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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Les enjeux du passeport de prévention pour les entreprises : work in progress !


La loi « santé-travail » du 2 août 2021 avait programmé l’entrée en vigueur du dispositif de passeport prévention au plus tard le 1er octobre 2022, mais les dispositions réglementaires se font toujours attendre …

Et pour cause, compte tenu des arbitrages techniques nécessaires pour faire fonctionner la future plateforme de dématérialisation puisque le passeport de prévention (à ne pas confondre avec l’acronyme du PDP qui renvoie au plan de prévention !) aura vocation à s’intégrer au passeport d’orientation, de formation et de compétences, lui-même intégré au système d’information du compte personnel de formation (CPF).

Derrière ces considérations techniques se cache aussi un enjeu d’ordre politique, liés au niveau de contraintes et de charges que cela est susceptibles de générer pour les entreprises en termes de gestion et de ressources allouées … et cela n’est sans doute rien comparé à la future obligation de déposer le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ainsi que ses mises à jour successives sur un portail dématérialisé pour en permettre, à terme, la traçabilité collective des expositions sur 40 ans glissants.

Dans l’attente, et suite aux propositions des partenaires sociaux présentées cet été dans le cadre du CNPST visant à aménager les modalités d’entrée en vigueur, le Gouvernement vient d’ouvrir un portail internet dédié à l’information publique sur le passeport de prévention depuis le 5 octobre 2022.

Derrière l’échéance légale du 1er octobre, c’est en fait un calendrier de déploiement progressif qui s’annonce, selon la feuille de route suivante :

  • Octobre 2022 : annonce du décret détaillant les modalités du passeport de prévention ;
  • Avril 2023 : ouverture du passeport de prévention pour les travailleurs (parcours de prévention et attestations) ;
  • 2023/2024 : Ouverture du passeport de prévention employeurs (déclaration des données) ;
  • 2024 : consultation des passeports de prévention par les employeurs.

Cette exigence de mise en place progressive était d’ailleurs bien exprimée dans l’ANI du 9 décembre 2020, que la loi est venue « transposer ».

Les entreprises (ainsi que les organismes de formation externes) disposeront ainsi d’un délai pour se mettre en conformité avec l’obligation de renseigner de manière centralisée dans le passeport de prévention l’ensemble de attestations, certificats et diplômes obtenus par chaque travailleur dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail et dispensées à l’initiative de l’employeur.

Objectif, améliorer la prévention des risques professionnels en :

  • Simplifiant le circuit de partage sécurisé d’informations entre le travailleur, l’employeur et les organismes de formation ;
  • Attestant la réalisation et le suivi des formations en santé-sécurité au travail (dans le cadre initial ou continu), ainsi que l’acquisition de qualifications ou de compétences, tant ce sujet est capital pour la prévention primaire (cf. axe 1.2 du 4e Plan Santé au Travail 2021-2025).

Précisons que dans ce phasage, des distinctions devraient être établies entre :

  • Les formations dites transférables d’une entreprise à l’autre (et même d’un secteur à l’autre) dans le cadre de la portabilité de l’outil, et celles qui ne le sont pas ;
  • Les formations réglementées obligatoires et spécifiques à certains travaux (ex : radioprotection, amiante, travaux sous tension, etc.), des formations SST non réglementées.

 

On imagine que les entreprises puissent être particulièrement intéressées par l’accès au contenu du passeport de prévention, en vue par exemple :

  • De sélectionner les candidats au recrutement selon le meilleur profil (sachant qu’un passeport bien renseigné sera un élément utile de valorisation du parcours professionnel pour le demandeur d’emploi) ;
  • D’apprécier l’étendue des qualifications dans le cadre d’une (ré)affectation, d’un changement de poste ;
  • De procéder à la désignation du référent prévention SST, lequel bénéficie désormais de droit, de la même formation en santé-sécurité au travail que les élus du CSE (C. Trav., L4644-1) ;
  • De bien cibler les actions de formation SST à déployer, ou les adapter au mieux compte tenu de la formation, de la qualification et de l’expérience professionnelle acquise (cf. C. Trav., R4141-5) ;
  • D’attester sur le plan probatoire (tout particulièrement dans le cadre d’actions en responsabilité civile ou pénale suite à AT) que le salarié disposait de solides compétences. Il est d’ailleurs indiqué sur le nouveau site que « les informations préchargées seront à valeur probante, traçables et garanties par la Caisse des Dépôts », ou encore que « le passeport de prévention permettra de générer une attestation pour apporter la preuve de vos compétences. Cette attestation sera basée sur votre parcours prévention ». Typiquement, cela ouvre d’intéressantes perspectives en termes de défense au contentieux …
  • Etc.

Toutefois, les choses ne seront pas forcément si simples sachant que le fait pour l’employeur d’avoir un accès au passeport afin de l’alimenter ne lui donnera pas automatiquement un plein accès à l’historique exhaustif des données qu’il contient.

En effet, il est prévu que c’est au travailleur qu’il appartiendra d’autoriser (ou non) l’employeur à « consulter » les données contenues dans le passeport de prévention, y compris celles que l’employeur n’y a pas versées.

Même si le dispositif semble s’orienter vers la possibilité pour le salarié de générer une « attestation prévention » destinée à l’employeur, on peut s’interroger sur l’interprétation de la loi dans la mesure où en principe, droit de « consultation » ne signifie pas autorisation d’utiliser à d’autres fins …

En tout état de cause, deux conditions supplémentaires sont prévues par la loi :

  1. Cette consultation est sensée avoir pour finalité exclusive le suivi des obligations patronales en matière de formation à la santé et à la sécurité ;
  2. Dans ce cadre, l’employeur devra garantir le respect des 6 principes généraux applicables en matière de traitement de données à caractère personnel prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 « informatique et libertés » (art. 4), que sont les exigences de licéité et loyauté, de finalités légitimes et transparentes, de pertinence et limitation, d’exactitude, de durée limitée de conservation, et enfin de sécurisation technique.

Ces restrictions légales pourraient aboutir à des contentieux en cas d’usage illicite ou déloyal des données issues du passeport prévention, quand bien même le salarié en aurait autorisé l’accès.

Ajoutons ici que les partenaires sociaux ont émis le souhait que le passeport prévention ne soit pas détourné et puisse constituer :

  • Un moyen de contrôle des compétences professionnelles des salariés ;
  • Un prérequis obligatoire à tout recrutement des salariés ;
  • Un outil de contrôle de l’utilisation des droits CPF acquis par les salariés.

Réciproquement, en faveur des entreprises, le passeport prévention :

  • Ne doit pas avoir pour finalité d’être un outil de contrôle des formations dispensées par l’employeur ;
  • Doit laisser libre l’employeur de garder les supports qu’il utilise actuellement pour justifier de la réalisation des formations en cas de contrôle.

En tout état de cause, attention aux faux-semblants, notamment pour les TPE-PME : le fait par exemple pour un salarié d’avoir reçu des formations SST dans le cadre d’un précédent emploi ne dispensera pas le nouvel employeur de lui délivrer a minima la formation pratique et appropriée à la sécurité de base, ni de la renouveler périodiquement (cf. L4141-2).

 

*Article publié sur www.preventica.com


Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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