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Droit du Travail
par David Fonteneau

La réforme des « ordonnances Macron», la fin de la « malédiction du compte 641 » ?


Au commencement, Il y a eu une certitude, celle, partagée par tous, que la notion de masse salariale retenue pour la subvention de fonctionnement et la contribution au financement des activités sociales et culturelles englobent l’ensemble des rémunérations ou sommes ayant la nature juridique de salaire .

Le 30 mars 2011, les certitudes ont laissé la place au doute à la suite d’une décision de la Cour de cassation (n°10-30080) faisant brusquement référence et « sauf engagement plus favorable » au « Compte 641 du Plan Comptable Général (PCG) » pour déterminer le montant de la contribution patronale consacrée au financement de ces activités culturelles .

Des conflits sont nés de cette décision en ce qu’elle faisait référence à une notion comptable peu compatible avec les références habituelles du droit du travail. Bien évidemment les comités d’entreprise ont sollicité, à l’appui de cette décision, des compléments (rétroactifs) de financement sur la base de cette nouvelle donne. Les employeurs, confortés dans premier temps par la résistance des juges du fond à retenir une notion de plan général comptable, se sont montrés peu disposés à y accéder, notamment parce que la Cour leur imposait de prendre en charge des sommes provisionnées mais qui n’étaient pas nécessairement décaissées (exemple : les congés payés).

Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que les relations sociales se dégradent, en particulier sur un sujet aussi délicat que celui des budgets du comité d’entreprise (prochainement « comité social et économique » ou CSE).

Une succession de décisions correctrices de la Cour de cassation n’a pas éteint l’insécurité juridique qui existe depuis 2011. Et les partenaires sociaux, au-delà des contentieux, ont bien souvent convergés vers une solution pérenne et équilibrée pour les deux parties : la négociation et l’accord collectif. Cet accord, par lequel le calcul de ce budget est convenu, apporte aux élus une visibilité dans la gestion de leurs dépenses sociales. Les impératifs de prévisibilité économique et de maîtrise des coûts sont également atteints. Au final, les désaccords juridiques existants se sont transformés en accord (1).
Les modifications apportées par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise vont-elles apporter un peu de sérénité au débat ou au contraire le relance ? La nouvelle donne issue de l’ordonnance précitée devrait à court terme alimenter les discussions, en même temps qu’elle contient en son sein la méthode de résolution des conflits : la négociation collective (2).

1. La transformation des désaccords en accords

1.1 Un montant non-déterminable de la contribution patronale

La Cour de cassation a déclenché les hostilités. Le législateur n’était jusqu’à présent jamais intervenu pour définir avec clarté les modalités de détermination de la contribution patronale au financement des œuvres sociales. L’ancien article L.2323-86 du code du travail disposait uniquement que « la contribution versée chaque année par l’employeur pour financer des institutions sociales du comité d’entreprise ne peut, en aucun cas, être inférieure au total le plus élevé des sommes affectées aux dépenses sociales de l’entreprise atteint au cours des trois dernières années précédant la prise en charge des activités sociales et culturelles par le comité d’entreprise ».

A défaut de toute précision et pour des questions de simplicité, c’est l’assiette de calcul de la subvention de fonctionnement qui était retenue par les entreprises. Or, cette assiette était définie en fonction de la « masse salariale brute ». La question s’est dès lors posée de savoir ce que l’on entendait par « masse salariale brute ». S’agissait-il des dépenses de l’entreprises assujetties à cotisations sociales au sens de l’article L.212-4 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire celles ayant la nature juridique de salaire ? Ou s’agissait-il plus largement des dépenses de personnel ? Débitrices directes de l’obligation de contribution, les entreprises retenaient l’assiette des cotisations sociales, notamment parce qu’il était possible d’obtenir rapidement des données chiffrées par le biais de la déclaration annuelle des données sociales (DADS) transmises aux organismes de sécurité sociale.

Sous la pression de certains comités d’entreprise et à défaut de fondements législatifs, la Cour de cassation a finalement décidé que les seules données comptables relatives aux « Rémunérations du personnel » devaient servir d’assiette de calcul de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles . Autrement dit, c’est le compte 641 du plan comptable général qui devait être appliqué. Trois ans plus tard, la Cour adoucissait quelque peu sa position en précisant, concernant le budget de fonctionnement, que devaient être exclues de cette intégration les « sommes qui correspondent à la rémunération des dirigeants sociaux, à des remboursements de frais, ainsi que celles qui, hormis les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite et de préavis, sont dues à la rupture du contrat de travail ».

Cette nouvelle donne a suscité l’inquiétude au sein de nombreuses entreprises. L’utilisation de la DADS (devenue DSN) était d’abord bien pratique car elle permettait d’obtenir régulièrement des informations sur les sommes versées aux salariés. Les données comptables ne sont en revanche disponibles qu’en fin d’exercice (souvent trois mois après) et conduisent, elles, à devoir réaliser des régularisations a posteriori. Le « compte 641 » est ensuite bien compliqué à appréhender. Il englobe en effet de nombreuses sommes exclues en tout ou partie de l’assiette des cotisations de sécurité sociale (indemnités de rupture du contrat, sommes attribuées au titre des droits à la formation…). Le « le compte 641 » impliquait enfin de prendre en compte des provisions comptables (congés payés, jours RTT…) dont le montant était par définition imprécis, incertain, et fréquemment surestimé en application du principe de prudence comptable. Des tensions surgissaient alors inévitablement entre les directions d’entreprise, optimisant leur gestion par application des règles d’inscription comptable, et les comités d’entreprise, qui sollicitaient logiquement des compléments de financement compte-tenu des évolutions jurisprudentielles.

1.2 Un montant déterminable de la contribution patronale

Face à ces heurts et compte tenu de l’impossibilité d’en référer de façon certaine aux règles légales et jurisprudentielles, le recours au dialogue social est apparu comme une très bonne opportunité pour les partenaires sociaux de mettre fin à un risque pour les uns comme de sécuriser les budgets au bénéfice des salariés pour les autres.

L’accord collectif doit porter sur les modalités précises de détermination de l’assiette des cotisations et ainsi être transparent sur la formule de calcul du financement des activités sociales et culturelles.

L’accord collectif est opposable aux parties en cas de renouvellement des acteurs (changement de direction et/ou nouveaux membres du comité). Comment sécuriser un tel accord ? Deux options pour la direction : négocier avec les représentants du comité d’entreprise ou avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.

La Cour de cassation a pu, de façon isolée, reconnaître la possibilité pour les entreprises de conclure un accord avec le comité d’entreprise ou d’établissement afin de définir le montant ou l’assiette de ses budgets . Cette voie n’est pas privilégiée par les textes. Le législateur a en effet octroyé la prérogative de négociation et d’engagement de la communauté de travail aux seules organisations syndicales ayant obtenu la représentativité. Finalement, la seule voie ouverte aux élus est celle de la conclusion d’un protocole transactionnel, laquelle reste limitée à la résolution des litiges nés ou à naitre et n’est donc pas pleinement satisfaisante.

C’est donc toujours avec les organisations syndicales que des discussions sur la détermination du budget des activités sociales et culturelles doivent être initiées. De telles négociations impliqueront bien entendu souvent en pratique la présence des représentants élus du comité d’entreprise.

Négocier sur les budgets du comité d’entreprise s’est fortement répandu, depuis 2011, au sein des entreprises. A terme, la publication des accords collectifs, même anonymisés, devait permettre de visualiser l’ampleur du phénomène. Cette manifestation devrait s’effectuer plus rapidement que prévu puisque les « ordonnances Macron » consacrent le rôle de l’accord collectif dans le financement des institutions sociales. La reconnaissance de cette voie était d’autant plus nécessaire que les modalités de calcul des assiettes de cotisations ont encore fait l’objet d’une évolution, donnant lieu à de nouvelles incertitudes.

2. La réforme issue des ordonnances Macron : incertitudes sur le fond mais certitude sur la méthode

D’abord connue pour la fusion des instances et la création du comité social et économique, l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 est aussi venue encadrer l’assiette de calcul de la contribution patronale au financement des activités sociales et culturelles du comité social et économique et sa subvention de fonctionnement.

2.1 La nouvelle assiette unique de calcul

L’ordonnance n°2017-1386 met un terme au silence du législateur et définit expressément l’assiette de calcul des contributions patronales. Le nouvel article L.2312-83 du code du travail, applicable au 1er janvier 2018, précise (enfin) que la masse salariale brute à prendre en compte est « constituée par l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale en application de l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale. Le législateur a en outre pris le soin d’aligner parfaitement l’assiette de calcul des activités sociales et culturelles avec celle servant de calcul à la subvention de fonctionnement du comité. Leurs termes sont aujourd’hui strictement similaires .

L’assiette des contributions patronales est donc calquée sur l’assiette des cotisations de sécurité sociale c’est-à-dire sur les sommes ayant le caractère de salaire apparaissant dans la déclaration sociale nominative (DSN). Il s’agit ici d’un retour à la jurisprudence antérieure à la décision de la Cour de cassation du 31 mars 2011. En conséquence, certaines sommes provisionnées n’ont plus à être intégrées.

2.1.1 Le traitement des indemnités de rupture

Le législateur a immédiatement précisé que les « indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée » n’étaient, à titre d’exception, pas inclues dans cette nouvelle assiette. Cette précision n’est pas sans conséquence compte-tenu de la jurisprudence antérieure. En effet et jusqu’à présent, les indemnités légales et conventionnelles de licenciement et les indemnités de retraite intégraient l’assiette de calcul de la contribution patronale . Concernant les indemnités transactionnelles et de rupture conventionnelle, la partie équivalente au montant des indemnités légales et conventionnelles étaient également comprises . Seule la fraction supérieure à ce montant était sortie de l’assiette de calcul de la contribution patronale.

L’absence de tout complément à la référence aux « indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée » dans le nouvel article L.2312-83 du code du travail demeure en revanche explicite. Dorénavant et dès le 1er euro, les indemnités liées à une rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée n’intègrent pas l’assiette de calcul du budget du comité. Et ce peu important leur régime social. Les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, versées ou non dans un cadre négocié, sont notamment concernées.

Cette rédaction fait naître de nouvelles interrogations. Ainsi le traitement des sommes à caractère salarial versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée reste incertain. Sont ici visées les indemnités compensatrices de préavis, de congés payés, de conversion monétaire du compte épargne temps et de contrepartie obligatoire en repos, qui à ce jour sont comprises dans l’assiette de calcul du budget social du comité d’entreprise . Se posera également la question du traitement des indemnités de rupture injustifiée anticipée du contrat à durée déterminée, lorsque celles-ci excèderont les sommes dues par l’employeur jusqu’au terme initial du contrat.

En tout état de cause, le traitement des indemnités de rupture peut être une source de litiges. De la même façon, le traitement des sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement est aussi une source d’incertitudes.

2.1.2 les sommes distribuées au titre de l’épargne salariale

Les nouveaux articles L2312-83 et L2331-81 du code du travail disposent que « les sommes effectivement distribuées aux salariés lors de l’année de référence en application d’un accord d’intéressement ou de participation sont incluses dans la masse salariale brute ». En effet et jusqu’à présent, les sommes attribuées en application d’un accord de participation ne relevaient pas nécessairement du compte 641 du plan comptable général mais plutôt du compte 691 (Participation des salariés aux résultats). Elles n’étaient pas non-plus intégrées dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale .

Ces paramètres ont conduit justement de nombreuses entreprises à ne pas inclure les sommes versées au salarié au titre de la participation et de l’intéressement dans l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprise. Le législateur prévoit désormais expressément cette intégration.

Un écueil demeure toutefois puisque cette intégration se limite aux « sommes effectivement distribuées », sans définir ce que l’on entend par cette nouvelle notion. Les bénéficiaires de la participation peuvent en effet opter pour une période de blocage dans le cadre d’un dispositif d’épargne salariale ou pour un versement immédiat. Les bénéficiaires de sommes au titre de l’intéressement peuvent également être amenés à affecter leurs droits sur un plan d’épargne d’entreprise. Dans ces deux situations, doit-on en tout état de cause considérer que, quel que soit le choix des salariés, des sommes ont été « effectivement distribuées » ? L’imprécision du texte est ici réelle. Elle génèrera de fait des interprétations divergentes entre partenaires sociaux sans parler des incidences financières ou pratiques.

Une chose est certaine : si les incertitudes justifiaient jusqu’ici le recours à l’accord collectif, la logique perdure aussi avec le changement induit par les ordonnances du 23 septembre 2017.

2.2 La consécration de l’accord collectif pour le budget social

En parallèle des débats autour des budgets du futur comité social et économique, le législateur a, de manière discrète, officialisé la primauté de l’accord collectif pour déterminer, de manière pérenne, le budget social du comité d’entreprise.

Le nouvel article L.2312-81 du code du travail, applicable au plus-tard au 1 janvier 2018, dispose ainsi expressément que la contribution patronale destinée au financement du budget social est « fixée par accord d’entreprise ». L’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 va encore plus loin dans le rôle de l’accord collectif en matière de financement des activités sociales. Pour les entreprises comportant plusieurs comités sociaux et économiques d’établissement, la détermination du montant global de la contribution patronale versée pour financer les activités sociales et culturelles du comité doit ainsi être effectuée au niveau de l’entreprise . Surtout « la répartition de cette contribution entre les différents comités d’établissement est fixée par un accord d’entreprise. A défaut d’accord, cette répartition est effectuée au prorata de la masse salariale de chaque établissement ».

Concomitamment à la création du comité social et économique, les « ordonnances Macron » signent elles avec ce texte la fin de la « malédiction » qui pesait sur la détermination des budgets du comité d’entreprise depuis 2011 ?

En tout état de cause, la règle nouvelle se donne les moyens d’y parvenir, en particulier en offrant un cadre rigoureux à la négociation. C’est donc un changement culturel, initié par la pratique, qui a vocation à s’étendre, sous l’impulsion du législateur, à toutes les entreprises.

Compte-tenu des nombreuses incertitudes qui reposent encore sur la nouvelle assiette de calcul, il s’agit ici d’une initiative à saluer. Il semble d’ailleurs possible de prévoir dans un seul et même accord l’assiette de calcul de la contribution et la répartition du montant déterminé entre les différents établissements composant l’entreprise.

Bien entendu et en l’absence de toute précision contraire, c’est avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise que la négociation doit se poursuivre sauf à mettre en place un conseil d’entreprise.



David Fonteneau

Avocat associé, Paris

Intègre en 2000, après l’obtention d’un doctorat en droit privé, le cabinet d’avocats Barthélemy et associés à Bordeaux puis à Paris. Rejoint le groupe d’armement industriel de l’Etat Français Giat Industries en 2005 pour piloter les chantiers sociaux d’une profonde restructuration (4 600 départs) et sa mutation à partir de 2006 (Giat Industries devient alors Nexter Groupe). Accompagne, à partir de 2008, en qualité de Directeur des relations sociales, le Groupe SPIE (près de 600 sites dans 38 pays et 47 000 collaborateurs, SPIE a réalisé, en 2018, un chiffre d’affaires consolidé de 6,7 milliards d’euros et un EBITA consolidé de 400 millions d’euros) dans ses projets de développement (acquisitions, Leverage Buy Out, Initial Public offering, négociations et pilotage de l’instance européenne de dialogue social). Intègre, à partir de 2016, le réseau ELLIPSE Avocats (Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Bayonne, Lille, Nantes) dont il participe au développement en créant le bureau parisien.   Il propose aux entreprises une approche multi-compétences des relations sociales et de la négociation sociale au service de la conduite du changement.   Son expertise : Le droit social, la stratégie et la négociation sociale au service de la stratégie d’entreprise, l’accompagnement des équipes dirigeantes, la gestion de crise et la gestion de projets, l’animation des équipes RH dans le quotidien, l’audit social.

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