et le corps social que constitue l’entreprise s’est accentuée.
Or les CSE, lieu de débat sur les réalités économiques et sociales de l’entreprise présente une utilité pour tous les acteurs qui la constituent.
« Back to the trees » : et si on parlait en toute priorité de ce qui se passe concrètement dans l’entreprise ?
Notre expérience dans le traitement des dysfonctionnements du dialogue social nous conduit à proposer une approche dont l’efficacité a pu être validée sur le terrain.
Sans pour autant adopter la posture passéiste de l’oncle Vania dans l’œuvre magistrale « Pourquoi j’ai mangé mon père » de Roy Lewis, nous sommes tentés, comme lui, de proposer de revenir à la source !
Une proposition simple : En début de mandature, puis au début de chaque année, pourquoi ne pas présenter aux élus du CSE, sous la forme d’un tableur ou d’un tableau que l’on fera vivre, les projets et actions programmées dans les différents services.
De l’évolution souhaitée des plannings pour les commerciaux à la mise en service programmée d’un nouveau produit dans les ateliers…les sujets ne manquent pas et permettent de construire concrètement une vision partagée de ce qui touche au travail et aux conditions de travail.
Cette approche, outre qu’elle propose aux élus de partager sur la vie concrète de l’entreprise et d’y apporter leur contribution, présente l’avantage de revenir à la genèse des textes qui fondent la compétence du CSE.
En effet si la sous-section 3 (articles L 2312-17 et suivants) liste les « consultations et informations récurrentes » citées plus avant, la sous-section 1 « attributions générales », en son article L 2312-8 édicte les compétences premières du CSE, à savoir :
« Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions ;
environnementales de ces décisions.
Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise… »
Les consultations obligatoires et récurrentes ne sont que le rappel par le législateur de quelques figures imposées en complément de la mission générale et permanente édictée par l’article L 2312-8 du code du travail.
Cette approche a également pour ambition de répondre à une question première : à quoi sert le CSE ?
En priorisant la présentation, les débats et les analyses sur les sujets opérationnels de l’entreprise, donc sur la production sous toutes ses formes et le travail dans toutes ses réalités, la direction affiche l’utilité du dialogue social ainsi que la place qu’elle souhaite lui donner.
L’élaboration conjointe de l’ordre du jour du CSE : une gestion par conduite de projet plutôt que par traitement des obligations légales
Si l’on s’inscrit dans la démarche proposée l’élaboration de l’ordre du jour confine à la gestion de projets.
Ayant convenu que les débats et apports sur les sujets concrets de l’entreprise, avec leurs déclinaisons prévention des risques professionnels, conditions de travail, organisation du temps de travail…sont la mission première du CSE, président et secrétaire doivent organiser les débats sur ces sujets.
Pour ce faire il existe un exercice essentiel : l’élaboration conjointe de l’ordre du jour du CSE (article L 2315-29 du code du travail).
Dans la démarche proposée le tableur ou tableau présenté en début d’année devient le fil guide des échanges sur l’ordre du jour.
Bien évidemment cette approche n’évite pas les sujets de frictions et les désaccords qui sont une composante normale du dialogue social.
Il ne s’agit pas d’ignorer les obligations légales de consultations mais bien de les appuyer sur un dialogue social encré sur les réalités partagées de l’entreprise.
En 2023, au vu des constats convergents, l’enjeu majeur nous semble être de recréer du lien entre le CSE et l’entreprise, entre les élus et leurs électeurs, entre les projets portés par l’entreprise et le CSE.
Ce lien, au-delà des déclarations de principe, passe par un travail partagé sur les réalités de l’entreprise au sein du CSE.