par Sébastien Millet
Quelle est la valeur du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise ? - La réponse (en trompe l'oeil) du Conseil d'Etat
La question vient d’être tranchée dans le cadre d’une ordonnance de référé-urgence rendue le 19 octobre 2020 (n° 444809).
La suspension du protocole national en vigueur depuis le 1er septembre 2020, amendé suite à l’intervention du Président de la République, était demandée par un syndicat professionnel au motif :
- De l’urgence (mesure à caractère impératif général affectant les entreprises, les employeurs et les libertés individuelles) ;
- De l’existence d’un doute sérieux quant à sa légalité (d’une part pour des raisons tirées de la de compétence réglementaire attribuée au Premier ministre, d’autre part pour diverses raisons telles que la violation de la hiérarchie des normes en matière d’information-consultation du CSE, de pors du masque ou encore d’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail).
Ces arguments sont toutefois rejetés en bloc par la haute juridiction administrative, qui considère qu’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité du protocole au regard de la généralisation du port du masque.
Le Conseil d’État livre ici une interprétation importante concernant la nature du protocole sanitaire et sa portée juridique, compte tenu de son caractère plutôt ambigu.
Cela va dans le sens d’une confirmation de l’analyse que l’on pouvait en faire sur le plan juridique (à noter que celle-ci aurait pu d’ailleurs être la même s’agissant du précédent protocole de déconfinement pour les entreprises, lequel avait vocation, selon le Ministère du travail, à « accompagner les entreprises et les associations, quelles que soient leur taille, leur activité et leur situation géographique, à reprendre leur activité tout en assurant la protection de la santé de leurs salariés grâce à des règles universelles« , et préciser « la doctrine générale de protection collective que les employeurs du secteur privé doivent mettre en place« ).
Cette décision s’inscrit en outre dans le prolongement de plusieurs autres décisions récentes rendues au sujet de textes de portée générale (cf. http://638ad42bcb.testurl.ws/ellipse/2020/06/covid-19-quelle-est-la-valeur-des-guides-professionnels-de-bonnes-pratiques-publies-par-ladministration/), mais avec un relief particulier en raison ici de l’articulation du protocole avec les principes généraux de prévention du Code du travail.
L’analyse retenue est la suivante : « le protocole constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de se l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail ».
Dit autrement, le protocole ne viendrait donc pas rajouter d’obligations par rapport à ce qui découle déjà du Code du travail …
Il n’est ainsi pas nécessaire d’en suspendre la mise en oeuvre.
Il en découle également que le protocole, en ce qu’il « a pour objet de contribuer à assurer la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de covid-19 et a vocation à s’adresser à l’ensemble des employeurs », se rattache au champ des articles L4121-1 et suivants du code du travail (a contrario, il n’est pas pris sur le fondement de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 qui autorise uniquement le Premier ministre à arrêter des mesures générales pour lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19). En creux, le Ministère du travail pouvait donc le diffuser.
En tant que « simple » guide d’action, le protocole ne présente pas en tant que tel de caractère contraignant pour les entreprises, ce qui constitue un élément important de sécurisation pour la démarche.
A ceci près que « (…) dès lors qu’en l’état des connaissances scientifiques, le port du masque dans les espaces clos est justifié et constitue, en combinaison avec des mesures d’hygiène et de distanciation physique et une bonne aération/ventilation des locaux, la mesure pertinente pour assurer efficacement la sécurité des personnes la suspension éventuelle du protocole n’aurait aucune incidence sur la mise en œuvre pratique légale de l’employeur et sur la charge financière qui en résulte ».
Plus généralement, la vigilance est requise car ce caractère de « recommandations » est certainement un faux-semblant.
En effet, ces recommandations constituent à date une référence officielle sur la question de « comment prévenir en pratique le risque de contamination dans le contexte du covid-19 au regard des données de la science », même si elles n’ont pas de valeur réglementaire.
Cela fait écho avec ce que l’on appelle, dans d’autres domaines, les « règles de l’Art ».
En résumé, si l’employeur dispose dans le cadre de son pouvoir de direction d’une latitude s’agissant des moyens de prévention à mettre en oeuvre pour atteindre le résultat de protection attendu, il faut tout de même s’attendre à ce que demain, des juridictions l’ordre judiciaire -civiles ou pénales- puissent apprécier la pertinence du choix des mesures adoptées au regard de ce référentiel.
Certes, les juges ne seront pas liés par ses dispositions, mais cela ne manquera pas d’exercer une influence dès lors qu’il sera question d’expliquer en défense les choix de gestion mis en oeuvre, et d’apprécier d’éventuelles négligences.
Autrement dit, du point de vue des diligences normales de sécurité et de l’obligation de sécurité, il reste fortement recommandé d’appliquer les recommandations du protocole et d’éviter de s’en éloigner ; sauf à pouvoir alors être en mesure de justifier que leur adaptation aux spécificités de l’entreprise sur tel ou tel point permet effectivement de garantir un meilleur niveau de sécurité au regard de l’évaluation des risques, dans le respect des principes généraux de prévention.
covid-19 • CSE • obligation de sécurité