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Droit du Travail
par Guillaume Dedieu

Les documents à communiquer au CSE ne peuvent aller au-delà de 3 ans, y compris sur demande de l’expert


Cet article a été publié dans la revue les Cahiers Lamy du CSE du mois de septembre 2020 : lien article Cahier Lamy du CSE

Résumé :

Dans le cadre de la consultation annuelle sur les comptes, l’employeur respecte son obligation de communication des documents utiles à la consultation, dès lors qu’il met à disposition du CSE et de l’expert mandaté, les informations relatives à l’année qui fait l’objet d’une expertise et aux deux années précédentes, suivant la ligne des dispositions relatives à la BDES (Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-22.509 D)

Le Code du travail prévoit la faculté pour l’expert désigné par le CSE d’obtenir des documents de l’entreprise pour effectuer son analyse (C. trav., art. L. 2315-83). Toutefois, cette faculté peut rentrer en contradiction avec certaines limites fixées par le législateur, ce qui est source de litige. En effet, l’expert désigné peut techniquement avoir accès à des informations que le CSE n’aurait pas eu seul, lorsqu’il estime que la liste définie par le législateur n’est pas suffisante pour un éclairage utile du CSE l’ayant mandaté. L’expert du CSE dispose ainsi d’un pouvoir élargi d’accès aux documents mais qui ne signifie pas un pouvoir sans limite.

C’est sur cette problématique que la Cour de cassation a été amenée à se positionner dans un arrêt du 25 mars 2020. Un CE avait désigné un expert dans le cadre de l’examen annuel des comptes 2014 et des comptes prévisionnels 2015. L’expert du CE sollicitait la communication des éléments relatifs à l’évolution des rémunérations de 2009 à 2011 et aux commandes passées pour les douze fournisseurs identifiés pour la période 2008 à 2011. Face au refus de l’employeur, le CE saisit le président du TGI (devenu le tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020) en 2016 de cette demande de communication de documents complémentaires. Débouté tant devant le juge du fond que devant la Cour d’appel, il forme un pourvoi en cassation, interrogeant la Haute Cour sur l’étendue du droit d’accès aux informations de l’expert, et sur les modalités de calcul des budgets du CE. La solution ici commentée rendue à propos du CE est transposable au CSE

1 – L’étendue du droit d’accès aux documents par l’expert désigné par le CSE

L’accès élargi de l’expert aux informations de la société

Dans les entreprises comptant au moins 50 salariés, le CSE, peut, le cas échéant sur proposition des commissions constituées en son sein, décider de recourir à un expert-comptable ou à un expert agréé (C. trav., art. L. 2315-78). L’expert a pour rôle de rendre lisible une situation et d’en faciliter la compréhension par les élus et par les salariés. Pour remplir sa mission et éclairer le CSE, il peut solliciter certaines informations de l’employeur, pour ensuite les restituer lors d’une réunion avec le CSE en présentant son rapport et ses analyses. Pour garantir que l’expert désigné par le CSE dispose d’informations suffisantes au bon exercice de sa mission, le Code du travail a prévu une obligation pour l’employeur de fournir « les informations nécessaires à l’exercice de sa mission » (C. trav., art. L. 2315-83). Toutefois, cet énoncé étant large, il peut créer des difficultés pour les employeurs ne souhaitant pas communiquer certaines informations à un tiers, alors même que celles-ci sont estimées nécessaires pour restituer et garantir un niveau d’informations suffisant aux représentants du personnel et aux salariés

Les pouvoirs élargis de l’expert (souvent un expert-comptable) ont notamment été reconnus dans l’analyse des données comptables et financières des sociétés. Ainsi et à ce jour, l’expert mandaté bénéficie, dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, d’un accès aux mêmes informations que le commissaire aux comptes de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-90). Le législateur a également prévu qu’il revenait à l’expert-comptable intervenant dans le cadre de cette consultation, de juger de l’utilité des documents dont il réclame la communication pour l’exécution de sa mission, qui portent sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à l’intelligence des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-89).

À l’occasion d’une jurisprudence abondante, l’expert-comptable a pu ainsi obtenir l’accès aux documents de comptabilité prévisionnelle (Cass. soc., 29 oct. 1987, n° 85-15.244), à la comptabilité analytique (Cass. soc., 16 mai 1990, n° 87-17.555), aux documents comptables des derniers exercices d’une société reprise par l’employeur et aux prévisions des dirigeants (CA Paris, 25e ch. sect. B, 30 mai 1991, n° 89/018232). Les documents accessibles ne sont néanmoins pas uniquement de nature comptable : ils doivent simplement permettre à l’expert de retranscrire correctement la situation de l’entreprise. Des documents relatifs à l’évolution de l’activité par exemple portant sur l’utilisation de la main-d’œuvre, l’investissement, l’évolution des coûts de production…), sont donc de nature à permettre à l’expert d’apprécier la situation de l’entreprise (Cass. soc., 8 janv. 1997, n° 94-21.475). Ces documents peuvent ainsi être des éléments chiffrés sur les rémunérations ou sur les fournisseurs.

C’est sur ces points qu’était interrogée la chambre sociale de la Cour de cassation, saisie d’un litige portant sur l’examen annuel des comptes par le CE (C. trav., anc. art. L. 2325-36), intégré dans la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (C. trav., art. L. 2323-12 pour le CE ; C. trav., art. L. 2315-88 pour le CSE).

Un accès élargi mais non sans limite ?

L’expert-comptable peut ainsi solliciter de nombreux documents en fonction de l’expertise et de la structure concernées (appartenance à un groupe, sociétés étrangères détenant du capital dans une société française). Ses prérogatives sont donc élargies, parfois contraignantes pour les entreprises et interrogent sur les éventuelles limites à la communication de documents.

Parmi ces limites, est déjà apparue la problématique des informations devant être transmises au CSE et à leur expert, par les sociétés cotées en bourse avant la publication de leurs résultats. À ce titre, le TGI de Nanterre a refusé d’ordonner la communication de documents que l’employeur s’est engagé à transmettre très prochainement, ceux-ci ne pouvant être communiqués compte tenu de la législation boursière (« période de communication officielle » des sociétés cotées) – (TGI Nanterre, ord. réf., 20 mars 2019, n° 19/00490, « Comment concilier information du CE (ou du CSE) et risque de délit d’initié ? », Q. Mlapa et D. Fonteneau, Les Cahiers Lamy du CSE, juin 2019).

Dans son arrêt du 25 mars 2020, la Cour de cassation revient cependant sur deux autres limites : une temporelle, et une autre liée à la pertinence des informations.

Pour l’examen annuel des comptes 2014 (effectuée en 2015), l’expert sollicitait des informations relatives à l’évolution des rémunérations et des commandes passées pour des années très nettement antérieures (2009-2011). La société concernée par la tentative d’injonction de communication refusait de transmettre les données en précisant que l’accès aux documents par l’expert n’était pas sans limite et en particulier qu’elle n’était pas tenue de transmettre les informations qu’elle ne détenait plus. Elle soulevait ensuite un argument technique en précisant qu’elle avait rempli son obligation en transmettant des informations pour les deux années précédant la consultation s’appuyant sur les anciens articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du Code du travail, alors applicables au CE, relatifs à la base de données économiques et sociales (BDES), devenus les articles L. 2312-18 et R. 2312-10 pour le CSE. La limitation temporelle aux « deux années précédant la consultation » résulte des dispositions mêmes de la BDES, laquelle doit contenir des informations limitées dans le temps. Ces informations « portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes » (C. trav., anc. art. R. 2323-1-5 pour le CE ; C. trav., art. R. 2312-10 pour le CSE). La société estimait par ailleurs que ces demandes n’étaient pas réellement justifiées par des difficultés particulières rencontrées sur les années antérieures visées par l’expert.
L’expert-comptable désigné, intervenant à l’appui du comité, mettait lui en avant, devant les juges du fond, l’argument usuel et reconnu selon lequel il est le seul juge des documents qu’il estime nécessaire pour effectuer sa mission. La limite triannuelle propre à la BDES ne devrait donc pas lui être opposable, sauf à entraver son intervention et, indirectement, le fonctionnement de l’ex-comité d’entreprise.

La deuxième limite évoquée dans l’arrêt commenté du 25 mars 2020, liée à la pertinence des informations qui doivent être en rapport avec l’expertise. Concrètement, l’expert sollicitait des informations sur la détermination de la subvention de fonctionnement du CE qui ne relevaient pas de l’expertise sur les comptes annuels prévue à l’ancien article L. 2325-35 du Code du travail. Ce défaut de tout lien évident entre les documents sollicités et l’objet de la consultation était pour la société critiquable et devait bloquer l’injonction de communication.

Ces deux limites, temporelle et liée à l’objet de la consultation, ont été validées par les magistrats de la Cour de cassation.

2 – Des limites consacrées au droit d’accès aux documents de l’expert désigné par le CSE

Seules sont dues les informations relatives aux deux années précédentes

Dans la décision du 25 mars 2020, la Cour de cassation prend tout d’abord position sur l’étendue et les limites temporelles de la communication de document à l’expert, en donnant plein effet aux dispositions relatives à la BDES. Elle confirme ainsi la position des juges du fond, considérant que la communication d’éléments trop anciens (antérieurs aux deux dernières années) ne pouvait plus être demandée par l’expert. Ainsi, elle aligne le niveau d’information de l’expert sur celui des membres de l’ex-comité d’entreprise, et donc du comité social et économique.

Selon la Cour, l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation sur la situation économique de l’entreprise lorsqu’il met à disposition du CSE et de son expert, les détails des éléments de rémunération ou concernant les fournisseurs relatifs à l’année qui fait l’objet du contrôle et aux deux années précédentes, conformément aux textes relatifs à la BDES, alors même que ces textes ne visent pas directement le déroulement d’une expertise (C. trav., anc. art. L. 2323-8 et C. trav., anc. art. R. 2323-1-5 pour le CE ; C. trav., art. L. 2312-18 et C. trav., art. R. 2312-10 pour le CSE).

En s’appuyant expressément sur l’ancien article R. 2323-1-5 du Code du travail applicable aux faits de l’espèce et relatif au CE (C. trav., art. R. 2312-10 pour le CSE), la Cour de cassation reconnaît expressément que la limite temporelle définie par le législateur pour la BDES s’étend à l’objet de l’analyse de l’expert. Ainsi, ce dernier ne pouvait pas exiger la communication d’informations et de documents que l’employeur n’avait pas à communiquer au CE. Autrement dit, la loi précise le périmètre temporel des informations qualifiées d’« utiles » à l’exercice de la mission du comité, et la Cour étend cette qualification aux documents que l’expert peut solliciter. Il ne peut, en conséquence, aller plus loin que le CE dans le niveau d’information auquel il a accès. Cette solution rendue à propos du CE est pleinement transposable au CSE, la BDES mise à sa disposition l’étant dans les mêmes conditions que le CE.

Notre point de vue : cet encadrement temporel peut en opportunité apparaître justifié afin d’assurer la cohérence entre les éléments d’informations devant être transmises par une entreprise en présence d’une expertise ou en son absence. Cette décision peut également être saluée en ce que l’expert a pour mission d’éclairer les élus sur une situation et non un rôle d’obtention d’informations supplémentaires pour le compte du CSE.

Elle est en revanche discutable en ce que le législateur n’a pas techniquement prévu de se prévaloir des limites temporelles de la BDES pour encadrer le déroulement d’une expertise. Elle attire enfin l’attention sur les conséquences d’un accord collectif relatif à l’organisation, l’architecture et le contenu de la BDES, tel que prévu à l’article L. 2312-21 du Code du travail. En ce sens, un accord qui limiterait les informations à intégrer dans la BDES à une période inférieure aux deux années précédentes serait-il opposable à un expert ?

Les limites à la communication de document ne sont pas uniquement temporelles, mais visent également l’objet même de la consultation.

Les informations sur la détermination de la subvention de fonctionnement ne sont pas utiles à l’intelligibilité des comptes de l’entreprise.

Le CE sollicitait également la communication d’informations relatives au calcul de son budget de fonctionnement pour 2014 et 2015.
Les juges du fond ont rejeté cette demande considérant que le contrôle portant sur le montant de la subvention était étranger à l’expertise en vue de l’examen annuel des comptes organisé par l’ancien article L. 2325-35 du Code du travail en vigueur au moment des faits. Autrement dit, ne peuvent pas être obtenues par injonction, des informations, en l’occurrence, sur la détermination de la subvention de fonctionnement, qui ne sont pas utiles à l’intelligibilité des comptes de l’entreprise.

Le CE soutenait que la mission de l’expert-comptable portait sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation économique de l’établissement dans l’entreprise. Selon l’instance, les éléments de calcul de la subvention de fonctionnement dont il bénéficiait constituaient des données pertinentes à cette fin (la subvention étant alors basée sur le compte 641 du plan comptable général définissant la masse salariale sur laquelle était assise le calcul des budgets du CE).

La Cour de cassation, ne retient pas cet argumentaire et confirme le raisonnement des juges du fond ayant considéré « qu’aucune consultation n’étant prévue sur le montant des subventions versées chaque année au comité d’établissement, la contestation de ce montant supposait, dans le cadre d’une procédure en référé, que les conditions prévues par les articles 808 et 809 du code de procédure civile soient remplies, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la demande avait été formée à l’occasion de la consultation sur les comptes annuels de la société sans que soient invoqués de motifs précis à l’appui de la demande ». Aucune consultation n’étant prévue sur le montant des subventions versées chaque année au CE (toute comme au CSE d’ailleurs), la contestation de ce montant ne pouvait être formée à l’occasion de la consultation sur les comptes annuels de la société sans que soient invoqués de motifs précis à l’appui de la demande.

Cet arrêt, applicable au CSE, se place ici dans le prolongement de la jurisprudence selon laquelle les documents demandés par l’expert doivent avoir un lien avec la mission qui lui a été confiée, les juges étant compétents pour contrôler l’existence de ce lien (Cass. soc. 14 mars 2006, n° 05-14.148 ; Cass. soc., 12 sept. 2013, n° 13-12.200).



Guillaume Dedieu

Avocat associé, Paris

Après l'obtention de son Master 2, intègre plusieurs fédérations sportives pour intervenir sur les questions d'emploi, de ressources humaines et de relations sociales. Exerce en qualité d'avocat au sein du cabinet Ellipse Avocats depuis 2014 à Lyon puis à Paris. Devient associé du bureau parisien au 1er janvier 2020.

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