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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit de la Santé, sécurité au travail|Droit du Travail|Uncategorized
par Sébastien Millet

Télétravail : gestion des risques professionnels au domicile


Il y a eu un avant, et un après Covid-19 ; sous l’angle du télétravail de crise imposé pour protéger les travailleurs, le télétravail s’est finalement généralisé, puis banalisé. Personne n’aurait pu anticiper un horizon aussi accéléré en termes de temporalité et d’impact ; ce qui aurait probablement pris 15 ans s’est fait en à peine 3 ans.

A présent, le télétravail est plébiscité par les salariés et constitue une donnée d’organisation du travail ancrée dans le dur et les esprits, un « incontournable » de la relation de travail (du moins pour les métiers télétravaillables) et politiques d’entreprise en matière de QVCT.

Il semble assez difficile d’imaginer un retour en arrière, d’autant qu’il s’agit d’un levier d’organisation puissant dans le cadre de la transition environnementale.

Dont acte. Mais cela veut aussi dire que les entreprises vont devoir être plus vigilantes aux conditions de travail, de santé et de sécurité dans le cadre de ces nouveaux modes dits de « travail hybride » (au même titre que dans le cadre des réflexions sur la mise en place de la semaine de 4 jours).

S’il a fallu parfois s’accommoder d’une certaine forme d’improvisation et de « bricolage » lors de la crise sanitaire, le passage à une organisation dorénavant structurelle impose un ensemble de bonnes pratiques d’organisation du télétravail.

 

  1. Le télétravail, une « zone grise » en termes de santé-sécurité ?

Même si sa définition est plus large *, le télétravail est en pratique majoritairement associé au travail depuis le domicile ou le lieu de résidence du salarié.

* Selon la loi, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

A l’intérieur de l’entreprise comme à l’extérieur, le salarié est exposé à divers risques, y compris lorsqu’il exerce son activité professionnelle depuis un lieu privé.

Typiquement, il faut ici autant appréhender les risques physiques (électriques, ergonomiques, équipements, outils, aptitude médicale, addictions, chimiques éventuellement, etc.) que les facteurs de risques psychosociaux (isolement, autonomie, charge de travail, déconnexion, management, stress, outils de contrôle voire de surveillance, conflits d’articulation avec la vie familiale, etc.).

La problématique est d’ailleurs accrue lorsque le télétravail est accompli depuis un tiers lieu situé par exemple à l’étranger … (généralement, les entreprises ont prévu des restrictions et ne sont pas permissives sur ce terrain compte tenu des problématiques juridiques que pose cette forme de « mobilité sauvage », notamment en termes de risques et de couverture sociale).

En tout état de cause, si en marche normale la possibilité de télétravailler constitue un avantage, le volontariat ne doit pas se faire au détriment de la sécurité. En attendant une prochaine directive européenne annoncée sur le télétravail, rappelons qu’au regard du droit national, le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise

A l’inverse, l’octroi du télétravail mérite d’être conditionné à des garanties minimales d’aménagement permettant de garantir la protection de la santé et de la sécurité.

 

  1. Le particularisme du télétravail n’élude pas l’obligation de sécurité

En situation de télétravail, le salarié reste placé sous le lien de subordination juridique vis-à-vis de son employeur, lequel doit veiller au respect de son obligation légale de sécurité dans toutes ses dimensions.

Bien sûr, il faut tenir compte du particularisme du travail en distanciel.

L’ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail, rappelle d’ailleurs en ce sens que si les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité au travail sont applicables aux salariés en télétravail, « il doit être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée ».

Pour autant, selon la jurisprudence aujourd’hui consacrée, « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail » (encore jugé récemment concernant par exemple l’obligation de suivre la charge de travail du salarié – Cass. Soc. 13 avril 2023, n°21-20043).

Au regard de cette grille de lecture, l’employeur devra être en mesure de démontrer le respect des principes généraux de prévention, à commencer par l’analyse des risques.

L’ANI précité soulignait « l’importance de la prise en compte du télétravail dans la démarche d’analyse de risque visée à l’article L4121-1 du code du travail et qui fait l’objet d’une transcription dans le document unique d’évaluation des risques [et d’une traduction dans le plan d’actions ou le PAPRIPACT]. Le télétravail est une modalité d’organisation du travail qui peut faire l’objet d’une évaluation des risques professionnels adaptée. Cette évaluation des risques peut notamment intégrer les risques liés à l’éloignement du salarié de la communauté de travail et à la régulation de l’usage des outils numériques » *.

* A noter que l’ANSES a lancé en 2022 une campagne de recherches sur l’impact des NTIC sur la santé dans le cadre du télétravail.

Derrière cette définition, on peut toutefois imaginer que l’appréciation des juridictions puisse différer selon qu’il s’agira d’une recherche de responsabilité sur le fondement du manquement à l’obligation de sécurité sur le terrain du droit du travail (ex : dégradation des conditions de travail, inaptitude, harcèlement managérial, burn out, RPS, contrôle du temps de travail *), ou du droit de la Sécurité sociale (faute inexcusable de l’employeur en lien avec un accident du travail)

*A titre d’exemple, il a été récemment jugé concernant un télétravailleur que la charge de la preuve du respect du droit au repos incombe à l’employeur, qui est tenu d’assurer un contrôle des durées maximales du travail (Cass. Soc. 14 décembre 2022, n° 21-18139).

Du point de vue de l’appréciation de la faute inexcusable, la marge de manœuvre de l’employeur n’est en effet pas exactement la même notamment en ce qui concerne le critère de conscience du danger (chaque lieu a sa propre configuration), ou encore s’agissant des mesures de prévention sachant que le domicile privé du salarié est « sanctuarisé » *, ce qui limite les possibilités d’intervention pour l’employeur (ainsi que les représentants du personnel) …

*Cf. droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH ; art. 7 Charte des droits fondamentaux de l’UE). A noter toutefois que dans une affaire emblématique (précédemment commentée), il a été jugé que l’obligation de sécurité et de protection de la santé pouvait primer sur le libre choix du domicile (déménagement dans un lieu très éloigné de l’entreprise et imposant des temps de trajet excessifs – CA Versailles 10 mars 2022, n° 20/02208 ).

On suivra avec intérêt les futurs développements jurisprudentiels sur la question, qui ne manqueront pas d’intervenir compte tenu de l’augmentation mécanique des accidents de télétravail.

 

  1. Une vigilance compte tenu de l’augmentation des accidents de télétravail

Même si cela est mal documenté au plan statistique, ; il est inévitable que le nombre des accidents de télétravail soit amené à augmenter, tandis que les accidents de trajets tendent à diminuer.

Légalement depuis les ordonnances Macron, « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L411-1 du code de la sécurité sociale » (C. Trav., L1222-9, III).

* A noter que le texte n’aborde ni la question des maladies professionnelles, ni des accidents de trajet

Typiquement, la porosité entre la sphère personnelle et professionnelle pose de nombreuses questions au cas par cas : délimitation de l’espace dédié au télétravail (quid des accès aux sanitaires, etc.) ; interférence des activités privées et professionnelles (faire son café, sa machine à laver, etc.) ; etc.

Cela pose la question de la connaissance des accidents et de leurs circonstances, le plus souvent en l’absence de témoin, sachant que l’employeur a l’obligation de déclarer l’accident du travail sous 48 heures sans pouvoir se faire juge de leur caractère professionnel ou non.

* Pour la déclaration des accidents dont sont victimes hors des locaux de l’établissement certains salariés le délai imparti à l’employeur ne commence à courir que du jour où il a été informé de l’accident (cf. CSS, R441-3 – ce texte vise une liste de salariés, dont les travailleurs à domicile, mais pas les télétravailleurs, ce qui constitue une lacune).

Bien entendu, il est possible de formuler des réserves motivées (sous 10 jours francs – possible désormais directement sur le portail net-entreprises.fr), imposant alors à la CPAM d’instruire une enquête. (CSS, R441-6)
Pour être prises en compte, celles-ci doivent porter sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident, ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

A ce sujet, citons 2 décisions récentes qui illustrent le fait que pour la jurisprudence, la présomption d’imputabilité peut être écartée dès lors qu’il est établi que le salarié avait interrompu son activité en télétravail :

  • Soit parce qu’il venait de débadger informatiquement (chute dans un escalier 1 minute après selon les déclarations du salarié – cf. CA Amiens, 15 juin 2023, n° 22/00474) ;
  • Soit parce qu’il s’est déplacé de sa propre initiative hors de son espace à l’extérieur de son domicile (pour trouver l’origine de la panne suite à une coupure accidentelle de connexion internet – CA Saint Denis, 4 mai 2023, n° 22/00884).

 

Pour que l’accident de travail soit reconnu, il incombe alors au salarié de démontrer la matérialité du fait accidentel, de sa survenance par le fait ou à l’occasion du travail et du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel.

Dit autrement, il n’y a pas d’automaticité et tout accident en lien avec une situation de télétravail ne sera pas nécessairement pris en charge et protégé au titre du risque professionnel …

 

*Article publié sur www.preventica.com

 

Pour aller plus loin, vous pouvez lire notre article commentant quelques jurisprudence d’appel récentes en la matière.



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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