XS
SM
MD
LG
XL
Droit du Travail
par Sébastien Millet

Preuve du harcèlement moral : l’inégalité des armes entre l’employeur, les témoins, la victime et son harceleur


La législation sur le harcèlement moral (ou sexuel d’ailleurs) facilite le travail probatoire du salarié qui prétend être victime de faits de harcèlement.

Compte tenu de la difficulté pour le salarié de démontrer l’existence d’agissements répétés visant à le déstabiliser ou ayant simplement cet effet (ce qui résulte souvent de modes de management individuels très insidieux au quotidien), le Code du travail (art. L1154-1) pose le principe selon lequel il lui incombe simplement d’établir la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement.

Cette preuve peut être rapportée par tout moyen (attestations de témoignages, e-mails, etc … ), ce qui ne veut bien entendu pas dire que tous les moyens soient permis, certains modes de preuve étant illicites, voire pénalement répréhensibles (enregistrement de conversations privées, violation du secret des correspondances, … ).

Ensuite, il incombe à l’employeur, au de ces éléments, de prouver que ces agissements (les siens ou ceux d’un subordonné) ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que le cas échéant, la ou les décisions litigieuses sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur ces bases et en fonction de ce qui lui est fourni de part et d’autre, le juge forme son intime conviction au vu de ces éléments, éventuellement après instruction complémentaire.

Contrairement au droit commun où le demandeur supporte seul la charge de la preuve et doit prouver ses prétentions sous peine d’être débouté, la loi organise ici un partage probatoire d’autant plus favorable à la –prétendue– victime que la prévention des faits de harcèlement est désormais bien rattachée en jurisprudence à l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur.

De l’autre côté de l’échiquier se place l’auteur du harcèlement, face auquel l’employeur ne doit pas adopter l’attitude du « laisser faire » et doit réagir, y compris sur le terrain disciplinaire en prenant toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements.

La jurisprudence adopte dans cette configuration employeur-harceleur une solution diamétralement opposée, considérant  que « les dispositions de l’article L1154-1 ne sont pas applicables lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d’un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral » (Cass. Soc. 7 février 2012).

Autrement dit, l’employeur qui notifie une sanction disciplinaire à l’encontre de l’auteur de faits de harcèlement ne peut fonder la mesure sur des éléments laissant simplement présumer l’existence d’un harcèlement, au motif que l’on ne peut pas en demander plus à la victime.

La mécanique du droit disciplinaire l’emporte et il doit au contraire être en mesure de prouver la matérialité des fautes commises, et leur imputabilité au salarié concerné, d’autant que légalement, le doute profite au salarié (cf. C. Trav., L1133-1).

Il ne faut pas oublier ensuite les témoins, qui occupent une place essentielle en la matière : quid lorsque le harcèlement dénoncé ou relaté est en fait « imaginaire » ?

Ici encore, la marge de manœuvre est réduite pour l’employeur. Selon un second arrêt du 7 février 2012, « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

Ainsi des accusations portées « à la légère » ou l’abus dans la liberté d’expression ne justifient pas en tant que telles la sanction du témoin, à moins qu’il n’y ait eu en fait volonté de nuisance de sa part (vengeance, etc … ).

L’absence de sanction disciplinaire n’interdit pas pour autant au présumé harceleur, passé au stade de victime, de chercher à laver son honneur, via l’engagement de poursuites pénales en dénonciation calomnieuse. Rappelons que ce délit, sévèrement réprimé par l’article 226-10 du Code pénal, est constitué en cas de « dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires (…) ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée (…) aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée ».

Morale de l’histoire : l’employeur, pris « entre le marteau et l’enclume », est tenu de faire la part des choses entre les dires des uns et des autres et de prendre un certain recul face à une situation vécue « à chaud » et souvent largement dominée par des considérations d’ordre émotionnel.

Il doit agir, mais avec prudence, ce qui implique de constituer un dossier probatoire très étayé face au risque de contestation de la victime d’une part, de l’auteur des faits d’autre part et enfin du ou des témoins.

 

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

Contactez nous

Obtenez le meilleur conseil
en droit du travail pour votre entreprise

Obtenir du conseil

Confidentialité et réactivité
Nos avocats interviennent partout en France

Continuer
La lecture