par Arnaud Pilloix
Promesse d’embauche dans le sport professionnel : quelle valeur juridique ?
Deux arrêts récents illustrent cette problématique complexe liée aux transferts de joueurs entre les clubs, et aux spécificités du droit du sport et de la procédure d’homologation.
Dans le sport professionnel, l’homologation des contrats de travail des sportifs vient parfaire l’engagement des parties pour des raisons essentiellement sportives et financière.
La politique des transferts amène les joueurs à se rapprocher de leurs futurs clubs en anticipant leurs futurs engagements par la technique des avant-contrats.
Or constitue une promesse d’embauche valant contrat de travail l’écrit qui précise l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction. Les conséquences sont lourdes en cas de violation de cette promesse puisque la rupture de l’engagement précisant au salarié son salaire, la nature de son emploi, ses conditions de travail et la date de sa prise de fonction, s’analyse comme la rupture d’un contrat de travail, avec toutes conséquences de droit, nonobstant l’absence de commencement d’exécution du contrat.
En cas de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave ou de force majeure, le salarié à droit à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’à la fin du contrat.
Comment faut-il protéger ces promesses, non soumises à la procédure d’homologation ?
Cass. soc., 7 mars 2012, n°10-21717, non publié au bulletin :
Un joueur de rugby soutient avoir été engagé par la société sportive « Stade Toulousain » en qualité de joueur professionnel pour une période déterminée du 1er juillet 2007 au 30 juin 2010.
Selon le joueur, le club a refusé de formaliser l’accord, ayant finalement opté pour le recrutement d’un autre joueur.
Le joueur saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse d’une demande d’indemnisation de la rupture intervenue. Il est débouté. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Toulouse.
L’arrêt avait retenu que le prétendu contrat de travail invoqué par le joueur n’avait été signé que par une seule partie, à savoir le joueur. Selon la juridiction d’appel, les engagements relatifs aux conditions d’exercice de la future relation, bien que précis, ne valaient pas engagement suffisamment clair et non équivoque.
Le joueur, tenace, s’est donc pourvu en cassation.
Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale, s’appuyant sur des motifs inopérants, sans avoir analysé la consistance du projet de contrat de travail.
L’arrêt du 7 mars 2012 casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse en énonçant que :
« constitue une promesse d’embauche valant contrat de travail l’écrit qui précise l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction.
Qu’en se déterminant comme elle l’a fait, par des motifs inopérants tirés d’un engagement en cours auprès du club d’Agen, sans rechercher si le projet de contrat de travail signé par le salarié le 26 mai 2007, lequel précisait les fonctions de joueur de rugby professionnel, la date d’entrée en fonction, le 1er juillet 2007, pour deux saisons successives et la possibilité d’une troisième, et la rémunération du salarié, 180 000 euros par saison, émanait ou non de la société Stade toulousain rugby, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
La Cour de cassation indique clairement le raisonnement juridique qui doit être opéré par les Juges du fond pour qualifier une promesse d’embauche en contrat de travail, à savoir les éléments essentiels du contrat de travail : la fonction, la rémunération, la durée.
Cass. soc., 4 avril 2012, n° 10-21114, non publié au bulletin :
Un joueur professionnel de rugby prétend bénéficier de certaines sommes en raison du document daté du 1er avril 2008 et qualifié de « convention d’engagement réciproque d’un joueur professionnel de rugby ».
Le joueur professionnel de rugby avait donc saisi la juridiction prud’homale d’une demande à l’encontre de la société Béziers rugby en paiement de diverses sommes en soutenant que le document, daté du 1er avril 2008 et qualifié » de convention d’engagement réciproque d’un joueur professionnel de rugby » constituait un contrat de travail.
Le Club avait interjeté appel mais avait été déboutée par la Cour d’appel de Montpellier le 10 mai 2010 qui la condamné à verser des dommages –intérêts au joueur au titre de la rupture fautive de la « promesse d’embauche ».
Le Club s’est pourvu en cassation et soutient qu’aucun CDD ne pourrait intervenir à défaut d’écrit et de toute homologation par la Ligue nationale de rugby.
La Chambre sociale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier sans analyser le fond du dossier mais pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile.
Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel n’avait pas suffisamment analysé la convention passée entre les parties, la promesse d’embauche n’avait été « invoquée par aucune d’entre elles ».
Cela signifie que le Juge d’appel avait fondé sa décision en qualifiant la document intitulé « convention d’engagement réciproque d’un joueur professionnel de rugby » sans inviter les parties à fournir des observations, en violation du principe du contradictoire.
En synthèse : Le droit commun du travail s’impose sur les spécificités du droit du sport, à savoir la procédure d’homologation des contrat de travail. Une telle approche invite à la prudence de la part des agents sportifs, joueurs et clubs professionnels dans le cadre des pourparlers précontractuels.
Arnaud PILLOIX, assisté de Stéphane DAUZE
CDD • promesse d'embauche • rupture contrat • sport professionnel