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Droit de la Protection Sociale, Droit du Travail
par Guillaume Ciancia

Prudence de mise dans l’application de la déduction forfaitaire spécifique : un employeur condamné à indemniser ses salariés


La Déduction Forfaitaire Spécifique est une option intéressante pour les employeurs. Elle permet en effet d’appliquer un abattement sur l’assiette de cotisations sociale de certains salariés.

Cependant, l’employeur qui souhaite recourir à cette option doit veiller à ce que les salariés concernés entrent dans le champ d’application de la déduction forfaitaire spécifique qui peut, pour une même entreprise, ne concerner qu’une partie seulement de l’effectif.

C’est ce que rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021 en considérant par ailleurs que l’application injustifiée de la déduction forfaitaire spécifique constitue un manquement de l’employeur à l’égard des salariés justifiant l’octroi de dommages et intérêts.

 

1. Contexte de la décision

Après consultation des représentants du personnel, un employeur, compagnie aérienne, avait procédé à la déduction forfaitaire spécifique sur les rémunérations de son personnel navigant commercial.

Par la suite, dans le cadre d’un contentieux relatif à l’exécution de leur contrat de travail, sept salariés avaient saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes. Au nombre de leurs prétentions, les salariés sollicitaient le versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il estimaient avoir subi du fait de l’application erronée de la déduction forfaitaire spécifique sur leur rémunération.

Les salariés relevaient ainsi que leurs professions n’étaient pas visées à l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui détermine les professions qui comportent « des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui prévu par l’arrêté du 20 décembre 2002 » et peuvent à ce titre bénéficier du dispositif optionnel de la déduction forfaitaire spécifique.

L’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts ne prévoyait en effet d’abattement que pour les personnels navigants de l’aviation marchande comprenant : « pilotes, radios, mécaniciens des compagnies de transports aériens ; pilotes et mécaniciens employés par les maisons de construction d’avions et de moteurs pour l’essai des prototypes ; pilotes moniteurs d’aéro-clubs et des écoles d’aviation civile : 30 %. »

De son côté, en réponse aux demandes de ses salariés, l’employeur justifiait avoir procédé à l’application de la déduction forfaitaire spécifique en vertu des préconisations d’une instruction fiscale et d’une circulaire de la Direction de la Sécurité sociale. Interprétant les dispositions de l’article 5 précité, en raison des caractéristiques communes aux frais engagés par l’ensemble des personnels navigants, les autorités fiscales et de sécurité sociale ouvraient en effet le bénéfice de la DFS à tout le personnel navigant, y compris commercial.

Dès lors, l’employeur considérait n’avoir commis aucun manquement à ses obligations susceptible d’engager sa responsabilité vis-à-vis des salariés qui, au demeurant, ne justifiaient pas selon lui du montant de leur préjudice.

 

2. Décision de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 2 juin 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel et rejette l’argumentation de l’employeur.

La Haute Cour estime :

    • Que la liste des professions pouvant bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique et énumérée à l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts est d’interprétation stricte;
    • Que le personnel navigant commercial n’est pas mentionné au nombre des professions bénéficiaires ;
    • Que la seule mise en place, à tort, de la déduction à ces salariés caractérisait un manquement dans l’exécution du contrat de travail, peu important que la société ait suivi l’interprétation des autorités fiscales et sociales ou des représentants du personnel ;
    • Que cette application erronée avait une incidence négative sur les droits sociaux des salariés et justifiait ainsi l’octroi de dommages et intérêts aux salariés concernés sans que la Cour n’ait à justifier plus précisément l’évaluation faite du préjudice subi.

 

3. Analyse de la décision

L’appréciation restrictive par la Cour de cassation des professions pouvant bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique n’est pas étonnante.

En effet, à deux nombreuses reprises, la 2ème Chambre civile a eu à l’occasion de rappeler que seules les professions expressément visées par l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts à l’exclusion de toutes les autres. (Cass, 2ème Civ, 6 octobre 2016, n°15-25.435 : exemple concernant les ouvriers de nettoyage des locaux)

Par ailleurs, la Cour de cassation considère de manière constante que les circulaires et instructions émanant de la direction de la Sécurité sociale ne s’imposent pas aux juges, de sorte que la position prise par la Chambre sociale faisant fi de la position prise par les autorités sociales ne saurait donner lieu à de plus amples commentaires.

L’apport principal de cet arrêt se trouve dès lors dans l’appréciation des conséquences d’une application injustifiée de la déduction forfaitaire spécifique à l’égard des salariés.

    • D’une part, la Cour de cassation considère que la seule mise en place erronée de la déduction forfaitaire spécifique constitue un manquement de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail ;
    • D’autre part, la haute cour estime qu’en raison de l’incidence négative de la déduction forfaitaire spécifique sur les droits sociaux des salariés eu égard à la diminution de l’assiette de cotisation, ces derniers justifiaient d’un préjudice que les juges du fonds peuvent évaluer sans avoir à s’expliquer sur la circonstance du préjudice.

Une position sévère pour la société employeur qui justifiait pourtant avoir procédé à la mise en œuvre de la déduction forfaitaire spécifique conformément à l’avis des représentants du personnel et à l’interprétation  :

    • De l’administration fiscale ;
    • De l’administration sociale.

D’un point de vue opérationnel, l’arrêt du 2 juin 2021 de la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’importance de s’assurer que les salariés exercent une profession expressément citée par l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts avant d’appliquer à leur rémunération le dispositif de déduction forfaitaire spécifique.

Une vérification qui ne s’impose pas seulement vis-à-vis de l’URSSAF, mais également des salariés à l’égard desquels l’employeur engage sa responsabilité.

 

Remarques relatives à l’application de la DFS

Le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale (BOSS) qui recense depuis le 1er avril 2021 l’ensemble des instructions et circulaires relatives à la législation applicable en matière d’allègements et de réductions de cotisations et contributions sociales, ne reprend pas la position de la direction de la sécurité sociale relative aux l’élargissement de la DFS au personnel navigant commercial.

Cependant, reprenant certaines positions de la Cour de cassation, le BOSS ajoute une condition supplémentaire. (Cass, Civ 2ème, 19 janvier 2017, 16-10.782)

Ainsi, l’appartenance à une profession listée à l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts ne suffit plus à permettre l’application de la DFS. Il faut également que le salarié supporte effectivement des frais lors de son activité professionnelle.

Aussi, en l’absence de frais effectivement engagés, ou en cas de prise en charge ou de remboursement par l’employeur de la totalité des frais professionnels, la DFS ne sera plus applicable dès lors que le salarié ne supporte aucun frais supplémentaire au titre de son activité professionnelle.

Cette condition supplémentaire, est applicable à compter du 1er avril 2021.

Toutefois, en cas de contrôle relatif à des périodes courant jusqu’au 31 décembre 2021, l’Urssaf procédera uniquement à une demande de mise en conformité pour l’avenir.

 

 


Guillaume Ciancia

Avocat, Bordeaux

Après un stage réussi à la fin de ma formation à l'école des avocats, j'ai intégré l'équipe ELLIPSE AVOCATS en janvier 2019. Fort de mon expérience et ma formation, j'interviens auprès des clients pour les assister dans leurs dossiers conseil et contentieux en droit du travail et de la protection sociale.

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