Si les précédentes évolutions technologiques avaient été plutôt facilitatrices pour le métier d’avocat, l’arrivée de l’IA générative bouleverse de plein fouet les équilibres. Quelle remise en cause pour notre profession ? Comment s’adapter pour répondre aux nouveaux enjeux et aux attentes des justiciables ?
Si les trois premières révolutions industrielles ont facilité l’exercice de la profession d’avocat, notamment en favorisant les déplacements et en accélérant les communications, les conditions d’exercice n’en ont pas été bouleversées pour autant.
La révolution digitale des années 2000 a même permis à l’avocat de devenir plus efficace dans l’exercice de son métier : en facilitant la recherche juridique dans un premier temps et, plus récemment, en permettant de travailler avec moins de contraintes géographiques. En contrepartie, la règle de droit étant devenue facilement accessible au justiciable, le rôle de l’avocat (comme d’ailleurs celui du médecin) ne se limite plus à dire le droit, mais devient celui d’un avocat stratège. Cette indispensable montée en gamme de la prestation de l’avocat a également permis l’émergence des spécialisations, devenues nécessaires au regard de la complexification de la norme.
L’avocat plaideur est en revanche relativement épargné par ces évolutions. Le Palais de Justice reste en effet un sanctuaire peu concerné par la digitalisation. Le procès de 2024 n’est fondamentalement pas différent du procès du siècle précédent, tant que la profession parvient à lutter pour éviter les audiences « en distancielles ». L’humanité doit rester dans les prétoires : auditionner les parties et plaider par visio-conférence appauvrit indéniablement les débats.
Des avocats stratèges qui doivent avoir le temps de se former
Mais voici que l’IA générative questionne ces évolutions, voire la pérennité de la profession d’avocat. A quoi ressemblera l’avocat de demain, s’il parvient à survivre ?
Premièrement, l’amélioration continue et vertigineuse des outils permettra rapidement de remplacer les juristes et avocats juniors dans les cabinets. L’ensemble des recherches, consultations juridiques de premier niveau, l’évaluation des risques et la rédaction d’actes seront demain réalisés par l’IA générative. Cette évolution inéluctable concerne en premier lieu le droit des affaires. Seul l’avocat stratège et/ou chef d’orchestre sera alors recherché.
Ce qui est inquiétant, car pour devenir un avocat « stratège« , il faut avoir acquis de nombreuses années d’expérience et d’expertise comme juriste puis avocat junior. Si ces postes se font plus rares dans les cabinets au fur et à mesure de l’apparition des nouveaux outils, cela pourrait assécher la montée en puissance des avocats stratèges de demain.
L’intelligence humaine comme fondement de notre métier.
Deuxièmement, lorsque survient un bouleversement, il faut toujours s’en remettre aux fondamentaux. Pour notre profession, il s’agit évidemment de notre serment, au premier rang duquel l’humanité me semble être la pierre angulaire face à l’outil : écouter et rassurer. L’œuvre de Justice ne peut se passer de discernement humain. Certains domaines comme le droit de la famille ou le droit pénal seront moins concernés à court ou moyen terme, car les dimensions humaines d’écoute et d’accompagnement y sont prépondérantes. Mais ces domaines sont d’ores et déjà en sureffectif compte-tenu des besoins et des évolutions normatives.
La profession doit être en capacité, dans les écoles de formation, de mieux orienter les jeunes confrères face aux besoins du justiciable et de former tous les avocats à la compréhension de l’IA, afin d’optimiser la complémentarité des intelligences humaines et artificielles.
Troisièmement, il ne faut pas perdre de vue que l’avocat est un prestataire de services. De nombreux justiciables n’ont ni le temps, ni l’envie, ni les compétences pour appréhender ces outils. L’avocat se doit donc de pouvoir les utiliser pour mieux servir son client avec la question de la valeur ajoutée sur chaque prestation.
Se regrouper pour être plus compétents
Enfin, notre profession libérale est (trop) satellisée, et cette satellisation aura du mal à survivre à ces nouveaux outils. S’il faut lutter contre le financement des cabinets par des capitaux extérieurs afin de conserver notre indépendance, comment assumer les lourds investissements nécessaires pour se doter de ces outils et surtout pour former ses équipes ? Pour ce faire, les avocats devront se regrouper, avec pour objectifs (i) de mutualiser ces investissements et (ii) de former les futurs avocats stratèges.
Notre profession et ses instances doivent dès à présent se projeter sur l’avocat (augmenté) de demain :
- L’avocat de demain sera stratège ou ne sera pas.
- L’avocat de demain sera au service de ses clients ou ne sera pas.
- L’avocat de demain s’associera ou ne sera pas.
