par Arnaud Pilloix
Perte du permis de conduire : licenciement ?
La détention du permis de conduire est souvent indispensable pour de nombreux emplois. Il est donc tentant de se prémunir d’une éventuelle perte du permis de conduire d’un de ses salariés en insérant dans son contrat de travail une clause prévoyant son licenciement si cet événement survient.
Mais une telle clause est-elle valable ?
En l’espèce, un salarié a, au volant de son véhicule de fonction et en dehors de son temps de travail, commis une infraction au Code de la route, entraînant la suspension de son permis de conduire.
Une clause de son contrat de travail prévoyait la faculté de mettre fin à la relation contractuelle en cas de retrait ou de suspension de son permis de conduire.
L’employeur a alors prononcé son licenciement pour cause réelle et sérieuse en se fondant uniquement sur la clause du contrat de travail.
La Cour d’appel d’Amiens a constaté que la suspension du permis de conduire du salarié, bien que constituant un fait relevant de sa vie privée, créait un trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise, et rendait impossible l’exécution du contrat de travail aux conditions convenues.
Elle a alors considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.
La chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 12 février 2014 censure le raisonnement des juges du fond au visa de l’article L. 1235-1 du Code du travail.
Elle considère, d’une part, que seule la lettre de licenciement fixe les termes et les limites du litige et, d’autre part, qu’aucune clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu’une circonstance quelconque constituera en elle-même une cause de licenciement.
Elle en conclut qu’en statuant comme elle l’a fait, alors même qu’elle avait relevé qu’aux termes de la lettre de licenciement, le licenciement était motivé exclusivement par l’application d’une clause du contrat de travail, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-1 du Code du travail.
En effet, aux termes de l’article L. 1235-1 du Code du travail, il appartient au juge « d’apprécier […] le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur », de sorte qu’il « forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
Le juge doit apprécier les motifs du licenciement au regard de la lettre de licenciement. Le contrat de travail ne peut priver le juge de son office d’opérer un contrôle des motifs de licenciement.
Cette solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante.
En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le fait qu’une clause du contrat de travail ne peut pas valablement décider qu’une circonstance quelconque constituera en elle-même une cause de licenciement. (Cass. Soc 14 novembre 2000 n° 98-42371 ; Cass. Soc 26 septembre 2001 n° 99-43636 ; Cass. Soc. 24 juin 2003 n° 01-42535 ; Cass. Soc 27 mars 2013 n° 12-12892)
La question se pose alors : un employeur peut-il licencier un salarié au motif que le permis de conduire a été suspendu ou retiré ?
Deux hypothèses sont à distinguer :
– Si l’infraction au Code de la route ayant conduit à la suspension ou au retrait du permis de conduire a été commise pendant le temps de travail : un licenciement pour faute pourra être envisagé (voir par exemple Cass. Soc. 10 juillet 2013, n° 12-16878).
– Si l’infraction au Code de la route ayant conduit à la suspension ou au retrait du permis de conduire a été commise en dehors du temps de travail : les faits ne relèvent pas de la sphère professionnelle mais de la sphère personnelle. Il sera possible de licencier le salarié pour cause réelle et sérieuse en invoquant dans la lettre de licenciement que la suspension ou le retrait du permis de conduire crée un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise.
Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 février 2014 confirme que n’est pas justifié le licenciement pour faute grave d’un salarié intervenu alors que les infractions au Code de la route ont eu lieu en dehors de l’exécution de son contrat de travail.
Arnaud PILLOIX, assisté d’Aurélie MAITRE
licenciement • permis de conduire • pouvoir disciplinaire