XS
SM
MD
LG
XL
Droit du Travail
par Sébastien Millet

# CORONAVIRUS : la demande d’activité partielle, entre stratégie et retours d'expérience


Depuis plus de 15 jours, les directions d’entreprise ont dû se débattre pour préparer leur dossier de d’activité partielle sans avoir de visibilité claire sur la façon dont leur demande serait traitée.

Il est toujours très délicat de planifier une organisation de crise en se basant sur de simples annonces, et il fallu attendre la publication des textes officiels pour connaître le contenu précis du nouveau dispositif d’activité partielle, ce qui est pratiquement chose faite, sous réserve d’un dernier décret à paraître en application de l’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020.

Il a également fallu composer avec les difficultés de mise en place d’une plate-forme administrative dématérialisée destinée à gérer un afflux massif de demandes auprès des DIRECCTE.

Il faut dire que les demandes d’activité partielle pour motif de circonstance exceptionnelle liée au coronavirus sont très différentes des cas jusqu’à lors habituels de difficultés économiques, généralement plus faciles à anticiper pour les entreprises (notamment en ce qui concerne les mesures d’évitement ou de limitation du recours au chômage partiel).

Ici au contraire, tout est allé très vite avec un effet domino particulièrement brutal où la conjonction de plusieurs facteurs (fermeture des établissements scolaires, mesures de confinement, décision de suspension d’activité des grands donneurs d’ordre, etc.) a conduit tous les acteurs à subir les événements et devoir agir en réaction.

Face à l’urgence de cette situation inédite, il est toujours utile de prendre un peu de hauteur, et de garder à l’esprit plusieurs éléments

  1. A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle

L’activité partielle constitue un outil de gestion économique de l’entreprise en période de crise ; le bénéfice de ce dispositif, s’il est accepté par l’administration, permet de servir « d’amortisseur » à l’entreprise.

Les entreprises, généralement assez peu familiarisées avec ce dispositif, ont dû mettre en place un plan de bataille à marche forcée, avec l’appui de leurs conseils.

Précisons d’emblée que la mesure n’est que temporaire et partielle ; en aucun cas elle ne peut couvrir la perte d’exploitation liée à la sous-activité. En outre, sur le plan de trésorerie, l’employeur doit toujours faire l’avance du maintien de salaire aux salariés (même si ce n’est pas le 100% tel que cela a pu être initialement compris à tort). Cela peut toutefois être couplé avec d’autres dispositifs de soutien mis en place par les pouvoirs publics.

À cet égard, le dispositif d’activité partielle a été remanié et amélioré tant sur le plan de la durée (doublement la durée maximale théorique de six à 12 mois), et de la limite de prise en charge par l’ASP (le plafond de 70 % de la rémunération étant revalorisé dans la limite de 4,5 Smic, ce qui permet de couvrir pour l’entreprise le maintien de rémunération à des cadres dirigeants au forfait jours notamment).

Gageons que l’adaptation du dispositif de « chômage partiel » en quelques semaines constitue incontestablement un tour de force, à la hauteur des enjeux économiques et sociaux.

Reste le financement, nécessairement par la dette et donc in fine par l’impôt, mais l’essentiel à ce stade est de sauver un maximum d’entreprises et d’emplois, puisque tel est l’objectif de l’activité partielle, à savoir éviter les licenciements économiques …

2. Des aides conditionnées : faire avec l’outil mis à disposition

Du point de vue financier, il s’agit pour entreprise de solliciter le bénéfice d’une aide publique, et d’une certaine manière, de faire appel à la solidarité nationale (ce qui exclut les entreprises ayant été condamné pour travail illégal par exemple).

De nombreuses mesures ont été prises en façade afin de simplifier, sur le papier, l’octroi de ces aides :

  • Possibilité de passer en activité partielle sans attendre d’avoir obtenu une autorisation préalable de l’administration, la demande pouvant être régularisée dans les 30 jours suivants (il ne s’agit toutefois pas d’une simple démarche déclarative ; en cas de refus, l’employeur devra maintenir l’activité et en tout état de cause, les rémunérations à 100 %) ;
  • Ouverture dispositif à toutes les entreprises ;
  • Traitement accéléré des demandes sous 48 heures (sous réserve toutefois d’avoir préalablement obtenu des codes informatiques ce qui consomme plusieurs jours de délai en amont et nécessite de s’y prendre à l’avance pour rester dans le délai de 30 jours impartis pour le dépôt de la demande à compter de la mise en activité partielle) ;
  • Rubriquage simplifié du formulaire (en apparence du moins car certaines mentions laissent place à l’interprétation, et l’utilisateur se voit contraint par l’outil avec un espace limité pour pouvoir détailler sa demande) ;
  • Limitation des documents justificatifs à fournir (avec par exemple la possibilité de différer la communication de l’avis consultatif du CSE dans les deux mois suivants la demande, mais attention car l’entreprise n’est pas à l’abri d’un éventuel retrait d’autorisation dans l’hypothèse où l’administration estimerait à réception du document que la demande n’était initialement pas conforme).

Très vite, les directions d’entreprise ont donc pu s’apercevoir que la réalité était toute autre …

Au titre des désagréments rencontrés, citons notamment :

  • Des délais variables d’obtention des codes informatiques, l’impossibilité de pouvoir centraliser au niveau du siège de l’entreprise les demandes pour les différents établissements distincts (une demande par numéro de SIRET) ;
  • Une absence d’uniformité dans les positions administratives, d’une DIRECCTE à l’autre ;
  • Des interprétations administratives fondamentalement contraires aux textes applicables (le meilleur exemple étant l’exigence de borner au 30 juin 2020 la première demande de prise en charge, alors que dans le même temps, le décret étend de 6 à 12 mois la durée maximale d’éligibilité au dispositif) ;
  • Etc.

Inévitablement, pour le chef d’entreprise, ces éléments d’incertitude quant à la sécurisation de la décision administrative à intervenir génère une forte anxiété, mais on sait que ce paramètre entre généralement assez peu en considération dans des politiques publiques.

3. Choix du bon timing

Il faut bien considérer que si la masse des demandes déposées (par milliers !) va nécessairement se traduire en pratique par un contrôle assez formel et limité donnant lieu à des autorisations implicites dans l’essentiel des cas, cela ne fait que déplacer la problématique sur le risque de contrôle renforcé a posteriori.

Deux situations doivent être distinguées ici :

  • D’une part, l’hypothèse de remboursement en cas de perception d’allocations indues. À cet égard, il est absolument essentiel quel que soit le curseur de l’activité partielle (suspension ou réduction d’activité) que l’entreprise soit en mesure de quantifier et justifier, comme c’est son obligation, la volumétrie des heures de travail effectivement perdues du fait de la sous-activité, afin de pouvoir formuler des demandes de prise en charge « au plus juste ».

À cet égard, une fois l’autorisation acquise, « qui peut le plus peut le moins », et bien entendu il ne pourra être reproché entreprise d’avoir finalement moins sollicité le dispositif que prévu. Il est à cet égard important de bien calibrer le besoin en termes de volumétrie d’effectifs, d’heures et de période prévisionnelle (cf. ci-après).

  • D’autre part, l’hypothèse où il serait estimé que l’entreprise ne justifiait en fait pas -ou pas suffisamment- des conditions requises pour prétendre à l’activité partielle.

Au-delà du cas de fraude aux aides publiques (passible de sanctions notamment sur le terrain du travail illégal), on peut toujours imaginer qu’une décision d’autorisation individuelle puisse être retirée il s’avère que la baisse d’activité de l’établissement n’était pas suffisamment caractérisée sur le plan économique, rendant ainsi sa décision initiale illégale (cf. CRPA, L241-1 et suivants). Précisons que légalement, l’administration peut de sa propre initiative et sans condition de délai, abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie, ou retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées.

Pour autant, l’entreprise ne devrait pas avoir à justifier de l’existence de difficultés économiques au sens de celle entendue en matière de licenciement pour motif économique.

4. Le choix du bon curseur d’activité partielle

Il est donc capital de bien préparer en amont la demande afin d’éviter d’importantes déconvenues en sortie.

À cet égard, la procédure d’information consultation du CSE constitue une étape essentielle à ne pas négliger, car elle doit permettre à la fois d’objectiver et de quantifier l’activité partielle dans son volume et sa durée, et de donner de la visibilité au personnel sur le plan des conséquences économiques et sociales de cette mesure (notamment en termes de maintien d’avantages et de rémunération, et de modalités de reprise programmée d’activité).

L’obtention obligatoire d’un avis -de préférence favorable- le plus rapidement possible est intimement liée à la qualité de l’information donnée, sachant qu’à défaut, l’employeur risque de devoir attendre jusqu’à un mois pour pouvoir bénéficier d’un avis implicite réputé négatif, assez incompatible avec le délai de 30 jours impartis pour déposer la demande …

Sans doute faut-il insister dans le cadre de ces réunions sur :

  • L’importance d’une approche responsable de tous les acteurs, afin de ne pas aggraver les difficultés de l’entreprise ;
  • Le fait qu’en l’absence de visibilité claire sur une date de retour à la normale, la situation peut être amenée à évoluer au cours de la période d’activité partielle. Il est important que sur ce plan l’employeur puisse conserver au titre de son pouvoir de direction une marge de manœuvre, notamment pour pouvoir rappeler si nécessaire du personnel (sous réserve de bien anticiper la thématique santé sécurité au travail). Le cas échéant, la contrainte essentielle sera de veiller à faire autant de points l’information que nécessaire auprès des partenaires sociaux.

L’objectif doit bien évidemment être de rester le moins longtemps possible dans l’activité partielle, mais il est certain que toutes les entreprises ne sont pas dans des situations comparables, avec celles qui pourront anticiper un retour à la normale dès la fin du confinement, et celles qui, tributaires de leurs clients, fournisseurs, démarches internationaux, etc., devront au contraire gérer un redémarrage beaucoup plus progressif.

La question de la durée de la prise en charge est donc au cœur de la stratégie d’activité partielle.

Mieux vaut tabler sur une période prévisionnelle raisonnable mais suffisante afin de couvrir le besoin intégralement. Si en effet le terme du dispositif s’avère trop court, l’entreprise devra alors procéder à une nouvelle demande dans les termes seront beaucoup plus contraignants puisqu’elle devra dans ce cadre prendre des engagements écrits vis-à-vis de l’administration en termes d’emploi, de formation, de GPEC et de rétablissement de la situation économique (cf. C. Trav., R5122-9 II), et dont l’administration est chargée de s’assurer du respect par l’employeur.

En tout état de cause, il faut savoir que les décisions administratives dans ce domaine doivent être motivées et sont susceptibles de recours (cf. précédent article).

Toutes nos équipes se mobilisent pour accompagner les entreprises dans cette gestion de crise, leur apporter des analyses et un retour d’expérience utile sur les pratiques et sécuriser au mieux leurs démarches.



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

Contactez nous

Obtenez le meilleur conseil
en droit du travail pour votre entreprise

Obtenir du conseil

Confidentialité et réactivité
Nos avocats interviennent partout en France