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Droit du Travail
par David Fonteneau

Quel sort pour un conseiller prud’homal privé d’une affiliation syndicale ? Indépendance du juge et instance paritaire


Une question posée par une organisation syndicale dans le cadre d’un séminaire offre l’occasion à Ellipse avocats de faire le point sur le statut du conseiller prud’homal.

Si le conseil de prud’hommes existe depuis 1806, les règles qui régissent sa composition ont varié depuis sa mise en place jusqu’à aujourd’hui. Le paritarisme, en revanche, instauré depuis un décret du 27 mai 1948, constitue toujours le socle de cette juridiction à part.

Elu au scrutin de liste majoritaire à deux tours pour 6 ans jusqu’en 1979, le conseiller prud’homales a connu le scrutin de liste (pour un mandat finalement ramené à 5 ans) de 1979 à 2018. Quel que soit le mode retenu, le conseiller prud’homal était élu par le milieu professionnel auquel il appartenait. A ce titre, les organisations syndicales participaient à cette élection en présentant, notamment, leurs candidats.

Le conseiller prud’homal est désormais désigné (pour 4 ans) dans le cadre d’un processus en étapes. Si la décision finale appartient au ministre de la Justice et au ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, le processus offre toujours une place prépondérante au paritarisme en place, lui, depuis 1848.

L’audience des organisations syndicales et professionnelles est ainsi mesurée régulièrement (tous les 4 ans) et l’attribution des sièges se fait en tenant compte des résultats de ces élections : chaque organisation qui a obtenu au moins un siège désigne un représentant national. Ce dernier nomme alors les mandataires départementaux qui présenteront les listes de candidats pour chaque conseil de prud’hommes dans lequel le syndicat a obtenu au moins un siège.

Dans ce contexte très particulier d’une juridiction qui place le paritarisme au centre de son fonctionnement, le sort du mandat du conseiller prud’homal privé, après sa désignation, d’une affiliation syndicale (par choix ou de manière imposée) interroge.

Cette interrogation n’est pas nouvelle car le conseil de prud’hommes « oppose » la notion de juge, la neutralité qui l’accompagne, et la réalité de son fonctionnement paritaire.

La représentativité syndicale ou professionnelle est un des fondements de l’existence et du fonctionnement de la juridiction. Les conseillers prud’homaux sont nommés par arrêté conjoint des ministres de la Justice et du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion sur la base des propositions syndicales et professionnelles.

Une fois nommé, le conseiller prud’homal est à la fois « moralement » l’ambassadeur de son organisation au sein de la juridiction et, plus juridiquement, collaborateur non permanent du Service de la Justice.

En qualité de magistrat, il rend, une fois nommé, la justice au nom du peuple français de manière totalement indépendante. Les devoirs de réserve, d’indépendance et d’impartialité s’imposent à lui, comme les juges professionnels. Le conseiller prud’homal a le devoir d’appliquer les textes en son âme et conscience en s’efforçant à une totale neutralité malgré les sollicitations, pressions ou inclinations auxquelles il peut être soumis

C’est dans ce sens qu’est organisé le statut des conseillers prud’homales aux articles L 1441-1 à L 1443-1 du Code du travail. Le législateur prévoit des cas dans lesquels le conseiller est « réputé démissionnaire » (L.1442-1 du code précité ou L.1442-13 dudit code) comme le fait de ne pas satisfaire à l’obligation de formation initiale dans délai fixé. Le mandat prendre également « fin de plein droit » (L 1442-3 du code précité) en cas de perte, notamment, de la nationalité française. La « déchéance » (L 1442-11, 14 et 15 du code précité) est encore prévue (en cas de manquement grave aux devoirs du conseiller, de limitation de ses droits civiques…) comme dernier degré d’une échelle de sanction qui s’étend du blâme à la déchéance assortie d’une interdiction (définitive ou non) d’exercer les fonctions de conseiller prud’homales en passant par la suspension (6 mois au maximum).

Il n’existe donc aucun lien entre la perte d’une affiliation syndicale et le mandat de conseiller prud’homal.

Concrètement, une fois nommé, le conseiller n’est plus lié par l’organisation qui l’a « présenté ». Au nom de l’indépendance du juge et des devoirs associés, l’ancien « ambassadeur » de l’organisation syndicale ou professionnelle devient un magistrat à part entière.  Si cette conception, que le juriste ne peut contredire, conforte le statut de magistrat du conseiller prud’homal, elle interroge sur l’instance elle-même.

Délibérément paritaire depuis sa création (ou presque), juridiction d’exception, le conseil de prud’hommes juge les affaires du milieu professionnel du travail par le milieu professionnel du travail. L’indépendance de la juridiction n’est pas, en soi, assurée dans la composition de ses magistrats comme elle peut l’être avec les juges professionnels.

La question du sort du mandat du conseiller prud’homales privé de l’affiliation syndicale qui justifie en grande partie sa candidature et sa nomination n’est donc pas nouvelle mais elle mérite d’être posée à nouveau…ne serait-ce que pour éviter de se poser la question de la nature du conseil de prud’hommes lui-même (mais c’est un autre débat…).

Pour aller plus loin :

Conseil de Prud’hommes : comment ça marche ? (saisine, compétence …)


David Fonteneau

Avocat associé, Paris

Intègre en 2000, après l’obtention d’un doctorat en droit privé, le cabinet d’avocats Barthélemy et associés à Bordeaux puis à Paris. Rejoint le groupe d’armement industriel de l’Etat Français Giat Industries en 2005 pour piloter les chantiers sociaux d’une profonde restructuration (4 600 départs) et sa mutation à partir de 2006 (Giat Industries devient alors Nexter Groupe). Accompagne, à partir de 2008, en qualité de Directeur des relations sociales, le Groupe SPIE (près de 600 sites dans 38 pays et 47 000 collaborateurs, SPIE a réalisé, en 2018, un chiffre d’affaires consolidé de 6,7 milliards d’euros et un EBITA consolidé de 400 millions d’euros) dans ses projets de développement (acquisitions, Leverage Buy Out, Initial Public offering, négociations et pilotage de l’instance européenne de dialogue social). Intègre, à partir de 2016, le réseau ELLIPSE Avocats (Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Bayonne, Lille, Nantes) dont il participe au développement en créant le bureau parisien.   Il propose aux entreprises une approche multi-compétences des relations sociales et de la négociation sociale au service de la conduite du changement.   Son expertise : Le droit social, la stratégie et la négociation sociale au service de la stratégie d’entreprise, l’accompagnement des équipes dirigeantes, la gestion de crise et la gestion de projets, l’animation des équipes RH dans le quotidien, l’audit social.

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