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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Les attributions renforcées du CHSCT en matière de sûreté, de sécurité et d’environnement dans les établissements SEVESO


 

Pour l’entreprise qui exploite des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), les enjeux environnementaux et les enjeux de prévention des risques professionnels pour les travailleurs sont clairement convergents

S’agissant des établissements à hauts risques industriels (dits Seveso seuil haut) les questions de sécurité au travail ont un impact direct sur la maîtrise des risques d’accidents majeurs et réciproquement.

Au plan normatif, l’obligation de sécurité renforcée qui pèse sur l’exploitant s’accompagne alors d’un rôle renforcé du CHSCT. La jurisprudence veille au respect de ces attributions.

Ainsi, en-dehors même de toute situation accidentelle, l’employeur peut voir sa responsabilité engagée sur le terrain de l’entrave au fonctionnement régulier du CHSCT, comme l’illustre une décision récente (cf. Cour d’appel de Paris, 6e chambre du 15 octobre 2015, n° 14/21435).

En l’espèce, l’employeur (exploitant d’un établissement ayant une activité de production, stockage et logistique de gaz industriels liquéfiés) était poursuivi par le CHSCT de cet établissement ainsi qu’un syndicat pour entraves au fonctionnement régulier du CHSCT.

Comme c’est souvent le cas, cette action en justice était motivée non pas par un manquement isolé, mais par une série d’irrégularités dans la conduite de la politique de prévention des risques de l’établissement.

Pour l’essentiel, 7 chefs d’entrave sont constatées en première instance (sur 13 alléguées), et l’employeur est condamné à verser 7.000 euros de dommages et intérêts au syndicat. En appel, la sanction est aggravée et portée à une somme globale de 13.500 euros (le syndicat réclamait une somme de 5.000 euros par entrave), eu égard selon la Cour, « au nombre, à la nature et à la réitération régulière des entraves commises dans le cadre d’un dialogue social néanmoins soutenu ».

Contrairement à l’entrave à la libre constitution ou désignation de l’instance, il est ici question d’entrave en tant que « fait de porter atteinte au fonctionnement régulier » du CHSCT (cf. C. Trav., L4742-1).

La présente décision illustre le fait que cette définition recouvre un large spectre d’irrégularités, appréciés au cas par cas par les juges.

Entre autres, sont ainsi relevées comme « entraves caractérisées » :

  • Le fait d’avoir omis de convoquer en réunion plénière extraordinaire le CHSCT, à la suite d’évènements qualifiés d’« incidents potentiellement graves » (IPG), nécessitant une information conformément à l’article L4523-3 du Code du travail, selon lequel dans les établissements industriels à hauts risques, « le CHSCT est informé à la suite de tout incident qui aurait pu entraîner des conséquences graves. Il peut procéder à l’analyse de l’incident et proposer toute action visant à prévenir son renouvellement. Le suivi de ces propositions fait l’objet d’un examen dans le cadre de la réunion de bilan et de programme annuelle, prévue à l’article L. 4612-16 ». Ces incidents portaient sur :
    • Un épandage d’azote liquide lors d’une opération de chargement ayant entraîné un plan d’opération interne (POI) ;
    • L’éclatement d’une lance incendie lors d’une mise sous pression du réseau par un prestataire ;
    • L’existence d’un chantier tiers irrégulier (dit « pirate ») à proximité des installations.

A noter que pour les juges, la potentialité de dommages humains présente un caractère intrinsèque de gravité justifiant l’information du CHSCT en temps utile, quelle que soit la qualification donnée en vertu de la documentation et des pratiques internes à l’entreprise.

Il ressort en outre que les juges exigent que l’information soit donnée de manière collective en réunion, et pas simplement par e-mail, peu importe également que certains membres du CHSCT aient été associés à l’élaboration d’un arbre des causes.

Les juges estiment en revanche que la non-information du CHSCT concernant la survenance d’une fuite, limitée au niveau d’un filtre d’oxygène liquide et qualifiée d’incident mineur, ne constituait pas une entrave au fonctionnement régulier du CHSCT.

 

  • Le fait d’avoir tardivement consulté le CHSCT (2 mois après l’expiration de sa période de validité) sur une note synthétique relative au système de gestion de la sécurité (SGS – cf. C. Env., L515-40 et R515-99) alors que, selon les juges, ce document, destiné à prévenir les accidents majeurs, relevait du champ des missions du CJSCT et devait dès lors faire l’objet d’une procédure d’information et consultation pour avis du CHSCT lors de sa mise en place et de ses modifications importantes (cf. interprétation large des articles L4612-12 et L4612-8-1 nouveau du Code du travail);

 

  • Le fait d’avoir omis de consulter pour avis le CHSCT avant la modification de procédure concernant deux dispositifs qualifiés d’« éléments importants de sécurité » (EIS), alors que selon les juges, quand bien même cette intervention de constituait pas un « projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail », la consultation restait obligatoire s’agissant de l’amélioration d’un EIS devant donner lieu à enregistrement et mise à jour de la documentation interne de l’entreprise (on notera à nouveau la lecture large des termes de l’article L4612-12 du selon lequel « le CHSCT est consulté sur les documents se rattachant à sa mission, notamment sur le règlement intérieur »).

 

  • Le fait d’avoir omis d’informer le CHSCT en vertu des articles L4612-9 et 15 du Code du travail, sur l’existence d’un recours en annulation exercé à l’encontre de l’arrêté préfectoral d’autorisation ICPE comportant des prescriptions particulières en matière de sécurité, et de ne pas lui avoir communiqué en temps utile d’informations sur les suites de ce recours et la teneur du jugement rendu par le Tribunal administratif  ;

 

  • Le fait d’avoir omis d’établir et donc de lui communiquer le plan de prévention concernant l’intervention d’une entreprise extérieure chargée du gardiennage (ce qui constitue une interprétation sans doute discutable sachant que l’article R4514-2 du Code du travail exige simplement que le plan de prévention soit tenu à la disposition du CHSCT et lui soit communiqué à sa demande).

 

Globalement, les juges retiennent donc une application large et extensive des textes, l’idée sous-jacente étant de donner un « effet utile » aux prérogatives du CHSCT en tant qu’acteur majeur de la prévention.

Pour autant, on observera qu’il s’agissait là d’une stratégie indemnitaire devant la juridiction civile, l’entrave étant mise en avant ici non pas comme une infraction, mais comme une faute de l’employeur causant un préjudice au syndicat, lequel est habilité à agir en justice et peut « devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent » (cf. C. Trav., L2132-3).

Rappelons que dans le cadre des dispositions de la loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015, le délit d’entrave au fonctionnement régulier du CHSCT n’est plus passible d’une peine d’emprisonnement, mais « seulement » et à titre principal- d’une amende de 7.500 euros maximum (personnes physiques). Ces dispositions plus favorables aux prévenus sont immédiatement applicables aux contentieux en cours sachant qu’en vertu de l’article 112-1 du Code pénal, « les dispositions d’une loi nouvelle s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes » (cf. Cass. Crim., 26 janvier 2016, n° 13-82158).

Fort heureusement, les juges font la part des choses : il ne suffit pas d’alléguer l’entrave pour que celle-ci soit retenue. Dans cette affaire, l’arrêt écarte ainsi l’entrave concernant des sujets pourtant importants tels que :

  • Le fait de ne pas avoir consulté pour avis le CHSCT avant la mise en place d’actions prioritaires faisant suite à l’exercice sur le plan d’opération interne, au motif que les axes d’amélioration dégagés ayant donné lieu à actions correctives ne nécessitaient pas de mise à jour du POI, écartant ainsi l’application de l’article R4612-5 du Code du travail, selon lequel « Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail émet un avis (…) sur le plan d’opération interne prévu à l’article R512-29 du code de l’environnement ». Les juges estiment par ailleurs que ces actions ne correspondaient pas à un « projet important » ;
  • Dans le même registre, le fait de ne pas avoir consulté le CHSCT préalablement à la décision de procéder à l’arrêt de la centrale pour des raisons de maintenance technique, le passage à une organisation du travail en 3×8 qui en était résulté ne constituait pas un « projet important » dès lors qu’il a été extrêmement limité dans le temps (12 jours) et n’a concerné qu’une partie du personnel ;
  • De ne pas avoir immédiatement convoqué le CHSCT en réunion à la suite de l’intrusion d’une personne étrangère au site qualifiée d’IPG : pour les juges, même si par définition, une telle intrusion dans une installation classée Seveso seuil haut est par nature susceptible d’avoir des conséquences graves en fonction des mobiles ou de la personnalité de l’intrus, l’employeur avait bien respecté son obligation d’information en abordant ce point lors d’une réunion ordinaire tenue un mois et demi plus tard (délai jugé raisonnable).

Ce dernier point est sans doute à mettre en perspective avec le contexte actuel d’état d’urgence (prolongé jusqu’au 26 mai 2016 – cf. loi n° 2016-162 du 19 février 2016).

Plus généralement, cette décision présente l’intérêt de faire porter un regard sur les attributions renforcées du CHSCT dans le cadre des entreprises exploitant des ICPE et tout particulièrement des établissements SEVESO, car si le contentieux des CHSCT est abondant, les décisions rendues au sujet des établissements industriels à hauts risques restent relativement rares (certainement aussi parce qu’il existe au sein de ces derniers une forte culture partagée de la sécurité). Pour la jurisprudence, l’intervention du CHSCT n’est pas que formelle et doit être vecteur de maîtrise des risques.

 

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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