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Droit du Travail
par Guillaume Dedieu

Le dialogue social de proximité revient en force avec la crise sanitaire


Un an après le début de la crise sanitaire et ses multiples impacts, le dialogue social a-t-il évolué ? Une mutation vers un dialogue social de proximité, mis en avant par les pouvoirs publics, est-elle survenue ? Cette idée de dialogue social de proximité, floue et aux contours incertains, a en effet été utilisée à plusieurs reprises par le ministère du Travail depuis le début de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Cependant, et c’est regrettable, aucune définition précise et explicite n’a simultanément émergé. Il est donc nécessaire de s’attarder sur les éléments qui peuvent conduire à une proposition de définition.

 

En premier lieu, et selon le questions-réponses du Ministère du travail, il semblerait que le dialogue social de proximité soit celui qui prenne en compte la parole des salariés en plus de celle de leurs représentants, par opposition au dialogue social traditionnel qui ne prendrait en compte que la voix des représentants des salariés. Avec la gestion de la crise sanitaire, il semblerait même pour le pouvoir exécutif que la seule consultation du CSE soit insuffisante et qu’elle doive être doublée d’une consultation des équipes opérationnelles : il y aurait donc un dialogue social de « terrain ».  

 

En second lieu et d’après l’ancien Directeur Général du Travail, Yves Struillou, il y aurait une véritable différence entre le dialogue social de proximité et le dialogue social « classique ». Le premier serait celui assuré par la mise en place des délégués de proximité (si tant est qu’ils soient réellement mis en place), tandis que le second serait celui assuré par le comité social et économique (ci-après CSE) et portant sur des questions plus stratégiques. 

 

Ces différentes définitions, même imprécises, permettent d’exclure le sujet de la négociation collective de notre problématique. C’est avant tout la consultation de la communauté des salariés sur les projets de l’entreprise qui semble seule visée par la notion de « proximité ». 

 

Dialogue social de proximité́ et CSE : une incompatibilité ?

La mise en place du CSE : une simplification source de meilleure compréhension

La professeure Françoise Favennec-Héry soulevait une problématique cruciale. Préalablement à la reforme, le pluralisme des instances représentatives du personnel (IRP) détonnait sur la complexité́ du système du dialogue social en entreprise. Ce phénomène révélait un constat : la démultiplication des acteurs intervenant dans ce dialogue et ainsi l’augmentation de la concurrence au sein même des IRP. S’en est suivi un doute sur l’efficience du dialogue social au sein des entreprises. Le législateur, bien qu’ayant pris son temps, a souhaité́ répondre à ce cri d’alarme, mais à quel prix ?

 

L’ordonnance du 22 septembre 2017 a prévu la fusion des principales institutions élues du personnel à travers la création du comité social et économique (CSE). Finis les délègues du personnel (DP), le comité́ d’entreprise (CE) et le comité́ d’hygiène, de sécurité́ et des conditions de travail (CHSCT). S’ensuivait une institution représentative du personnel où « l’élu serait un représentant polyvalent, une sorte de multitâche ». Cette simplification était pour certains la bienvenue. Elle permettait en théorie une meilleure fluidité́ dans les échanges entre la Direction et les représentants du personnel afin de permettre une efficience au sein du dialogue social de proximité́. Ce regroupement pouvait également tendre à une professionnalisation des représentants et donc à une plus grande efficience. Ainsi, par la simplification et la clarification des instances, l’employeur serait en mesure de répondre plus efficacement aux sujets sociaux de son entreprise. Encore faut-il que ces sujets remontent jusqu’à lui pour garantir cette exigence de proximité́.

 

Une mise en place des CSE au détriment de la proximité ?

Le dialogue social de proximité́ induit par essence une relation étroite entre l’employeur et ses salariés, et ceci par l’intermédiaire des représentants élus du personnel. Près de 4 ans après la création du CSE, l’unification des instances survenue a généré́ certaines interrogations concernant la réalité́ du dialogue social de proximité́. 

 

 

En théorie, le dialogue social de proximité́ avait pourtant été́ consacré par une innovation des ordonnances de 2017 : la création d’un représentant de proximité́. En droit antérieur, un rapprochement peut être effectué avec les anciens délégués du personnel, voire avec les anciens délégués de site pour les salariés de différentes entreprises situées sur un même site. L’objectif de ce représentant de proximité est notamment de porter les réclamations. Suivant ce modèle, le représentant ne doit pas être un simple observateur dans l’unité́ où il est implanté́. Cet interlocuteur pourrait ainsi être une authentique plateforme tournante de l’information et des réclamations, tant individuelles que collectives. Au CSE, les sujets stratégiques, au représentant de proximité́, l’expression de la parole des salariés. Les représentants de proximité auraient ainsi pu être la figure de la persistance du dialogue social de proximité.

 

En pratique et malgré́ l’absence d’études statistiques précises, de nombreuses interrogations demeurent. Il y a peu d’accords collectifs qui prévoient aujourd’hui la mise en place de représentants de proximité́ (cf. statistiques infra) et lorsqu’ils sont mis en place, la lisibilité́ de leurs attributions n’est pas évidente. De fait, le véhicule créé par le législateur pour favoriser la proximité́ paraît donc peu utilisé. 

 

Autre angle de critique dans la recherche de proximité : le périmètre d’implantation des CSE. Celui-ci peut révéler une déconnexion avec l’environnement de travail des collaborateurs. Il s’agit peut-être ici des effets de la nouvelle définition de la notion d’établissement distinct qui a accompagné́ la mise en place CSE. Ainsi, l’article L. 2313-4 du Code du travail met en avant « l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel » pour permettre à l’employeur d’en fixer le nombre à défaut d’accord collectif conclu. Pour certains, cette précision permettrait d’« aligner le périmètre d’implantation des comités sociaux et économiques d’établissement sur celui des défunts comités d’établissement ». Concrètement et à configuration de sociétés constantes, les CSE se seraient implantés sur les périmètres des ex-CE et non sur ceux des ex-délégués du personnel réputés moins étendus. 

 

 

Enfin, l’étendue des attributions du CSE peut apparaître en pratique comme un frein à la proximité. : comment concilier le traitement des problématiques dites du quotidien au sein d’une instance où des sujets stratégiques pour l’entreprise sont simultanément évoqués. La difficulté est la même avec les impératifs de santé et de sécurité́.

 

La mise à mal du dialogue social de proximité doit toutefois être nuancée. Les configurations des sociétés et leurs pratiques sont très hétérogènes, tant d’un point de vue géographique que fonctionnel. La proximité́ ne peut d’ailleurs pas se traduire uniquement par la recherche des sujets de terrain. Elle peut prendre d’autres formes que la stricte représentation du personnel prévue par le législateur. Par exemple, les « causeries » sécurité́ dans le bâtiment et les travaux publics présentent les caractéristiques d’un dialogue social de proximité́. Le rôle des responsables Q.S.E, qui échangent au quotidien avec les salariés, devrait également être pris en compte dans cette analyse. Outre la latitude laissée par le législateur aux partenaires sociaux dans la fixation du périmètre du CSE, l’apport du CSE est de surcroît pour certains d’avoir permis un rapprochement entre les décideurs de l’entreprise et les représentants du personnel, ce qui peut traduire une forme de proximité́. Enfin et surtout, à l’issue du premier cycle de mise en place des CSE, il est probablement encore trop tôt pour effectuer une évaluation. 

 

À première vue, la réforme survenue en 2017 peut laisser penser que le dialogue social de proximité́ s’est in fine effrité. Paradoxalement, la crise sanitaire semble avoir changé la donne, sous l’impulsion de l’administration du travail. 

 

La proximité en pleine pandémie : c’est possible selon l’administration du travail ! 

Lors d’une visite ministérielle, un représentant gouvernemental a tenu à rappeler aux entreprises « la nécessité de déployer au maximum le télétravail au sein de l’entreprise dans le cadre d’un dialogue social de proximité pour lutter efficacement contre l’épidémie de Covid-19 ».  Depuis le début de la pandémie, l’administration du travail, par le biais notamment des protocoles sanitaires, n’a ainsi pas cessé de faire appel à la mobilisation de tous notamment par le dialogue social de proximité. 

 

Les instructions ministérielles permettant à la Direction Générale du Travail de s’adresser directement aux acteurs du contrôle et de transmettre ses consignes ont également insisté sur ce sujet. La DGT y précise que « dans un contexte où il est impératif de conjuguer préservation de la santé et de la sécurité des salariés et maintien de l’activité économique, la mise en œuvre d’un dialogue social de qualité sous toutes ses formes doit permettre d’associer les représentants du personnel et les organisations syndicales dans des conditions adaptées à l’urgence sanitaire». 

 

Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de la Covid-19 suit cette même logique d’un dialogue social de qualité et efficace. Les entreprises doivent mettre en œuvre les mesures de prévention prévues par le protocole « dans le cadre d’un dialogue social interne et après avoir informé les salariés ». L’administration du travail va même plus loin et précise que « le dialogue social est un élément essentiel pour la mise en œuvre des mesures prévues par ce protocole. L’association des représentants du personnel et des représentants syndicaux facilite la déclinaison de ces mesures dans l’entreprise en tenant compte de la réalité de son activité, de sa situation géographique et de la situation épidémiologique, et des missions confiées à chacun »

 

En ressort à notre sens une volonté claire de l’administration de renouer avec le dialogue social de proximité. Pour quelles raisons ? S’agit-il uniquement d’une position pragmatique et d’une volonté de faciliter les interventions des partenaires sociaux dans une période délicate ? S’agit-il d’un constat que les CSE et leurs cadres d’intervention actuels ne répondaient pas aux exigences de proximité, nécessaires à la bonne gestion de l’épidémie ? Le débat est ici complexe. Ce qui paraît certain, c’est que ce sont que les enjeux de sécurité liés à la propagation de l’épidémie de Covid-19 au sein des entreprises, et donc une certaine forme d’intérêt général, qui ont poussé la doctrine administrative à mettre en avant le dialogue social de proximité. Le déploiement en urgence des mesures de sécurité au travail ne pouvait par exemple pas parfaitement permettre le suivi des procédures d’information-consultation du CSE. Le terme « association » des représentants du personnel, utilisé par la seule administration du travail, est en ce sens assez évocateur et n’a pas fait l’objet de critiques virulentes, y compris de la part des membres des CSE. 

 

Un autre paramètre peut justifier l’accent mis sur le dialogue social de proximité :  la difficulté de traiter les différentes mesures de sécurité, nécessaires à chaque situation de travail, dans une instance trop centralisée. Chaque situation de travail pouvant être unique, la solution à apporter ne pouvait que résulter d’un traitement au cas par cas, peu adapté au fonctionnement des CSE. Enfin, le recours massif au télétravail et la nécessaire protection des salariés contre les risques d’isolement peuvent difficilement être appréhendés avec le concours des partenaires sociaux, sans une approche de proximité. Les conditions du retour du dialogue social de proximité paraissaient donc réunies. En pratique, ce rappel sur les exigences de proximité semble néanmoins destiné à certaines grandes entreprises, qui, à force de trop centraliser le dialogue social, en perdent la nature. Dans les petites entreprises, la proximité est beaucoup plus évidente. 

 

Se pose enfin la question de la suite : la pandémie aura-t-elle était un tremplin pour un retour du dialogue social de proximité ou ce dernier va-t-il disparaître avec la fin de la crise sanitaire ?. Si cette dernière échéance survient simultanément avec la fin du premier cycle de mise en place des CSE (2017-2021 ou 2018-2022), des réflexions plus profondes pourraient peut-être survenir au sein des sociétés pour ajuster les règles mises en place au cours des précédentes années.

Les représentants de proximité dans les accords de mise en place du CSE.

 

Sur un échantillon strictement aléatoire de 25 accords d’entreprises conclus et recensés sur la période 2018-2021, uniquement 3 mettent en place des représentants de proximité, soit un taux de pénétration de 12 %. Les trois accords recensés Les accords recensés mettant en place les représentants de proximité ne permettent pas d’identifier une homogénéité des missions attribuées. Un rôle de simple transmission des informations qu’ils reçoivent sur site semble néanmoins apparaître.  

 

Accords Synthèse des accords
Accord CSE 1 Missions/Attributions :

4 rôles sont attribués aux représentants de proximité. D’abord, un rôle de transmission d’informations. Ensuite, un rôle de réclamation individuelle, c’est-à-dire de relais entre le CSE et les salariés du site auquel le représentant appartient. De plus, ils peuvent faire des propositions au CSE s’agissant des thèmes relatifs à la santé, sécurité et sur les conditions de travail. Enfin, on lui attribue un rôle de gestion des activités sociales et culturelles sous la direction du CSE. 

Moyens :

Les représentants bénéficient de 4 heures par mois de délégation. Ils devront se réunir au minimum 4 fois par an et au moins 10 jours avant chacune des réunions de la CSSCT. Enfin, les représentants peuvent bénéficier d’une formation prise en charge par l’entreprise pour développer leur aptitudes à prévenir les risques professionnels. 

 

Accord CSE 2 Missions / attributions

Les représentants permettront une meilleure efficacité du CSE dans ses missions, il est un acteur local, relais du CSE sur le terrain. Le rôle du représentant touchera principalement les thèmes de la santé, de la sécurité, des conditions de travail. En plus de cela, il joue un rôle dans la présentation des réclamations tant individuelles que collectives. 

Moyens :

Les représentants bénéficient de 3 heures par mois de délégation. Ils vont en outre bénéficier des formations dispensée à la délégation du CSE et de ses moyens de documentation. 

 

Accord CSE 3 Missions / attributions

L’accord souhait favoriser l’expression et l’écoute des salariés au niveau du site. Dans ce cadre, ils doivent faire remonter les informations qu’ils reçoivent des salariés. En outre, ils peuvent faire des propositions au CSE s’agissant des thèmes relatifs à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail. 

Moyens :

Les représentants bénéficient de 5 heures par mois de délégation. Les déplacements du représentant pour se rendre aux réunions du CSE et le temps passé à ces réunions sont du temps de travail effectif.

 


Guillaume Dedieu

Avocat associé, Paris

Après l'obtention de son Master 2, intègre plusieurs fédérations sportives pour intervenir sur les questions d'emploi, de ressources humaines et de relations sociales. Exerce en qualité d'avocat au sein du cabinet Ellipse Avocats depuis 2014 à Lyon puis à Paris. Devient associé du bureau parisien au 1er janvier 2020.

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