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Droit du Travail
par Arnaud Pilloix

Barème MACRON : coup de sifflet final ?


Par deux décisions du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation[1] a (enfin) mis un terme au suspens sur la validité du « barème Macron ».

 

Introduit par une ordonnance du 22 septembre 2017 dite « ordonnance Macron »[2], ce barème fixe un plancher et un plafond d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié dans le cas d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse (c’est-à-dire abusif).

Jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel[3], ce dispositif a néanmoins fait l’objet d’une vive contestation au regard (notamment) des engagements internationaux de la France.

Or certains conseils de prud’hommes et cours d’appel n’hésitaient pas à écarter  les « barèmes Macron » au visa de textes internationaux, dès lors qu’ils estimaient que le préjudice du salarié licencié abusivement était insuffisamment indemnisé.[4]

La position de la Cour de cassation était donc attendue, bien qu’elle ait déjà pu donner certains éléments de réponse dans son avis du 17 juillet 2019.[5]

Par deux arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation confirme la position qu’elle avait adoptée dans son avis, à savoir :

  • que le barème est compatible avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ;
  • que les Juges ne peuvent l’écarter par l’intermédiaire d’un contrôle de conventionnalité in concreto ;
  • que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’ayant pas d’effet direct, les salariés ne peuvent s’en prévaloir.

 

  1. Sur la conformité du barème Macron à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT

Pour faire écarter le barème et obtenir une indemnisation supérieure à celle à laquelle ils auraient eu droit, les salariés contestaient dans leurs pourvois la conformité du barème à l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Cet article énonce qu’en cas de licenciement injustifié, le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié.

Selon eux, l’indemnité légale prévue ne correspondait pas à l’indemnité « adéquate » à laquelle ils auraient pu prétendre, en vertu des textes internationaux.

Au terme d’un raisonnement détaillé, la Cour rappelle que l’une des caractéristiques d’une indemnité « adéquate » est que la perspective de son versement dissuade suffisamment l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse.

Or, le droit français dissuade doublement l’employeur de licencier, puisque lorsqu’un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le Code du Travail impose au juge (i) d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes d’assurance-chômage jusqu’à six mois d’indemnités[6], et (ii) d’octroyer au salarié le bénéfice d’une indemnité dont le montant est déterminé par le barème en cause.[7]

La Cour de cassation indique en outre :

  • que le barème n’a vocation à s’appliquer qu’au licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il ne concerne donc pas les licenciements nuls, c’est-à-dire que son application dépend de la nature de la faute commise par l’employeur ;
  • que le barème  tient compte non seulement de l’ancienneté du salarié mais également du niveau de rémunération.

En conséquence, le barème est compatible à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

  

  1. Sur l’impossibilité pour le juge français d’exercer un contrôle de conventionalité in concreto

Le juge peut écarter une norme de droit interne si son application porte une atteinte excessive aux droits du justiciable garantis par une convention internationale.

Aussi, certains juges avaient-ils pris la liberté, usant de ce contrôle dit « in concreto » de ne pas appliquer le barème lorsqu’ils estimaient que l’indemnité à laquelle pouvait prétendre le salarié n’était pas « adéquate ».

La Cour de cassation refuse que soit exercé un tel contrôle au double motif que ce contrôle :

  • Créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges ;
  • Porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, garanti à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

La Cour de cassation fait ainsi primer la sécurité juridique, et épargne au justiciable les nombreuses incertitudes qui auraient pu résulter d’un contrôle juridictionnel au cas par cas.

  

  1. Sur l’absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne

Les salariés contestaient en outre la conformité du barème à l’article 24 de la Charte sociale européenne lequel prévoit également le droit pour le salarié injustement licencié d’obtenir une indemnité « adéquate ».

Rappelant les critères de l’invocabilité directe d’une convention internationale, la Cour juge que la Charte sociale européenne n’ayant pas d’effet normatif en France, les salariés ne pouvaient s’en prévaloir.

 

  1. Sur la clôture des débats sur le barème Macron ?

Ces décisions, sauf résistance des tribunaux et cours d’appel, mettent un terme à « la saga du barème Macron ».

Concrètement, cela signifie :

  • Que les plaideurs ne pourront plus s’appuyer sur l’argumentation – devenue classique – tirée de l’inconventionnalité du barème au regard de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT ou de l’article 24 de la Charte sociale européenne ;
  • qu’il sera désormais difficile pour les juges de contourner ce dispositif sans risquer de voir leur décision censurée ;
  • que cette sécurisation juridique bienvenue permettra aux employeurs de mieux appréhender le risque financier d’un licenciement et le cas échéant d’en provisionner le montant. Ce gain de visibilité nous semble opportun pour fluidifier ce marché du travail dont les aléas liés aux coûts de rupture décourageaient parfois les employeurs d’embaucher.

Un heureux épilogue, donc !

 

Arnaud PILLOIX, assisté de Pierre-François CHONNIER

 

[1] Soc. 11 mai 2022, n° 21-15247 et n° 21-14490

[2] n° 2017-1387 et codifié à l’article L.1235-3 du Code du travail

[3] Cons. Const., n°2018-761 DC du 21 mars 2018

[4] Par ex. CPH Troyes, 13 déc. 2018, n°18/00418 ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, n° RG 20/02512

[5] Cass., ass. plén., avis, 17 juill. 2019, n° 19-70.010

[6] C. trav., art. L. 1235-4

[7] C. trav., Art. L. 1235-3

 


Arnaud Pilloix

Avocat associé, Bordeaux

Passionné par ce métier captivant et soucieux d'apporter aux clients une approche innovante, nous avons créé le cabinet ELLIPSE AVOCATS en 2010 avec Arnaud RIMBERT et Sébastien MILLET. Conseiller au quotidien les dirigeants et DRH avec une équipe dynamique & disponible dans un cadre de travail confortable et bienveillant. Cette philosophie guide nos choix au quotidien pour apporter des solutions pragmatiques. A titre plus personnel, après un parcours universitaire en France et en Angleterre tourné vers le droit des affaires, c'est en droit du travail et des relations sociales que j'ai toujours exercé la profession d'avocat, ce qui me permet de plaider, d'auditer, de restructurer et de conseiller au quotidien nos clients. Cette diversité permet d'assouvir ma curiosité et de croiser chaque jour des profils, des domaines d'activité et des projets multiples et variés pour toujours se renouveler, et surtout ne jamais avoir de certitude. Et enfin et surtout des moments de déconnexion indispensables pour trouver l'équilibre, sur une planche de surf et dans ma vie de famille.

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