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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Télétravail : le point sur la négociation de l’ANI du 26 novembre 2020


Au terme d’une négociation difficile, les partenaires sociaux au niveau national interprofessionnel ont réussi à s’entendre in extremis sur de grandes lignes directrices ; il reste maintenant à signer l’accord, puis à faire procéder à son extension.

La négociation collective a prévalu face à la tentation d’un interventionnisme de l’État.

Tout l’enjeu était en effet d’adapter le cadre général du télétravail, fort du retour d’expérience de la crise sanitaire, aux réalités multiples qu’il représente dans les entreprises.

La particularité du dispositif négocié est de rebalayer les items structurant le télétravail sous le prisme de règles de bonnes pratiques.

L’originalité du dispositif est d’être volontairement assez peu prescriptif, et de mettre à disposition des entreprises un recueil pratique de mesures et de solutions dont la légitimité sera pour ainsi dire présumée.

Cette approche conventionnelle, qui se veut très pragmatique et souple, sous forme d’une « boîte à outils », permettra utilement aux entreprises de définir une organisation du télétravail la mieux adaptée à leur contexte économique et équilibrée sur le plan des garanties sociales.

Tout est dans le titre : un accord « pour une mise en œuvre réussie du télétravail ».

L’accord privilégie ainsi cet objectif et laisse aux entreprises une marge de manœuvre dans l’appréciation des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir (le registre sémantique retenu est volontairement très axé sur l’entreprise « peut », plus que l’entreprise « doit »).

La contrepartie posée est toutefois d’inscrire le thème du télétravail dans le cadre du dialogue social de l’entreprise, en concertation avec les institutions représentatives du personnel.

Il reviendra donc à chaque entreprise de s’en emparer pour décliner à son niveau l’organisation du télétravail, dans un contexte où l’enjeu opérationnel sera prochainement de sortir du télétravail de crise pour revenir à une normalité de fonctionnement.

Cette tâche ne s’annonce pas aisée dans la mesure où la crise a pu ancrer des pratiques et où doctrine administrative actuelle, axée sur le recours massif au télétravail partout où cela est possible, biaise quelque peu la perception du télétravail et nécessite de bien expliquer que cela ne reflète pas un mode d’organisation habituel … A commencer par le fait qu’en marche normale, la possibilité de télétravailler n’est pas un droit et constitue en soi un avantage de souplesse octroyé au salarié.

Cet accord, qui intègre ces deux faces du télétravail (marche courante vs. circonstances exceptionnelles), intervient donc à un moment tout-à-fait opportun.

En particulier, il aborde la question centrale de l’accompagnement des changements organisationnels et de leurs vicissitudes à court et moyen terme, notamment en matière de risques psychosociaux.

Sans entrer dans le détail relativement dense du contenu de l’accord, signalons ici que les considérations liées à la santé, la sécurité et autres conditions de travail sont omniprésentes et constituent une « bande passante » incontournable.

À titre d’exemple :

  • L’entreprise est invitée à réinterroger les pratiques managériales et à favoriser la montée en compétences des managers et des salariés aux évolutions engendrées par le télétravail, notamment via la formation professionnelle ;
  • Une attention particulière est recommandée concernant les salariés en situation de handicap, ceux présentant des problèmes de santé ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante, les aidants familiaux, ainsi que les salariés en situation de fragilité (notamment ceux exposés à des risques de violences intra-familiales, d’addictions) ;
  • L’accord invite à prendre en compte non seulement la situation des salariés en télétravail, mais également de ceux qui travaillent sur site en présentiel (cf. syndrome des bureaux déserts), avec deux visées tirées d’un diagnostic partagé : d’une part, maintenir le lien social et d’autre part, prévenir l’isolement professionnel et ses effets délétères content tenu du risque de distanciation sociale accrue voire de perte de lien social entre des salariés et leur communauté de travail ;
  • Les instances représentatives du personnel, et notamment le CSE, doivent pouvoir continuer à fonctionner normalement (cf. principe d’effet utile de leur mission), et si besoin des modalités adaptées, que facilitent aujourd’hui les nouvelles technologies du numérique, peuvent être mis en œuvre conformément aux dispositions du Code du travail ;
  • S’agissant de l’obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, l’accord énonce de bon sens que l’employeur « ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée », ce qui permettra toujours, du point de vue de la grille de lecture des tribunaux, de nuancer l’appréciation d’éventuels manquements à la lumière de ce postulat. L’accord reconnaît également que, bien qu’elle soit d’ordre légal, la présomption d’imputabilité relative aux accidents de travail pose des difficultés de mise en œuvre pratique en matière de télétravail.
  • Cela étant, l’accord insiste sur l’importance de la prise en compte du télétravail dans la démarche d’analyse de risque susceptible d’être « adaptée », et sa transcription dans le cadre du document unique d’évaluation des risques en temps que modalité d’organisation du travail ;
  • Il est également prévu, en déclinaison des principes généraux de prévention, que l’employeur informe le salarié en télétravail de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail, en particulier, des règles relatives à l’utilisation des écrans de visualisation et de recommandations en matière d’ergonomie, à charge pour le salarié en télétravail d’appliquer correctement ces règles de prévention et de sécurité ;
  • En matière de régulation de la charge de travail, la mise en place du télétravail doit également prendre en compte le droit à la déconnexion, dont l’objectif est le respect des temps de repos et de congé ainsi que la vie personnelle et familiale du salarié (= droit pour tout salarié de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel en dehors de son temps de travail).

Ces dispositions, qui viennent compléter le cadre du précédent ANI du 19 juillet 2005, vont contribuer à sécuriser la démarche des entreprises dans leur organisation du télétravail post covid-19, notamment sur la question de ses angles morts.



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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