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Non catégorisé, Droit du Travail
par David Fonteneau

Le suivi de la carrière des représentants du personnel et des représentants syndicaux


Cet article a été publié dans la revue les Cahiers Lamy du CSE du mois de juillet 2020 : lien article Cahier Lamy du CSE

Résumé :

L’exercice d’un mandat n’est pas sans conséquences sur le déroulement d’une carrière professionnelle. Alors que le représentant du personnel ou syndical est avant tout un salarié de l’entreprise, l’exercice d’un mandat impacte son activité professionnelle. Il permet l’apprentissage et l’acquisition de nouvelles compétences pouvant être utiles pour l’entreprise. Le législateur a prévu un cadre spécifique, souvent complété par des dispositions conventionnelles pour assurer le suivi de la carrière des représentant du personnel. Le suivi régulier de la carrière du représentant permet notamment d’éviter des situations de discrimination latentes.

I. Les dispositifs légaux de suivi de la carrière du représentant du personnel.

L’introduction par les ordonnances du 22 septembre 2017 de la fusion des mandats (CE, DP, CHSCT) et de la limitation du nombre de mandats successifs nécessite l’adaptation et l’anticipation de la gestion des emplois occupés par des représentants du personnel.

Dans cette optique, le législateur a prévu plusieurs dispositifs afin d’intégrer ce mandat dans la vie professionnelle présente et future du salarié (entretiens de début et de fin de mandat, certification des compétences acquises au cours du mandat, sujets de négociation en entreprise, garantie d’évolution de rémunération, etc…)

A. Entretiens de début et de fin de mandat

1 – Entretien de début de mandat

L’article L. 2141-5 du code du travail, d’ordre public, prévoit qu’au début du mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical bénéficie, à sa demande, d’un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi.
La loi vise les représentants du personnel titulaires (membres titulaires de la délégation de personnel au CSE, représentant de proximité le cas échéant, du comité de groupe, ou du comité d’entreprise européen) et exclut les suppléants sauf quand ceux-ci sont porteurs d’un mandat de titulaire dans une autre instance. Il vise également, le délégué syndical, ainsi que le titulaire d’un mandat syndical (représentant de la section syndicale, représentant syndical au CSE ou au CSE central d’entreprise).
S’il s’agit en principe d’un entretien à la demande du salarié, il semble néanmoins opportun que l’employeur en assure l’information auprès de l’intéressé. Cet entretien apporte de la visibilité sur le déroulement du mandat, pour le salarié comme pour l’entreprise.
Par ailleurs, le texte précise que cet entretien ne se substitue pas à l’entretien professionnel mentionné à l’article L. 6315-1. Toutefois, en pratique, rien n’interdit, dans l’hypothèse où le début du mandat et l’entretien professionnel coïncident chronologiquement de procéder à ces deux entretiens de manière distincte mais coordonnée.
Enfin, dans le cadre de l’entretien de début de mandat, le salarié peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.

2 – Entretien de fin de mandat

A l’issue d’un mandat « important » de représentant du personnel titulaire ou d’un mandat syndical, celui-ci bénéficie d’un entretien permettant de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise (C. trav., art. L. 2141-5, al. 4). Il concerne les mêmes représentants que ceux visés par l’entretien de début de mandat. A la différence de l’entretien de début de mandat, il semble que la proposition incombe cette fois à l’employeur.
Quant au caractère « important » du mandat, lorsque le mandat a pris effet avant le 1er janvier 2020, l’entretien de fin de mandat concerne les représentants du personnel et les titulaires de mandat syndical disposant d’heures de délégation sur l’année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail (482 heures pour un salarié travaillant 35 heures)
En revanche, une distinction a été mise en place pour les mandats prenant effet à compter du 1er janvier 2020. Dans les entreprises d’au moins 2000 salariés, tous les représentants du personnel titulaires et titulaires de mandat syndical sont visés. Dans les entreprises de moins de 2000 salariés, le critère des 30 % de la durée de travail fixée dans le contrat de travail est maintenue.
L’échange porte autour des perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi. A ce stade, cet objectif recoupe celui de l’entretien professionnel. Ainsi, lorsque la fin du mandat coïncide avec l’entretien professionnel, il peut être procédé à ce recensement des compétences et à une discussion autour de leur valorisation. Lorsque les entretiens ne coïncident pas, il parait plus sécurisé d’effectuer deux entretiens séparés, même s’ils portent sur un objet similaire.
Il convient de rappeler, que le code du travail prévoit que toute mesure prise par l’employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts (C. trav., art. L. 2141-8). Il est donc essentiel pour l’employeur d’assurer l’effectivité de ces entretiens.

B. La certification des compétences.

L’exercice d’un mandat mobilise de nombreuses connaissances et capacités, et permet le développement de compétences, qui ont vocation à être reconnues sur le marché de l’emploi. La reconnaissance de ces compétences au travers d’une certification, est prévue par l’article L. 6112-4 du code du travail. Elle doit permettre un passage vers d’autres emplois pour lesquels le représentant n’était pas qualifié initialement. Six certificats de compétences professionnelles (CCP) sont identifiés, et la certification est obtenue lorsqu’ils sont tous validés. Cette certification vise les candidats justifiant l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical au cours des cinq années précédant la session d’examen, quelle qu’en soit sa durée. Il est intéressant de constater que le dossier de d’inscription comprend, notamment, la fiche relative à l’entretien de fin de mandat précité, d’où l’intérêt d’assurer effectivement la tenue de l’entretien de fin de mandat.
Les CCP constitutifs de la certification relative aux compétences acquises dans l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical donnent également lieu à la délivrance de CCP constitutifs de titres professionnels du ministère chargé de l’emploi
Lorsque le salarié met en œuvre ce dispositif (actions de positionnement, d’accompagnement et d’évaluation des compétences), ce temps constitue un temps de travail effectif et donnent lieu pendant leur déroulement au maintien par l’entreprise de la rémunération, conformément aux dispositions de l’article L. 6321-6.

C. La garantie d’évolution de rémunération.

Pour les représentants du personnel et syndicaux qui disposent d’un crédit d’heures important, le code du travail a prévu une garantie d’évolution de leur rémunération (C. trav., art. L. 2141-5-1). Cette garantie s’applique aux « salariés mentionnés aux 1° à 7° de l’article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 ». L’appréciation de l’importance du crédit d’heures est la même pour l’organisation de l’entretien de fin de mandat (30% du de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement). L’objectif est d’assurer, indépendamment des dispositions d’un éventuel accord, une progression salariale pour ces salariés
L’évolution de la rémunération du représentant du personnel doit être au moins égale, sur l’ensemble de la durée du mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable. A défaut de tels salariés, cette évolution de rémunération doit être au moins égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise (C. trav., art. L. 2141-5-1). La rémunération visée inclut le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier (C. trav., art. L. 3221-3)
Il est à noter que ce mécanisme ne s’applique toutefois qu’en l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise déterminant des garanties d’évolution de la rémunération de ces salariés au moins aussi favorables (C. trav., art. L. 2141-5-1). Ce dispositif s’inscrit ainsi dans la volonté du législateur de laisser aux partenaires sociaux, premiers concernés, le soin de définir les modalités de suivi de la carrière des représentants, et notamment de leur évolution salariale.

II. L’aménagement conventionnel du suivi de la carrière du représentant du personnel et du représentant syndical.

Le sujet du suivi de la carrière des représentants du personnel est devenu une préoccupation à part entière pour le dialogue social (sur ce point voir le premier bilan d’application des ordonnances du 22 septembre 2017). Ces accords d’entreprise prévoient notamment des entretiens, avec des modalités de déroulement spécifiques . Ce sont principalement les services des ressources humaines sont chargés de leur conduite et la faculté d’être accompagné lors de l’entretien est souvent prévue, au même titre que dans la loi.
Indépendamment des accords spécifiques, les différents thèmes de la valorisation du parcours professionnel des représentants du personnel peuvent être négociés dans le cadre de nombreux autres accords collectifs, notamment ceux relatifs au CSE.
A ce sujet, il est important de rappeler que l’article 9, VII de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la mise en place du CSE, a prévu que les stipulations des accords d’entreprise et de branche relatifs aux institutions représentatives du personnel antérieures au CSE cessaient de produire effet à la date du premier tour des élections du CSE . En conséquence, les dispositifs conventionnels qui existaient sont devenus caducs lors de la mise en place du CSE. Il convient donc non seulement de se saisir de ces thèmes de négociation mais également de les aborder dans un nouvel accord.
Depuis la loi n°2008-789 du 20 août 2008, le code du travail prévoit qu’un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle (C. trav., art. L. 2141-5, al. 2).
Cet accord peut s’articuler avec le dispositif de certification des compétences précité , ou avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. En ce sens, est d’ailleurs prévu, dans les entreprises et les groupes d’entreprises soumis à la négociation triennale obligatoire (c’est-à-dire les entreprises ou groupes de 300 salariés et plus et les entreprises et groupes de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise de 150 salariés en France), que l’employeur engage avec les délégués syndicaux, notamment sur le fondement des orientations stratégiques de l’entreprise et de leurs conséquences, une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers. Cette négociation porte notamment sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales dans l’entreprise et l’exercice de leurs fonctions (C. trav., art. L. 2242-20).
L’accord pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, peut prévoir des mesures d’accompagnement et d’évaluation, facultatives, permettant d’apprécier et d’analyser les compétences mises en œuvre dans le cadre du mandat . Les entretiens de mandat et d’évaluation peuvent être l’occasion de mettre en œuvre ces mécanismes.
De tels accords doivent permettre de valoriser, notamment lors des entretiens d’évaluation, les activités de représentation, qui peuvent être des expériences utiles pour l’entreprise, tout comme les capacités de négociation, de prise de décision, et un bon niveau de connaissances en ressources humaines.
Enfin, un accès à la formation peut être envisagé par l’accord , et évoqué lors de ces entretiens. Par ailleurs, des indications sur les modes de calcul des primes, sur l’avancement du représentant peut permettre d’aligner sa situation sur celles des salariés placés dans une situation comparable et éviter ainsi une situation de discrimination, en allant au-delà de la garantie d’évolution de la rémunération prévue par loi.
Construit avec les partenaires sociaux, ces dispositifs doivent reposer sur des éléments précis et objectifs, et être élaborer en collaboration avec les organisations syndicales dont les membres seront directement concernés par l’accord. Il s’agit notamment d’envisager l’accompagnement dans la reprise de l’activité professionnelle à l’issue d’un mandat.
Aucune sanction explicite n’est prévue en l’absence d’accord, mais les juridictions pourraient tirer conséquences d’une carence en la matière, à l’occasion d’un contentieux sur une éventuelle situation de discrimination dans le déroulement de la carrière d’un représentant du personnel, ou syndical. Or, cela constitue un enjeu notable du suivi de la carrière de ces représentants.

III. L’enjeu du déroulement de carrière sans discrimination

L’employeur doit garantir que l’exercice d’un mandat au sein de l’entreprise ne constitue pas un obstacle au déroulement de la carrière. Le salarié ne doit pas se trouver pénalisé par son engagement syndical. Or, au-delà d’une volonté manifeste de l’employeur de ralentir l’avancement du salarié, des situations factuelles peuvent conduire à ce qu’il soit désavantagé.
L’employeur n’a pas d’obligation légale d’assurer la progression professionnelle (Cass. soc., 6 juill. 2010, n°09-41.354), mais il doit veiller à ce que le déroulement de carrière du représentant soit exactement celle qu’elle aurait été s’il n’avait pas occupé de fonctions représentatives.
Une différence dans l’évolution de la carrière du salarié ayant un mandat est souvent constatée lorsque le mandat se poursuit sur plusieurs années avec un crédit d’heures important (ce qui implique des absences récurrentes sur le poste de travail).
L’employeur doit donc mettre en œuvre tous les moyens pour ne pas créer de situation de discrimination. Pour cette raison, il est important d’organiser effectivement les entretiens de début et de fin de mandat mais aussi ceux d’évaluation. Il a par exemple été jugé que le fait de ne procéder à aucun entretien d’évaluation alors que tous les autres salariés bénéficient de cet entretien constitue un élément de fait laissant présumer la discrimination, sauf lorsque l’absence d’évaluation résulte du refus du salarié lui-même (Cass. soc., 17 janv. 2013, n°11-24.604).
Au cours de entretiens, l’employeur doit éviter les références aux absences répétées, tout du moins, dans un sens négatif. En effet, la référence n’est pas en soi discriminatoire mais la référence ne doit pas être négative en évoquant par exemple des « perturbations » (Cass., soc. 1er juill. 2009, n°08-40.988, Cass. soc., 11 janv. 2012, n°10-16.655).
Un salarié voyant son déroulement de carrière brusquement brutalement arrêté à partir du moment où il acquiert un mandat représentatif est de fait dans une situation de discrimination (Cass. soc., 10 janv. 2006, n°04-43.070).
Si une comparaison permet de démontrer que des représentants du personnel se trouvant dans une situation comparable connaissent une différence entre l’évaluation professionnelle ou salariale avec celles des autres salariés, cela constitue un élément de fait laissant présumer l’existence d’une discrimination.
L’enjeu des entretiens de début et de fin de mandat prend tout son sens. Ils permettent, d’éviter ou tout du moins, de prévenir, des situations de discrimination. La prévention nécessite que les responsables des ressources humaines soient capables de gérer un entretien d’évaluation avec un salarié régulièrement absent de son poste de travail pour exercer son mandat. Ils doivent être attentifs au déroulement de carrière et s’assurer qu’il est similaire à celui des salariés placés dans une situation comparable. A ce titre, l’application d’un accord portant sur la gestion des carrières présente l’avantage de poser un cadre .
La présence et l’application d’un accord prévoyant le suivi de la carrière des représentants n’écarte pas de facto la discrimination pour laquelle un aménagement probatoire est prévu. En effet, dès lors que le salarié porteur d’un mandat se trouve dans une situation moins favorable, une situation de discrimination peut être reconnue.
La Cour de cassation a pu juger que le salarié qui bénéficie des dispositions d’un accord, mais qui est par exemple rémunéré selon un coefficient situé à la dernière place dans un panel de comparaison de salariés engagés à la même époque à des fonctions comparables, peut s’estimer discriminé, dès lors que l’employeur ne démontre pas que cette différence est extérieure à toute discrimination fondée sur un mandat (Cass. soc., 30 novembre 2011, n°10-20.463, rendu sous l’empire des textes antérieurs à la loi du 20 août 2008).
Si l’existence d’un accord collectif n’exclue pas complétement le risque d’une discrimination pour un salarié titulaire d’un mandat, il dote toutefois l’entreprise de réelles mesures pour l’éviter dès lors que ses dispositions assurent effectivement un suivi et une évolution de la carrière du représentant du personnel ou syndical.


David Fonteneau

Avocat associé, Paris

Intègre en 2000, après l’obtention d’un doctorat en droit privé, le cabinet d’avocats Barthélemy et associés à Bordeaux puis à Paris. Rejoint le groupe d’armement industriel de l’Etat Français Giat Industries en 2005 pour piloter les chantiers sociaux d’une profonde restructuration (4 600 départs) et sa mutation à partir de 2006 (Giat Industries devient alors Nexter Groupe). Accompagne, à partir de 2008, en qualité de Directeur des relations sociales, le Groupe SPIE (près de 600 sites dans 38 pays et 47 000 collaborateurs, SPIE a réalisé, en 2018, un chiffre d’affaires consolidé de 6,7 milliards d’euros et un EBITA consolidé de 400 millions d’euros) dans ses projets de développement (acquisitions, Leverage Buy Out, Initial Public offering, négociations et pilotage de l’instance européenne de dialogue social). Intègre, à partir de 2016, le réseau ELLIPSE Avocats (Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Bayonne, Lille, Nantes) dont il participe au développement en créant le bureau parisien.   Il propose aux entreprises une approche multi-compétences des relations sociales et de la négociation sociale au service de la conduite du changement.   Son expertise : Le droit social, la stratégie et la négociation sociale au service de la stratégie d’entreprise, l’accompagnement des équipes dirigeantes, la gestion de crise et la gestion de projets, l’animation des équipes RH dans le quotidien, l’audit social.

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