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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Les risques liés aux véhicules autonomes et la responsabilité expérimentale


De la fiction à la réalité, les véhicules autonomes annoncent une révolution à la fois technologique, industrielles, économique, mais également culturelle. Le chemin est toutefois encore long et semé d’obstacles, tant techniques que psychologiques et juridiques.

L’acceptabilité de ces nouveaux modes de transport et de services nécessitera de résoudre des problématiques essentielles en termes de risques, notamment sur le plan :
• De la fiabilité des systèmes et équipements ;
• De la programmation des algorithmes d’intelligence artificielle qui permettront de les piloter sans intervention humaine (ou presque) ; 
• De la sécurisation des masses de données personnelles collectées et de leurs modalités de traitement.

Pour l’heure, les dispositifs commercialisés se limitent à des systèmes semi-autonomes qui s’apparetent plus à une assistance à la conduite mais ne peuvent se passer d’une supervision humaine.

Pour aller plus loin et développer des systèmes véritablement autonomes (de niveau 4 ou 5), des essais « grandeur nature » sont nécessaires.

Paradoxalement, alors que le véhicule autonome promet une forte baisse de l’accidentologie (considérant notamment que 90% des accidents de la circulation seraient liés à une erreur ou négligence humaine, et que le risque routier constitue statistiquement la première cause de mortalité au travail), l’atteinte de cet objectif va devoir passer par des tests entraînant de nouveaux risques …

Des accidents sont déjà survenus, ce qui nécessite un encadrement règlementaire adapté, notamment sur le plan de la définition des responsabilités.

Le législateur a donc la délicate tâche de devoir assurer un équilibre entre l’impératif de protection et de sécurité, « et en même temps », la nécessité de ne pas entraver inutilement le progrès technologique et l’innovation.

A terme, il faudra repenser le régime juridique, puisqu’il ne sera plus pertinent de faire reposer l’essentiel de la responsabilité sur le conducteur du véhicule …

Qu’il s’agisse d’infractions routières ou d’accidents de la circulation, l’implication d’un véhicule autonome avec délégation complète de conduite (sans volant à l’extrême) cadre mal avec les règles actuelles régissant la responsabilité pénale.

Derrière, se posera également la question de l’assurance obligatoire, de la responsabilité des produits défectueux (quid du risque de développement ?), ainsi que des questions nouvelles, qui touchent à l’éthique, telles que par exemple les critères d’anticipation en fonction desquels les algorithmes décideront d’éviter un obstacle ou de limiter un dommage.

La machine étant sensée remédier au facteur humain, le curseur se déplacera du côté de la responsabilité des programmateurs et concepteurs, ce qui ne pourra être dénoué par des juges qu’au moyen d’expertises techniques extrêmement complexes …

Parmi les innombrables questions à venir, se posera notamment celle de la responsabilité de l’employeur au titre des moyens de transport mis à disposition de son personnel, sous le prisme de l’obligation de sécurité et de prévention.

Dans l’immédiat se pose la question de la responsabilité en matière d’expérimentations.

La loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 prévoit notamment de « libérer les expérimentations de nos entreprises », et vient compléter la précédente ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques.
Dans son article 125, elle reprend le principe selon lequel la circulation à des fins expérimentales d’un VDPTC (acronyme de véhicule à délégation partielle ou totale de conduite) sur une voie ouverte à la circulation publique est subordonnée à la délivrance d’une autorisation destinée à assurer la sécurité du déroulement de l’expérimentation.
Celle-ci est conditionnée à la démonstration que le système de délégation de conduite puisse être à tout moment neutralisé ou désactivé par le conducteur (ou en l’absence de conducteur à bord, à ce qu’un conducteur soit situé à l’extérieur du véhicule pour le superviser pendant l’expérimentation, et soit prêt à tout moment à prendre le contrôle du véhicule, afin d’effectuer les manœuvres nécessaires à la mise en sécurité du véhicule, de ses occupants et des usagers de la route).

Qui dit autorisation administrative, dit que celle-ci peut être retirée ou suspendue en cas de manquement aux règles d’expérimentation, comme l’a prévu le décret d’application n° 2018-211 du 28 mars 2018.

Il convient également de retenir que le principe de l’article L121-1 du Code de la route selon lequel « le conducteur d’un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule », est écarté, mais uniquement pendant les périodes où le système de délégation de conduite est en fonctionnement et l’informe en temps réel être en état d’observer les conditions de circulation et d’exécuter sans délai toute manœuvre en ses lieu et place. Cette dérogation ne joue toutefois que si le conducteur a correctement activé le système de délégation conformément à ses conditions d’utilisation, et à condition également qu’il n’ait pas été amené à reprendre le contrôle du véhicule ou se soit abstenu de le faire alors que les conditions d’utilisation pour l’expérimentation n’étaient plus remplies. La responsabilité du conducteur n’est donc pas totalement écartée.

Il est également prévu que dans le cadre d’une délégation de conduite aux conditions normales, le titulaire de l’autorisation est pécuniairement responsable du paiement des amendes, en cas de contravention au Code de la route.

Le titulaire de l’autorisation, responsable de l’expérimentation, est également réputé pénalement responsable en cas d’accident provoquant un dommage corporel (cf. délit d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne), s’il commet une faute dans la mise en œuvre du système de délégation de conduite. Cette faute sera appréciée le cas échéant par la juridiction pénale au regard des critères de l’article 121-3 du Code pénal, qui nécessite de distinguer, lorsque le prévenu est une personne physique, selon qu’il est l’auteur direct ou indirect du dommage (ce qui requiert alors dans ce 2e cas une faute caractérisée ou délibérée).

Si le titulaire de l’autorisation est une personne morale, il faut déduire que sa responsabilité pourra être classiquement engagée en cas de simple faute d’imprudence commise par l’un de ses organes ou représentants agissant pour son compte. 

Dans ce cadre expérimental, seule la responsabilité pénale est aménagée, les régimes de responsabilité civile actuelle restant a priori compatibles avec les véhicules autonomes (cf. notion d’implication du véhicule terrestre à moteur, ou encore de gardien de la chose).

Point important sachant notamment que le risque peut provenir aussi des autres véhicules en circulation, la circulation à des fins expérimentales sur une voie ouverte à la circulation publique devra donner lieu à une information du public, selon des modalités réglementaires à paraître.

Autant dire que pour les entreprises concernées, ce type d’expérimentation est capital pour faire avancer la technologie, mais nécessite une bonne préparation opérationnelle, à commencer par la formation des pilotes et l’analyse des risques liés à l’opération.

Même si l’objectif est d’intégrer la sécurité dès la conception (security by design), il serait certainement illusoire d’espérer des systèmes totalement infaillibles, et le facteur humain restera toujours présent avec son cortège de responsabilités, qu’on le veuille ou non.

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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