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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail, Santé, sécurité & Environnement
par Sébastien Millet

Transition écologique et dialogue social dans les entreprises : révolution ou bonne conscience ?


La loi Climat et résilience engage le dialogue social dans une nouvelle approche autour des enjeux d’impact environnemental de l’entreprise. Numérique, télétravail, et maintenant transition écologique ;  assurément, le droit du travail, « droit vivant », s’adapte et mute petit à petit en profondeur.     

 

Face aux effets du dérèglement climatique et aux atteintes massives à la biodiversité, l’attente sociétale en matière de protection de l’environnement semble n’avoir jamais été aussi forte, et figure en tête de liste des préoccupations du grand public, selon les enquêtes d’opinion.

Tandis que la réponse de l’Etat est de plus en plus challengée, la mutation du droit en faveur de la transition écologique et énergétique se poursuit progressivement, lentement mais sûrement pourrait-on dire, tant il y a de d’intérêts divergents à concilier …

Dernier acte d’importance en date, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui consacre, parmi ses très nombreuses dispositions (305 articles), un volet particulier dédié au travail dans les entreprises, intitulé « adapter l’emploi à la transition écologique ».

L’évolution majeure à retenir porte ici sur l’intégration de l’impact environnemental de l’entreprise au cœur du dialogue social des entreprises, notamment au niveau des prérogatives du comité social et économique (CSE).

Précisons que dans son volet social, la loi prévoit d’autres dispositions liées à la transition écologique, que nous n’aborderons pas ici en détail.

 

1°) Des attributions élargies pour le CSE et de nouvelles obligations en matière d’information-consultation 

En synthèse, dans les entreprises employant 50 salariés et plus, les CSE voient désormais leurs attributions générales élargies à la prise en compte des conséquences environnementales des décisions de l’employeur relatives : à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.

Ainsi, l’impact environnemental doit être obligatoirement appréhendé « en dur » dans le cadre des nouvelles procédures d’information-consultation du CSE initiées à compter du 25 août 2021, aussi bien :

  • A l’occasion des 3 consultations périodiques obligatoires relatives : 1) aux orientations stratégiques de l’entreprise, 2) à sa situation économique et financière, 3) à sa politique en matière sociale, de conditions de travail et d’emploi. Au cours de ces consultations, le CSE doit être dorénavant informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise, ce qui nécessite qu’il reçoive des informations précises et écrites (notamment via la BDESE – cf. infra). Il s’agit de dispositions d’ordre public, ce qui exclut tout aménagement par voie d’accord collectif. Afin d’éclairer si nécessaire l’instance dans le cadre de chacune de ces 3 consultations récurrentes, le recours par le CSE à un expert-comptable est renforcé puisque sa mission porte dorénavant sur tous les éléments d’ordre économique, financier, social, mais aussi environnemental, nécessaires à la compréhension de la situation de l’entreprise.

 

  • A l’occasion ensuite de toute consultation sur des projets intéressant l’organisation, la gestion ou la marche générale de l’entreprise, ce qui est très large puisque cela vise « notamment » : les mesures envisagées en matière de réorganisation, de conditions de travail, d’emploi ou de formation professionnelle, l’introduction de nouvelles technologies, l’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, etc. Il ne s’agit pas là d’une simple obligation d’information mais bien de l’exigence de recueil d’un avis (formel ou à défaut implicite), sur les conséquences environnementales liées aux mesures envisagées. Cela devra être traité en réunion plénière avec l’ensemble des élus (titulaires), les consultations ne pouvant être sous-traitées à la CSSCT (pour les CSE qui en sont dotés).

Le législateur n’est pas allé jusqu’à transformer les CSSCT en CSSCTE ou à créer une nouvelle commission dédiée au sein du CSE. Peut-être ce pas sera-t-il franchi à l’avenir, sachant que les problématiques d’environnement sont pour une large part très imbriquées avec celles touchant la santé la sécurité et les conditions de travail des salariés … (précisons que de nombreuses entreprises, elles relèvent souvent déjà d’un seul et même service santé-sécurité-environnement intégrant généralement en plus le volet qualité « HSEQ »).

En revanche, la base de données économique et sociale (BDES) devient la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). On sait juste que celle-ci devra traiter des « conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise » ce qui laisse une certaine latitude, dans l’attente d’un texte complémentaire venant définir quel type d’information devrait être intégré dans cette rubrique en fonction de l’effectif de l’entreprise (+/- 300). Précisons toutefois que l’entrée en vigueur du dispositif n’est pas subordonnée à un texte d’application. Bien que cette base ait à l’origine pour ambition de simplifier la transmission d’informations via un réceptacle unique, cette évolution risque potentiellement de renforcer son côté « usine à gaz » pour les directions d’entreprise, à moins que le curseur l’information obligatoire ne soit allégé.

On notera que sur le plan sémantique, la loi appréhende la notion de « conséquences environnementales » et pas simplement d’ « incidences environnementales » par exemple, ce qui pourrait donner lieu à discussions sur la portée du dispositif …

A contrario, les entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés et dotées de CSE ne disposant pas d’attributions consultatives en matière économique, ne sont pas concernées par ces nouvelles obligations … Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’aient pas un intérêt à s’interroger sur les conséquences environnementales de leur propre activité.

 

2°) Faire bouger les lignes via le dialogue social : une avancée en demi-teinte

Une avancée paramétrique dans le sens de l’histoire

Tout d’abord, il est important d’observer que cette évolution n’est pas totalement nouvelle.

En effet, pour la plupart des entreprises, les problématiques d’environnement sont déjà intégrées dans les prises de décision, compte tenu des obligations réglementaires qui pèsent sur elles (cf. installations classées, déchets, économie circulaire, etc.) à des degrés divers selon le type d’activité et les nuisances ou risques qu’elles peuvent générer.

En outre, dans une économie très intégrée ou les grands donneurs d’ordre sont soumis à des obligations de vigilance, notamment en matière environnementale, un cercle vertueux se met en place dans lequel l’ensemble des partenaires économiques (clients, fournisseurs, sous-traitants, prestataires) tendent à harmoniser leurs pratiques sur la base de hauts standards de performance extra-financière. Indéniablement la capacité d’une entreprise à garantir qu’elle maîtrise ses risques et à limiter son empreinte environnementale constitue un argument incontournable sur le plan concurrentiel, tout particulièrement pour pouvoir accéder à certains marchés.

Dans beaucoup de secteurs et d’entreprises, il existe déjà une forte culture ou sensibilité environnementale, par nécessité, mais également par conviction puisque nombreux sont les acteurs économiques qui ont engagé des démarches de certification environnementale, déploient des politiques en matière de RSE, où réfléchissent à intégrer leur « raison d’être » dans leurs statuts juridiques.

Rappelons qu’a minima toute société « (…) est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (C. Civ., art. 1833).

Dans ce cadre, les CSE étaient déjà être appelés à connaître des incidences environnementales liées à l’activité de l’entreprise (cf. p. ex. dossiers de demande d’autorisation environnementale en matière d’ICPE, exercice du droit d’alerte en cas de risque graves pour la santé publique où l’environnement, etc.).

Avec cette réforme, la prise en compte de la problématique environnementale va toutefois sortir d’un cadre ponctuel pour devenir plus générale à l’occasion des consultations du CSE, ce qui, sur le papier, s’avère pour le moins novateur.

Cette évolution est en cohérence avec la volonté d’embarquer l’ensemble de la société civile, y compris les travailleurs au sein des entreprises, dans une mutation en profondeur.

Dans la mesure ou toute entreprise a un impact plus ou moins diffus sur l’environnement, il n’est pas incongru de permettre à ce que l’expression collective des travailleurs via leurs représentants puisse être prise en compte dans les processus décisionnels.

Bien sûr, au démarrage, les acteurs du dialogue social vont devoir se familiariser et expérimenter, puis à terme, on imagine que le sujet fera « partie du décor ».

Dans l’immédiat toutefois, il faut être lucide sur l’existence de nombreux freins à cette évolution, notamment sur le plan psychologique et culturel.

 

Des freins prévisibles en pratique

De leur côté, les élus vont devoir s’approprier ces nouvelles attributions ce qui suppose une prise de hauteur. Or, la question environnementale peut entrer en confrontation avec certaines logiques parfois très terre-à-terre, de « pouvoir d’achat » par exemple, liées à la société de consommation de masse.

Beaucoup de schémas de pensée idéologiques entrent en conflit et nécessitent de trouver des consensus de discussion, l’idée n’étant pas nécessairement de devoir faire « moins » (avec une connotation « punitive »), mais de s’efforcer de faire « mieux ».

Pour se réinventer, encore faut-il avoir suffisamment de clés de connaissance et de compréhension, sachant qu’il sera ici essentiellement question d’aborder l’impact des activités de l’entreprise et non au niveau de la société en général.

Sur ce point, la loi vient outiller les élus du CSE avec la possibilité d’intégrer ce sujet dans leur formation obligatoire (elle-même améliorée par la loi Santé). Le sujet est toutefois si complexe que ce volet de formation sera probablement insuffisant, sauf à négocier une amélioration de la formation minimale.

Il faut s’attendre de facto à ce que les élus puissent palier à cela via le recours à l’expertise comptable, ouvert dans le cadre des 3 consultations récurrentes. Précisons ici que la loi n’a pas élargi la thématique environnementale à l’expert habilité. Celles-ci relèvent uniquement de la mission d’expertise comptable ce qui semble à première vue très inadapté. Il faut donc anticiper le fait qu’en pratique, les experts-comptables du CSE sous-traitent ce volet de la mission à d’autres experts spécialisés, comme cela leur est possible point. Autant de sujets de crispation en perspective car il faut anticiper dans ce cas un renchérissement important du coût de ces expertises, et un accroissement des recours en contestation devant les tribunaux judiciaires.

Côté direction, cela implique en outre de se préparer à intégrer la réflexion sur l’impact environnemental de l’entreprise au niveau de la stratégie, puisque ce point devra être partagé avec les élus qui pourront ainsi challenger les projets de direction.

Observons qu’à ce stade, il n’existe toutefois pas l’équivalent d’un droit d’alerte économique pour le CSE en matière environnementale (hormis en cas de risque grave pour la santé publique ou l’environnement lié aux produits ou procédés de fabrication utilisés  – C. Trav., L4133-2). Également, le législateur n’a pas suivi la tendance actuelle consistant à imposer la désignation d’un « référent environnement » au sein des entreprises (ce qui n’interdit pas de pouvoir réfléchir à la mise en place d’une telle mission avec allocation de moyens, notamment par voie d’accord collectif).

Or, et c’est là sans doute le frein principal, la difficulté va être pour les acteurs de travailler sur la base d’outils méthodologiques adaptés, par exemple pour mener des réflexions et analyses en matière d’empreinte carbone des activités. Bien entendu, il existe de nombreuses bases documentaires et guides thématiques, mais la démarche risque d’être souvent déceptive, à moins d’être accompagnée avec des intervenants experts.

On peut également imaginer que les branches par exemple puissent mettre à disposition des référentiels utiles aux entreprises, pour pouvoir se « benchmarker » sur leur secteur d’activité.

 

Les leviers utiles de l’approche par « petits pas »

Une fois ces verrous levés, cette évolution ouvre néanmoins de nombreuses perspectives positives de réduction d’impacts (qui additionnés dans toutes les entreprises finiront par avoir une réelle inertie), mais également, d’innovation sur le terrain du fonctionnement de l’entreprise du point de vue de l’approche du dialogue social :

  • Sur le fond, au travers d’une logique intégrée de prise en compte des incidences environnementales à un niveau relevant de la stratégie de l’entreprise ;
  • Sur la forme et la méthodologie, avec la nécessité de travailler ce sujet selon une démarche conjointe et participative. Pour initier les choses, une formation commune direction/ élus peut par exemple être envisagée.

De toute évidence, les salariés et leurs représentants peuvent utilement apporter, via des groupes de travail, puis en réunion de CSE, des éléments de réflexion venant nourrir les projets, sur de nombreuses thématiques telles que : politique de déplacements et de transport/ mobilités ; achats ; usages informatiques ; relations avec les fournisseurs ; gestion des déchets ; recyclage des équipements ; installations ; restauration ; consommation d’énergies et de ressources naturelles (eau) ; etc.

En retour, cette approche viendra nourrir la démarche de qualité de vie au travail et d’amélioration des conditions de travail (QVCT), en permettant d’apporter du sens dans le travail et de la reconnaissance professionnelle, notamment en favorisant l’expression collective sur les projets, l’innovation et les parcours professionnels.

Il faut être convaincu à notre époque que la protection de l’environnement participe de la performance de l’entreprise et à toute sa place au niveau des attributions économiques du CSE.

En parallèle, la négociation collective en matière d’environnement jouera aussi un rôle important (« clauses vertes » en matière d’emploi, de formation et de gestion prévisionnelle des parcours  professionnels, d’organisation du travail (télétravail, mobilités, etc.), de prévention des risques professionnels liés aux facteurs environnementaux et climatiques, d’indicateurs de performance pour les contrats d’intéressement, etc.).

Gageons que cette évolution puisse donner un nouvel élan positif au dialogue social.

 

 

*Article publié dans www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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