Masturbation dans un véhicule de l’employeur : la vie privée protège le salarié

Cass. Soc. 20 mars 2024, n° 22-19.170

En matière de vie privée et de discipline, le principe établi par la Cour de cassation est le suivant : les faits tirés de la vie personnelle du salarié ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf si ces faits constituent un manquement à une obligation découlant du contrat de travail (Cass. Soc. 4 octobre 2023, n° 21-25.421 ; Cass. Ass. Plén. 22 décembre 2023, n° 21-11.330).

Ainsi, dès lors qu’un évènement se rattache à la vie privée du salarié, l’employeur ne peut en principe pas licencier. 

Face à des situations à la frontière entre sphères privées et professionnelles, l’employeur qui veut réagir doit donc faire preuve d’une particulière vigilance. 

Des faits pouvant, de prime abord, paraître graves pour l’employeur, peuvent en réalité se révéler non-sanctionnables.  

Les exemples fournis par la jurisprudence peuvent en paraître assez insolites. 

Tel est le cas d’un arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2024 (Cass. Soc. 20 mars 2024, n° 22-19.170).

Dans cette affaire, l’employeur reprochait à un salarié de s’être stationné dans un chemin de forêt avec un camion de l’entreprise – siglé au logo de celle-ci – et de s’y être masturbé. 

Un promeneur avait signalé ces faits à l’employeur, photographie du camion à l’appui, lequel avait donc décidé de licencier son salarié pour faute grave. 

Saisie du litige, la Cour d’appel d’AMIENS avait validé le bien-fondé du licenciement en considérant que ces faits, qui s’étaient déroulés sur le trajet entreprise/domicile et à bord d’un véhicule de la société, relevaient bien de la sphère professionnelle et portaient atteinte à l’image de l’entreprise.

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis. 

Pour elle, les faits ayant été commis hors temps de travail, la seule circonstance qu’ils se soient déroulés dans le véhicule professionnel mis à disposition du salarié, lors du trajet travail/domicile, ne pouvait suffire à les rattacher à sa vie professionnelle.

Ces faits relevant de la vie intime du salarié, ils n’auraient pu justifier un licenciement disciplinaire qu’à condition de constituer un manquement à une obligation découlant du contrat de travail… ce qui n’est pas le cas. 

Le fait, pour un salarié, de se masturber dans un camion siglé au logo de l’employeur et garé dans un lieu public ne justifie donc pas, en soi, un licenciement disciplinaire. 

On peut toutefois se demander s’il n’aurait pas été permis à l’employeur, dans ce type de circonstances, d’envisager un licenciement non pas disciplinaire mais fondé sur le trouble objectif causé au fonctionnement de l’entreprise (notamment en termes d’image), à condition bien sûr qu’un tel trouble soit réellement établi. 

La Cour de cassation admet en effet la possibilité de licencier un salarié lorsque son comportement, bien que relevant de sa vie privée et donc non-fautif, a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise (Cass. soc. 13 mars 2023, n° 22-10.476) : dans cette hypothèse, ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui constituent le motif de licenciement, mais les conséquences de ces faits pour l’entreprise (s’il y en a)…

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