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Droit du Travail, Non catégorisé
par Guillaume Dedieu

Un indispensable en matière de frais professionnels : la solution négociée


Dans le cadre de leurs activités, les salariés peuvent être amenés à engager de multiples frais. Ces frais sont pris en charge par l’entreprise lorsqu’ils sont qualifiés de frais professionnels. Si les discussions portent régulièrement sur l’identification de ces frais dits professionnels, elles peuvent également, une fois assurée la qualification de frais professionnels, porter sur le montant de la prise en charge effectuée par les entreprises. Est-ce en tout ou partie ? Le versement peut-il être forfaitaire ? Comment gérer le désaccord entre un salarié et son employeur sur la réalité du montant des frais concernés ? Les réponses.

 

Le recours récent et massif au télétravail a donné un coup de projecteur sur la difficulté d’appréhender les frais liés à l’exercice d’un travail, dans ce cas exercé à distance au domicile du salarié. Le sujet n’est néanmoins pas nouveau puisque de nombreuses autres situations de travail peuvent générer des frais. Il s’agit pour nous d’une occasion d’étudier les contours et les enjeux entourant la problématique de détermination du montant des frais professionnels. Sur cette problématique, le dialogue social et le recours à la solution négociée constituent des outils indispensables pour fixer un cadre juridique clair, précis et sécurisant pour l’ensemble des parties. 

 

La notion de frais professionnels et ses limites 

Ni la notion de frais professionnels, ni les modalités de prise en charge ne sont légalement définies par le Code du travail. 

C’est avant tout la jurisprudence qui est venue apporter son éclairage sur le sujet. Les dépenses qualifiées de frais professionnels et qui peuvent être remboursées par l’employeur selon ce régime sont les charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions (Cass. soc. 25 févr. 1998, n° 95-44.096 ; Cass. soc. 25 févr. 1998, n° 96-40.144). Ce sont les dépenses réalisées et supportées directement par le salarié pour remplir sa mission et mener à bien son travail, qui ne peuvent être imputées sur la rémunération. Par exclusion, les frais professionnels peuvent être opposés aux sommes qualifiées de salaire, qui ne constituent pas un remboursement mais une contrepartie à la seule prestation de travail. 

À titre d’exemples, peuvent se retrouver dans cette catégorie : les frais de repas de certains salariés dans le cadre de déplacement avec impossibilité d’organiser son repas ; les frais de déplacement, notamment des membres du CSE pour se rendre aux réunions de l’instance (trajet, transport…) ; les frais d’hébergement lorsque le salarié ne peut rentrer à son domicile ; les frais liés au télétravail (connexion internet, frais d’hébergement dans le cadre de coworking…) ; et les frais liés à l’utilisation des outils issus des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 

Les frais professionnels sont aussi à distinguer des frais engagés à l’initiative du salarié mais supportés dès le début par la société (ex : frais de péage et de carburant pris en charge par une carte de paiement débitant un compte bancaire de l’entreprise).

 

En parallèle, et au sens de la législation de sécurité sociale, « les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions »Les frais répondant à cette définition des frais professionnels n’intègrent en principe pas l’assiette des cotisations sociales et des charges alignées

 

Reste à déterminer les modalités de remboursement de ces frais qui sont laissées au choix de l’employeur. Ces frais peuvent être indemnisés soit sous forme de remboursement forfaitaire c’est-à-dire à travers le versement d’une indemnité forfaitaire sous réserve notamment que ce montant ne soit pas manifestement disproportionné par rapport aux montants des frais engagés (Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 18-24.546), soit au réel sur justificatifs c’est-à-dire sur la base des dépenses réellement engagées par le salarié pour l’exercice de ses fonctions.

Les pratiques sont ici hétérogènes. Par exemple, pour les frais kilométriques c’est-à-dire les frais d’essence et d’usure du véhicule, le remboursement peut se faire sous la forme d’une indemnité forfaitaire – et non au réel de la dépense réellement engagée par le salarié – qui ne devra pas dépasser un certain montant pour pouvoir être exonéré de cotisations. En parallèle, pour les frais de repas, le remboursement pourrait s’effectuer en fonction des justificatifs fournis par les salariés c’est-à-dire que le remboursement s’effectue au réel. Dans ce dernier cas, il y a aucune limite d’exonération si les justificatifs des frais engagés sont suffisamment précis pour en établir la réalité et le montant, que les frais en cause ont été exposés dans l’intérêt de l’entreprise, sont conformes à la politique de frais de cette dernière et qu’ils ne sont pas d’un niveau exagéré.

 

Face à ce cadre juridique pour le moins étendu, la fixation du montant des frais à rembourser au salarié peut être source de difficulté au sein des entreprises. Par exemple, dans le cadre d’un versement forfaitaire, ce qui est le cas d’une indemnité de petit ou de grand déplacement, un salarié peut invoquer devant la juridiction prud’homale que les frais qu’il a supportés sont supérieurs à l’indemnité forfaitaire qu’il a évoquée. Le recours au versement forfaitaire pose également la problématique inverse de la réalité du montant des frais engagés par les salariés. Un versement forfaitaire comprenant une indemnité de repas (petit déjeuner, déjeuner et diner) ainsi qu’une indemnité d’hébergement doit-il être octroyée alors même que le salarié en pratique n’a engagé aucun frais à ce titre ?

Autre exemple en matière de remboursements des frais liés au télétravail, un désaccord est fréquent sur ce qui doit être remboursé : l’abonnement téléphone et internet alors même qu’ils sont également utilisés à des fins personnelles ? Les frais d’occupation du logement mais à quelle hauteur ? L’achat d’un bureau, d’une chaise, d’un écran ? 

Des litiges surviennent également régulièrement en matière d’indemnités de déplacement pour déterminer le point de départ de ce dernier. Est-ce son domicile ou une agence ? Le salarié doit-il nécessairement repasser par son lieu de travail avant de se rendre sur le chantier pour pouvoir bénéficier de cette indemnité ? 

Concernant les remboursements au réel, la difficulté se pose enfin du bon suivi et de l’encadrement des pratiques, pour se prémunir contre les excès de frais ou les absences de justificatifs.

Outre la difficulté liée à la détermination des frais devant être pris en charge, certains paramètres externes à la société sont à prendre en compte avant d’arrêter la politique de la société en matière de frais professionnels.

 

Les paramètres externes à prendre en compte en matière de frais professionnels

Une étude sur les frais professionnels ne peut faire l’économie d’appréhender le régime social associé. Par définition, un remboursement de frais dits professionnels n’intègre pas l’assiette des cotisations sociales. Néanmoins, cette qualification n’est pas garantie lorsque le remboursement excède la réalité du remboursement des frais engagés par le salarié. Dans ce cas, le versement effectué par l’employeur est assimilé à une rémunération et intègre l’assiette des cotisations sociales et charges alignées, en application de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale.

La question se pose en conséquence de la sécurisation des pratiques, tant pour l’employeur et les salariés. En ce sens, la législation de la sécurité sociale a aménagé les règles applicables, en prévoyant notamment des présomptions d’utilisation conformes de frais pour sécuriser la pratique des remboursements. 

Dans le cas du remboursement forfaitaire, l’employeur peut ainsi pour certains frais ne pas avoir à solliciter tous les justificatifs. Ces allocations sont en effet réputées être utilisées conformément à leur objet et couvrir des frais professionnels lorsque l’employeur justifie qu’elles ont été utilisées conformément à leur objet (par exemple : pour des frais d’hébergement, il s’agit d’établir que le salarié ne peut regagner chaque jour sa résidence et que, de ce fait, il engage des frais de double résidence). De surcroît et lorsque ces allocations forfaitaires comprennent un montant inférieur ou égal au montant fixé par arrêté ministériel (limites d’exonération), ces allocations sont exclues de plein droit et en totalité de l’assiette des cotisations. A l’inverse, pour les allocations forfaitaires dont le montant dépasse les limites d’exonération, l’employeur doit justifier leur utilisation conformément à leur objet pour obtenir l’exonération de la fraction excédentaire.

 

À noter : la mise en place du Bulletin officiel de la sécurité sociale a renforcé cette pratique. La doctrine administrative en résultant, qui reprend le mécanisme de présomption de bonne utilisation, est en effet opposable à l’administration. Cela permet une plus grande sécurité juridique pour les cotisants à travers l’opposabilité de l’ensemble du contenu du B.O.S.S. à l’administration sociale, et d’éviter des redressements inopportuns futurs. À titre d’exemple, c’est dans ce bulletin qu’une position a été prise concernant le traitement des remboursements de frais lié au télétravail. L’employeur peut rembourser les frais professionnels en matière de télétravail (notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils, leur maintenance, …). Il précise également que le remboursement au réel est le principe. Toutefois, et de manière alternative, il reprend le mécanisme de présomption de bonne utilisation, permettant le versement d’une allocation forfaitaire, dont le montant varie en fonction du nombre de jours télétravaillés, qui est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite de 10 euros par mois pour une journée de télétravail par semaine

 

Outre le régime social, le sujet des frais professionnels doit également être traité au regard des possibles régimes conventionnels applicables. Certains partenaires sociaux de branche (Bâtiment, Métallurgie, Travaux Publics…) se sont en effet emparés du sujet en créant des droits et des obligations aux parties à la relation de travail. Cette situation peut paradoxalement être source de complexité, lorsque la société souhaite arrêter sa politique de remboursement de frais.

Par exemple, en matière d’indemnités de déplacement, dans la branche des Travaux Publics, des accords collectifs étendus sont applicables au niveau régional (Région parisienne, Alsace, Pays de la loi …), avec des règles différentes selon la classification des salariés. Il en est de même avec la branche de la métallurgie et les indemnités de séjour. Il s’agit ici d’un concours de statut collectif. Il peut être particulièrement épineux d’articuler l’ensemble de ces dispositions de branche avec les pratiques d’entreprise notamment lorsque cette dernière a plusieurs sites et que l’implantation de ces différents établissements est différente de celle du lieu du siège social. Comment déterminer le statut collectif qui doit primer ? 

 

Cette complexité est accrue lorsque les dispositions conventionnelles sont en inadéquation avec les principes de non-assujettissement fixés par la législation de la sécurité sociale. Comment appréhender ainsi une exigence de frais d’hébergement pour bénéficier d’une présomption conforme d’utilisation des frais alors même que les dispositions conventionnelles ne l’exigent pas pour effectuer le versement du remboursement ?

L’impact des statuts collectifs doit également être appréhendé au regard des pratiques et des usages au sein de l’entreprise. Comment articuler une pratique plus ou moins favorable au sein de la société, à travers un usage ou un engagement unilatéral ? Le salarié peut-il solliciter un remboursement de frais au titre du régime conventionnel de branche applicable ? Une Urssaf peut-elle procéder à un redressement de cotisations au motif que les montants octroyés en application de ces usages excèdent certains des barèmes d’utilisation conforme ?

 

Les paramètres à prendre en compte pour arrêter sa politique de frais professionnels sont multiples. Ils légitiment d’autant plus le recours à la solution négociée. 

 

Les intérêts de la solution négociée 

La solution négociée semble être une solution pour fixer un cadre juridique clair au régime des frais professionnels.  

En ce sens, il convient tout d’abord de rappeler que le sujet des frais professionnels ne relève pas du bloc de négociations réservé à la branche (C. trav., art. L. 2253-1). Un accord d’entreprise traitant le sujet s’imposerait en conséquence, peu important les dispositions conventionnelles de branche préexistantes. 

En matière de frais professionnels, les dispositions d’entreprise sont prioritaires sur les dispositions prévues par la branche, et ce même si elles sont moins favorables que les dispositions prévues par la branche. Il semble donc possible de faire du « sur-mesure », de s’adapter aux éventuelles particularités de la société, voire de définir un cadre juridique pour chaque type de frais, les situations de versement, les modalités de remboursement et le montant précis de celui-ci. Il semble également possible de neutraliser les revalorisations de montant définies au niveau de la branche et de maîtriser en permanence le pilotage de cette politique de frais, sans intervention extérieure.

Les accords d’entreprise conclus avec les partenaires sociaux ont en outre vocation à s’imposer à tous les salariés entrant dans le champ d’application de cet accord. Cela permettrait de sécuriser, en amont, le régime des frais professionnels et d’éviter les contentieux individuels devant les juridictions compétentes. Au-delà de la clarté des règles, elle permet également aux parties à la relation de travail de connaître avec précision la politique de frais applicable de la société et d’en faciliter l’adhésion. Dans le cadre d’une revendication individuelle sur des frais prétendument non-pris en charge, une application stricte de l’accord négocié pourrait s’imposer en cas de doutes. 

Autre avantage : la politique de frais est un sujet sensible pour les salariés, les règles adoptées étant généralement imparfaites pour répondre à toutes les situations. Le cadre négocié avec les organisations syndicales représentatives peut ainsi légitimer la pratique retenue par l’entreprise. Il permet également aux négociateurs de pouvoir influer sur ce qu’ils estiment juste et adapté sur une problématique qui pourrait également relever de décisions unilatérales de l’employeur. Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, cet accord peut être négocié avec des membres du CSE, lorsque l’instance existe. 

 

De plus, la conclusion d’un accord d’entreprise pourrait également permettre de sécuriser les relations au niveau de l’Urssaf et les limites d’exonération fixées. En effet, la fixation des règles d’indemnisation des différents frais professionnels, sous forme d’allocations forfaitaires ou sur la base des dépenses réellement engagées, permettrait d’aligner les accords d’entreprises avec les règles de bonne utilisation des frais professionnels prévues par l’Urssaf. Ce qui évite le risque de réintégration dans l’assiette de calcul des cotisations dès le premier euro par exemple (en matière de remboursement sous forme d’allocations forfaitaires notamment). Il faut toutefois rester vigilant sur le montant des limites d’exonération mentionné dans un barème relatif aux frais professionnels et qui évolue chaque année. 

 

Enfin, le rôle du CSE sur la politique de frais ne doit pas être sous-estimé. Un désaccord d’un salarié peut parfois se traduire par une réclamation individuelle d’un membre de l’instance. Une nouvelle politique de frais arrêtée par l’entreprise peut de surcroît s’inscrire dans le cadre d’un changement des conditions de travail au sein de la société, et peut être nécessiter le recueil de l’avis du CSE. En ce sens, l’association du CSE aux futures mesures prises, ou dans le cadre du dialogue social de proximité, peut revêtir un certain intérêt pour légitimer le nouveau fonctionnement arrêté par la société.

 

Même s’il constitue encore un champ peu exploré, l’accord d’entreprise relatif aux frais professionnels présente d’ores et déjà de nombreux avantages qui pourrait conduire à son développement.

 


Guillaume Dedieu

Avocat associé, Paris

Après l'obtention de son Master 2, intègre plusieurs fédérations sportives pour intervenir sur les questions d'emploi, de ressources humaines et de relations sociales. Exerce en qualité d'avocat au sein du cabinet Ellipse Avocats depuis 2014 à Lyon puis à Paris. Devient associé du bureau parisien au 1er janvier 2020.

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