par Sébastien Millet
Cadres en entreprise, un statut social en évolution
L’actualité juridique de ces derniers mois fait apparaître l’amorce d’un mouvement qui tend à atténuer la spécificité du statut juridique des cadres qui, il est vrai, constitue une exception bien française.
Citons tout d’abord la jurisprudence rendue en matière d’égalité de traitement, qui vient rappeler que le fait d’être cadre ou non cadre est sans doute objectif, mais ne constitue pas en tant que tel un critère pertinent pour justifier des différences de traitement en matière d’avantages sociaux, quels qu’ils soient (tout dépend en fait de l’objet de l’avantage concerné, sachant que la charge de la preuve de cette justification pèse sur l’employeur).
Le récent décret n° 2012-12 du 9 janvier 2012 relatif au caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire vient d’ailleurs en tirer toutes les conséquences, notamment en matière de garanties de remboursement de frais de santé.
Dans certains domaines, exit donc la possibilité de réserver l’avantage à l’encadrement. Cela entraîne des conséquences très profondes au niveau de la négociation de branche et de la politique sociale des entreprises, lesquelles sont amenées à devoir –en prévention d’un contentieux– restructurer les avantages non conformes.
Autre indicateur significatif, la Cour de cassation (Chambre sociale) vient, par deux arrêts du 31 janvier 2012, écorner le statut juridique spécifique des cadres en matière de durée du travail.
Concernant le forfait-jours, la position de principe rendue l’importante décision du 29 juin 2011 est confirmée.
Le système du forfait-jours prévu aux articles L3121-43 et suivants du Code du travail n’est pas en soi remis en cause, mais en tant que mode dérogatoire d’organisation du temps de travail, il est bien rappelé qu’il doit pleinement s’inscrire dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur (ce pour quoi l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat).
Sur cette base, il ne suffit pas que la convention individuelle de forfait jours soit conclue en application d’un accord collectif de travail mis en place au niveau de la branche ou de l’entreprise.
Si l’accord collectif se borne à affirmer que les cadres au forfait jours sont tenus de respecter la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire, il est réputé ne pas comporter de garanties de nature à assurer une protection effective de la sécurité et de la santé des travailleurs concernés.
Les juges sont alors fondés à en tirer toutes les conséquences juridiques, en décidant que la ou les conventions individuelles de forfait sont privées d’effet, purement et simplement.
Conséquence directe, le salarié est replacé dans le système de décompte horaire de son temps de travail, dès l’origine, et peut prétendre, conformément au droit commun, au rappel des heures supplémentaires effectuées sur les 5 dernières années …
Les entreprises doivent donc veiller à ce que, tant « sur le papier » (au plan rédactionnel) qu’en pratique (suivi de la charge de travail et de la prise des jours et temps de repos), leur dispositif permet bien de respecter le droit à la santé/sécurité des salariés « forfaités », en s’assurant par des mesures concrètes que le salarié bénéficie bien de ses droits à repos.
Cela, d’autant plus lorsque le salarié fait usage de la possibilité de « travailler plus (au-delà du plafond annuel de 218 jours) pour gagner plus ».
Concernant ensuite les cadres dirigeants qui sont soumis à un régime encore plus dérogatoire en vertu de l’article L3111-2 du Code du travail, la jurisprudence rajoute désormais une condition implicite pour que le cadre puisse être considéré comme « dirigeant » et échapper aux règles sur le décompte de la durée du travail.
Elle considère en effet que les 3 critères cumulatifs visés par la loi (à savoir 1/ un niveau de responsabilités important impliquant une grande indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps + 2/ l’habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome + 3/ une rémunération située dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement) impliquent nécessairement la participation à la direction de l’entreprise.
Autrement dit, le fait de bénéficier d’une autonomie d’organisation et d’une classification au plus haut niveau de la convention collective ne suffisent pas pour être considéré comme cadre dirigeant.
C’est une affaire d’intime conviction et de preuve : au-delà de ce qui est écrit dans le contrat de travail, le ou la salarié(e) participe-t-il (elle) effectivement au quotidien à la direction de l’entreprise ?
Comme le montre cette affaire, le contentieux n’épargne pas ces sphères de responsabilité. Les situations artificielles au regard de la situation de fait sont toujours susceptibles de requalification a posteriori.
Pour éviter l’insécurité juridique, les entreprises doivent donc être vigilantes dans le choix de tel ou tel statut contractuel, les erreurs étant potentiellement lourdes de conséquence financière eu égard au niveau de rémunération de ces salariés (mêmes causes, mêmes effets).
En définitive, ces évolutions nécessitent d’avoir une réflexion renouvelée sur la place de l’encadrement au sein de l’entreprise, afin d’éviter des risques devenus aujourd’hui très importants en terme de gestion sociale, tout en reconnaissant la spécificité de leurs responsabilités fonctionnelles et hiérarchiques.
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