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Droit du Travail
par Jean-Bernard MICHEL

Rupture conventionnelle : interdit de se fâcher ?


Le succès de la rupture conventionnelle est  incontestable au regard des statistiques présentées par le Ministère du Travail : 288 000 demandes en 2011, soit 13% de plus qu’en 2010 et 4% de plus au premier trimestre 2012 par rapport à celui de 2011 (source DARES).

Si le dispositif introduit à l’article L.1237-11 du Code du Travail par la loi du 25 juin 2008 pèse vraisemblablement dans les comptes de l’assurance chômage, il a permis de régulariser une pratique (très ?) répandue d’un licenciement suivi d’une transaction pudiquement appelée « départ négocié » mais qui constituait tout de même une fraude à l’assurance, et avait les mêmes incidences financières.

Cette modalité de rupture répondait manifestement à un besoin insatisfait lorsque les parties au contrat de travail faisaient le constat d’un avenir commun obéré mais qui se trouvaient face à une alternative insuffisante.

Sauf à avoir retrouvé un autre emploi, le salarié ne pouvait économiquement se permettre de démissionner car il n’aurait pas été pris en charge par l’assurance chômage.

De son côté, l’employeur ne pouvait envisager un licenciement sans avoir de motif réel et sérieux.

La rupture conventionnelle, d’abord imaginée par les partenaires sociaux, répondait donc aux attentes des uns et des autres.

Cet intérêt commun se retrouve d’ailleurs dans sa nature contractuelle posée par l’article L.1237-11 du Code du Travail.

L’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties.

Elle résulte d’une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties.

Par essence, la rupture conventionnelle naît donc de la commune intention des parties, sans que l’une en soit davantage à l’origine que l’autre.

La situation est quelque peu paradoxale : de cette rencontre parfaite des volontés naît… la rupture !

Et cet accord tire sa source, si ce n’est d’un conflit, en tout cas de l’idée que l’avenir sera mieux « sans » qu’ « avec ».

Si le Code Civil traite déjà aisément de cette situation en matière matrimoniale, le déséquilibre essentiel de la relation de travail (le lien de subordination s’ajoutant au déséquilibre économique) rend suspect un accord résultant d’une opposition.

Faut-il pour autant considérer qu’une situation conflictuelle empêche la conclusion valable d’une rupture conventionnelle ?

En premier lieu, il pourrait être fait remarqué qu’il aurait été aisé pour le législateur d’en disposer ainsi si tel avait été son souhait.

Mais une telle restriction n’aurait-elle pas considérablement limité l’intérêt de ce nouveau dispositif… ?

En effet, l’envie partagée de rupture naît le plus souvent d’un désaccord ou d’une situation conflictuelle.

Un auteur[1] tentait une distinction subtile entre le premier terme qui « renvoie à une divergence d’opinion » et le second qui « exprime une opposition entre des forces antagonistes qui cherchent à s’évincer réciproquement ».

La proposition est intellectuellement intéressante mais trop mouvante pour assurer une sécurité juridique.

Certains ont pu croire la jurisprudence d’ores et déjà fixée par une décision de la Cour de Cassation d’octobre 2000[2], rendue en matière de rupture d’un commun accord, antérieure à la Loi de 2008, et dont un attendu pouvait être interprété en ce sens.

Cet arrêt a vraisemblablement influencé le Conseil de Prud’hommes de Lyon qui, dans un jugement du 1er mars 2012[3], pose le principe selon lequel la « rupture conventionnelle est licite dès lors qu’aucun litige n’existe entre les parties au moment où la rupture est envisagée ».

C’est considérer, à l’inverse, que l’existence d’un litige rendrait la rupture illicite.

Une telle position semble excessive.

En préambule, le caractère isolé de l’arrêt de 2000 ne permet pas d’en déduire une position de principe de la Cour.

Il en va d’autant plus ainsi que dans l’affaire soumise, la rupture avait pris la forme d’un document intitulé « accord de résiliation conventionnelle » (sic), signé le lendemain d’un entretien préalable au licenciement et la veille de la notification de ce licenciement (re-sic…) !

Et que la question posée était de dire si cet accord constituait une rupture d’un commun accord ou une transaction.

La censure de la Cour était donc  inévitable.

La transposition de cet arrêt aux cas de demandes d’annulation d’une rupture conventionnelle se heurte à un autre obstacle.

Alors que la rupture d’un commun accord relevait du pur domaine contractuel, l’article L.1237-11 impose un formalisme qu’il décrit expressément comme « destiné à garantir la liberté du consentement des parties ».

En effet, la rupture conventionnelle légale doit tout d’abord être précédée d’un ou plusieurs  entretiens.

Et le salarié a la possibilité de se faire assister, ce dont il doit bien sûr être informé pour que la rupture soit valable[4].

A l’issue de ce(s) rendez-vous, l’accord est nécessairement établi par écrit, de sorte que le salarié est informé de sa situation, et notamment de l’indemnité qui va lui être versée.

Cet écrit sert également de support au contrôle exercé par l’autorité administrative, qui dispose de quinze jours pour refuser l’homologation.

Cette transmission constitue une date certaine (à la différence de celle des entretiens et celle de la signature de la convention) ouvrant un autre délai de quinze jours pendant lequel le salarié va encore pouvoir interrompre le processus de rupture.

Car selon la loi, le contrôle administratif n’est pas simplement formel, mais doit également porter sur le respect des textes, et notamment sur « la liberté de consentement des parties ».

Dans ces conditions, la compétence réservée par la loi au Conseil de Prud’hommes  pour connaître de « tout litige concernant la convention ou homologation » est quelque peu incongrue et semble davantage dictée par le pragmatisme d’une organisation juridictionnelle.

D’un point de vue constitutionnel, la possibilité pour un juge judiciaire de statuer (certes de manière indirecte) sur une décision administrative pose question…

La Loi n’interdit en aucune façon de convenir d’une rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel.

Plusieurs  Cours d’Appel, dont celle de Lyon[5], semblent donc avoir posé le principe que l’existence d’un litige ne suffit pas à remettre en cause la validité de la rupture.

L’important, c’est la cause l’important ?

Un argument nous paraît plus pertinent : celui selon lequel la rupture conventionnelle ne devrait pas être détournée de son objet et utilisée pour faire échec aux règles protectrices du licenciement.

Il s’agit du raisonnement développé par une autre chambre de la Cour d’Appel de Lyon[6] qui annule la rupture après avoir constaté que l’employeur avait le même jour :

– convié le salarié pour envisager la rupture,

– et l’avait convoqué à un entretien préalable au licenciement.

Ou celui de la Cour d’Appel de Poitiers[7], qui constate que l’employeur a proposé la rupture conventionnelle à son salarié victime d’un accident du travail le lendemain du premier avis d’inaptitude, et que celle-ci était donc manifestement dictée par l’imminence d’une inaptitude définitive.

Ces deux solutions paraissent difficilement critiquables.

Elles soulèvent toutefois deux difficultés.

En premier lieu, le déclenchement de la procédure de licenciement conduirait l’employeur à une unique alternative : soit mener le licenciement jusqu’à son terme, soit renoncer à la rupture.

Par ailleurs, l’analyse de la cause nécessite du juge qu’il détermine préalablement la partie ayant été à l’origine de la rupture, et donc d’en rechercher la cause originelle.

Or, cette recherche prospective présente l’inconvénient d’un risque d’erreur ou de contestation.

Ce risque ne semble pas nécessaire.

Revenir aux sources ?

Merveilleux Code Civil dont l’article 1109 décrit si parfaitement les vices du consentement.

Est-ce que l’erreur, le dol ou la violence ne recouvrent pas l’intégralité des situations qui permettraient de remettre en cause la validité d’une rupture conventionnelle ?

Le salarié menacé par un licenciement pour faute grave ou victime de harcèlement moral ne peut-il pas très simplement invoquer la violence ?

La victime d’un accident du travail qui a toutes les probabilités d’être déclarée inapte, va bénéficier d’une recherche de reclassement ou, à défaut, d’une indemnisation de rupture majorée, ne peut-elle faire admettre son erreur ?

Le salarié quittant l’entreprise juste avant la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, déjà décidé et dont il aurait pu bénéficier, ne pourrait-il se plaindre d’un dol ?

Il s’agit d’une grille d’analyse simple et efficace, déjà utilisée à plusieurs reprises[8].

Elle présente l’avantage de redonner toute son importance au consentement des parties.

Elle offre toutes les possibilités, sous réserve que ce consentement soit éclairé.

Le salarié menacé par un licenciement ou concerné par une éventuelle mutation garde sa faculté d’analyse lorsque la situation et ses conséquences sont exposées en toute transparence[9].

Certains trouveront à cette analyse l’inconvénient de laisser au salarié la charge de la preuve[10].

Il s‘agit toutefois des règles habituelles de procédure civile et rien ne justifie d’instaurer une présomption inverse.

En effet, la remise en cause trop systématique des ruptures conventionnelles remettrait en cause leur principe même dont il ne peut être contesté qu’elles bénéficient au plus grand nombre.

Cette charge probatoire se justifie également au regard des conséquences d’une annulation.

En effet, si la plupart des décisions déjà rendues considèrent que l’annulation d’une rupture conventionnelle a pour effet de requalifier la rupture en licenciement, nécessairement sans cause réelle et sérieuse, ou de lui faire produire les effets d’un tel licenciement, on peut se demander si la nullité de l’acte ne pourrait avoir pour effet de replacer les parties dans la situation préexistante et donc de permettre au salarié d’obtenir sa réintégration, à charge pour lui de restituer l’indemnité de rupture.

Bénéficier de l’indemnisation d’un licenciement abusif pourrait n’être pour lui qu’une option subsidiaire.

Compte tenu du nombre de contentieux présentés devant les juridictions du fond, la Cour de Cassation devrait vraisemblablement être amenée à se prononcer sur ces points très rapidement.

 
 

 

 

 


[1] Yann LEROY RJS 2012

[2] Cassation Sociale, 31 octobre 2000, n° 98-43.086

[3] CPH LYON, Section Encadrement, 1er mars 2012, n° 10/426

[4] CA Lyon, 23 septembre 2011

[5] CA Montpellier, 16 novembre 2011

CA Lyon, 2 avril 2012 et 7 mai 2012

CA Paris, 22 février 2012

CA Grenoble, 5 janvier 2012

[6] CA Lyon, 2 décembre 2011

[7] CA Poitiers 28 mars 2012

[8] CA Toulouse, 3 juin 2011

CA Toulouse, 16 novembre 2011

CA Riom, 18 janvier 2011

Ca Versailles, 15 décembre 2011

[9] CPH Castres, 27 avril 2010

CA Nancy, 26 février 2010

[10] CA Besançon, 1er juillet 2011



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