XS
SM
MD
LG
XL
Droit du Travail
par Guillaume Dedieu

Indemnité de grand déplacement : le covoiturage, un moyen de transport en commun ?


Lorsqu’un salarié engage des frais pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de son employeur, ces frais sont par principe pris en charge par ce dernier. Ces frais ne peuvent pas être imputés sur sa rémunération.

Parmi ces frais dits professionnels, les indemnités de grand déplacement ont pour objet de couvrir forfaitairement les dépenses supplémentaires de nourriture et de logement du salarié en situation de déplacement professionnel. Une situation de grand déplacement concerne alors, selon une définition générique, le salarié dans l’impossibilité de regagner chaque jour sa résidence du fait de ses conditions de travail.

Si le mécanisme est initialement appréhendé sous l’angle du droit de la sécurité sociale, le volet droit du travail ne doit pas être ignoré.

En droit de la protection sociale, une indemnité de grand déplacement versée au salarié ne rentre pas dans le champ des contributions sociales en sa qualité de « frais professionnels » déductibles. Deux conditions cumulatives doivent cependant être remplies. Le salarié est présumé empêché de regagner chaque jour sa résidence habituelle :

  • Lorsque la distance entre son lieu de résidence et le lieu de déplacement est au moins égale à 50 km (trajet aller) ;
  • Et lorsque les transports en commun ne permettent pas d’effectuer ce trajet dans un temps inférieur à 1h30 (trajet aller).

En droit du travail et au-delà des règles traditionnelles de détermination des frais professionnels, ce sont certaines conventions collectives qui régissent directement l’attribution ou non d’indemnités de grand déplacement. C’est notamment le cas dans la métallurgie, dans le bâtiment ou dans les travaux publics. La rédaction de ces dispositions conventionnelles peut ainsi se confronter à la définition des frais professionnels donnés par le législateur, en droit du travail ou en droit de la sécurité sociale.

Dans un arrêt rendu le 15 septembre 2021 (n° 20-14.326), la Chambre sociale de la Cour de cassation statue sur cette question, en procédant à l’interprétation d’une convention collective nationale.

  • Le covoiturage, un moyen de transport en commun pour le salarié en grand déplacement ?

En l’espèce, un ouvrier du bâtiment a effectué un déplacement. Il a revendiqué le versement d’une indemnité de grand déplacement en application de la Convention collective nationale des ouvriers du bâtiment du 8 octobre 1990 (des entreprises occupant jusqu’à 10 salariés).  L’article 8-21 de cette même convention prévoit que :

« Est réputé en grand déplacement l’ouvrier qui travaille sur un chantier métropolitain dont l’éloignement lui interdit – compte tenu des moyens de transport en commun utilisables – de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole, […] »

L’employeur refuse l’octroi de cette indemnité au motif qu’un moyen de transport en commun permettait au salarié de regagner son domicile : le covoiturage.

La Cour de cassation statue donc sur le point de savoir si le covoiturage pouvait constituer un « moyen de transport en commun utilisable » au sens de la Convention collective nationale des ouvriers du bâtiment.

Afin de répondre à cette question, la Cour procède à une interprétation stricte de la convention collective nationale.

Elle retient que la notion de « moyens de transport en commun utilisables » n’est pas en adéquation avec la définition du covoiturage telle que prévu par l’article L. 3132-1 du Code des transports. Dès lors, puisque le covoiturage n’entre pas dans les moyens de transports en commun utilisables selon la convention collective nationale applicable, l’ouvrier ne disposait d’aucun moyen pour regagner son domicile. Ce dernier est donc bien fondé à réclamer le versement de l’indemnité de grand déplacement pour couvrir ses frais supplémentaires de repas et de logement.

Dans un contexte de forte croissance du recours au covoiturage, la Cour vient fermer la porte à toute tentative d’élargissement du périmètre de la notion de « moyens de transports en commun utilisables ».

Si cette décision peut paraitre sévère, elle n’en parait pas moins justifiée. La Chambre sociale justifie cette mise à l’écart du covoiturage dans l’arrêt : « il ne s’agit pas d’un moyen de transport fiable permettant à l’utilisateur, résidant dans une petite commune relativement éloignée des grands-centres urbains, de lui garantir un accès quotidien à son lieu de travail et une embauche matinale, et il ne peut être considéré qu’il réponde à la définition de ‘moyens de transport en commun utilisables’ visés à la convention collective ».

Le covoiturage ne peut pas être considéré comme un moyen de transport sûr et fiable. A l’inverse du bus ou encore du train, le covoiturage dépend uniquement de l’initiative de particuliers. Un trajet peut être proposé une journée, mais il n’est pas certain que l’opération soit réitérée le lendemain.  De plus, le covoiturage n’est pas forcément disponible en tous lieux. Quid des zones reculées où les propositions sont rares, voire nulles ?

Il est clair que le covoiturage n’apparait pas comme un moyen de transport fiable, qui pourrait garantir au salarié de pouvoir regagner quotidiennement son lieu de résidence ou son lieu de travail. C’est donc face à ces garanties insuffisantes que la Cour de cassation s’est refusée d’assimiler le covoiturage à un moyen de transport en commun.

  • La modification des dispositions conventionnelles en matière d’IGD impliquera-t-elle une nouvelle solution ?

L’arrêt en l’espèce s’appuie sur la Convention collective nationale des ouvriers des entreprises du bâtiment du 8 octobre 1990 (pour les entreprises occupant jusqu’à 10 salariés), convention applicable lors de la survenance des faits (en 2013).

Toutefois, la Cour de cassation englobe dans son raisonnement la Convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c’est-à-dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990. Elle applique donc son raisonnement à toutes les entreprises de la branche du bâtiment, quel que soit le nombre de salariés.

Depuis lors, une nouvelle convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (donc les occupants de plus de 10 salariés) a été signée en date du 7 mars 2018.

Cette nouvelle convention collective modifie la rédaction historique de l’article VIII-21 que :

« Est en grand déplacement l’ouvrier envoyé sur un chantier métropolitain dont l’éloignement lui interdit – compte tenu des moyens de transport en commun utilisables ou des moyens de transport mis à sa disposition, ainsi que des risques routiers – de regagner chaque soir le lieu de sa résidence, situé dans la métropole, et qui loge sur place. »

Ainsi, la question de la prise en compte du co-voiturage pour exclure l’attribution des indemnités de grand déplacement pourrait de nouveau être amenée à se poser.

Au-delà du covoiturage, cette nouvelle rédaction créée également une nouvelle voie d’exclusion des IGD. Et ce en précisant que le moyen de transport à identifier n’a pas vocation à être uniquement un transport en commun.  A titre d’exemple, l’attribution d’un véhicule de service, par définition mis à disposition par l’employeur, pourrait-il s’opposer, malgré la distance et au regard de la nouvelle rédaction des dispositions conventionnelles, à  l’octroi des IGD.

Cette appréciation pourrait le cas échéant prendre le contre-pied de certaines jurisprudences. A titre d’exemples : la Cour d’appel de Nancy avait admis en 2019 (pour des faits datant de 2014) que la mise à disposition d’un véhicule aux salariés leur permettant d’effectuer les trajets ne permettait pas à l’employeur d’échapper au versement de l’IGD. Cette décision repose sur le seul fondement que le texte ne visait que l’usage de transports en commun. Néanmoins, les juges du fond se sont prononcés sous un prisme quelque peu critique en admettant que : « malgré l’ancienneté des dispositions de la convention collective sur ce point, les partenaires sociaux n’ont manifestement pas souhaité les modifier pour tenir compte des éventuelles évolutions des modes de transport praticables. » « Par ailleurs ces dispositions visent la possibilité d’effectuer le trajet domicile-travail par les transports en commun et l’employeur ne peut exciper pour s’exonérer du paiement des indemnités de grand déplacement de la mise à disposition d’un véhicule de l’entreprise, […] » (Cour d’appel de Nancy, Chambre sociale, Arrêt du 7 novembre 2019, Répertoire général nº 16/01902).

La Chambre sociale de la Cour de cassation a elle aussi pu juger que la mise à disposition des salariés de véhicules de la société pour effectuer les trajets quotidiens ne privait pas l’employeur de verser l’indemnité de grand déplacement (Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 2011 du 19 avril 2000, Pourvoi nº 98-40.71).  « Et attendu que le conseil de prud’hommes, qui a relevé que l’employeur avait mis à disposition des salariés affectés sur le chantier litigieux des véhicules de la société pour effectuer les trajets quotidiens, mais que M. Pust avait décidé de loger sur place avec l’accord de l’employeur, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, qu’il ne pouvait prétendre aux indemnités de grand déplacement ; »

 

Ecrit par Julie FERNANDES, étudiante en Master 2 Droit Social Général, et Guillaume DEDIEU

 


Guillaume Dedieu

Avocat associé, Paris

Après l'obtention de son Master 2, intègre plusieurs fédérations sportives pour intervenir sur les questions d'emploi, de ressources humaines et de relations sociales. Exerce en qualité d'avocat au sein du cabinet Ellipse Avocats depuis 2014 à Lyon puis à Paris. Devient associé du bureau parisien au 1er janvier 2020.

Contactez nous

Obtenez le meilleur conseil
en droit du travail pour votre entreprise

Obtenir du conseil

Confidentialité et réactivité
Nos avocats interviennent partout en France

Continuer
La lecture