Justice sociale ou déni de justice ?

Demain matin, je vais plaider devant la Chambre sociale de la Cour d’appel d’Aix en Provence un licenciement datant… du 6 avril 2017 !
 
Un « banal » dossier de licenciement pour motif personnel contesté par le salarié.
 
Un dossier pour lequel ce sont donc les anciennes dispositions ante barème macron (datant de septembre 2017) qui s’appliquent. 
 
Un dossier pour lequel plus aucun interlocuteur de l’époque n’est encore présent dans l’entreprise.
 
Le Conseil de prud’hommes de Marseille a rendu son jugement le 20 février 2020, c’est-à-dire avant la pandémie de Covid.
 
Il aura donc mis près de 3 ans à statuer. Rien d’anormal puisque même la Cour des Comptes dans son rapport de juin 2023 appelait à un plan de redressement sans délai de cette juridiction dont « les délais sont trop longs et les stocks augmentent en dépit des réformes du droit du travail qui ont réduit le volume des contentieux et des modifications des procédures ».
 
Le salarié avait donc déjà attendu 3 ans depuis son licenciement pour que la justice dise si celui-ci était justifié.
 
Mais il a encore dû attendre 4 ans et 9 mois que la Cour entende son affaire ; et il devra encore patienter quelques mois pour qu’elle rende sa décision.
 
Il était parfois affirmé que les avocats étaient responsables de la lenteur de la justice, et que l’application du décret Magendie aurait pour effet de réduire les délais.
 
Mais cette explication ne tient plus la route puisqu’il est aujourd’hui flagrant que malgré l’application du décret Magendie qui impose aux parties de conclure chacune dans un délai de 3 mois, les délais ne cessent d’augmenter.
 
A Lyon comme à Paris, le délai d’audiencement devant les Chambres sociales avoisine plutôt les 5 ans !!
 
Ce qui est inexplicable c’est qu’en 10 ans, le nombre de dossiers prud’homaux a été divisé par 2 (200 000 nouvelles requêtes en 2010 et 93 000 en 2023 …).
 
Alors évidemment cette lenteur de la procédure s’explique par un manque chronique de moyens matériels et humains. Pas de papier pour imprimer les conclusions. Pas le temps de répondre au téléphone pour donner les délibérés. Pas de matériel informatique pour lire les clefs USB. Etc.
 
L’Etat est systématiquement condamné à indemniser les justiciables pour déni de justice sur le fondement de l’article 6-1 de la CEDH. C’est caricatural d’une justice malade : préférer indemniser le justiciable que de donner les moyens à la justice de fonctionner…
 
Evidemment, personne ne peut se réjouir de cette situation.
 
Ni les salariés désespérés de voir trancher leur situation.
 
Ni les employeurs.
 
D’abord, parce qu’ils voient les provisions des dossiers prud’hommaux plomber leurs comptes année après année.
 
Surtout parce qu’ils s’exposent au paiement des intérêts légaux sur les condamnations mises à leur charge. Intérêts légaux qui courent soit à compter la saisine, soit à compter du jugement, et qui ont dépassé cette année le taux historique de 8%. 
 
Autrement dit, une condamnation en appel en novembre 2024 à 25 000 € de dommages et intérêts suite à une saisine du 28 février 2018, générera 7 069,83 € d’intérêts supplémentaires…
 
Une nouvelle considération donc à intégrer dans l’évaluation du risque…

Autrice de l'article

Avocat associée Lyon

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