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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Arnaud Pilloix

Libertés fondamentales et déploiement du télétravail : l'utilité du dialogue social !


En synthèse, cette organisation du travail qui a vocation à se pérenniser (notamment en hybride présentiel/télétravail) doit trouver dans le dialogue social le cadre juridique qui permettra de préserver les droits fondamentaux des salariés, au regard des intérêts économiques et des spécificités de chaque entreprise. Il faut ainsi organiser le télétravail dans l’entreprise par le biais d’un accord négocié avec les partenaires sociaux ou de manière unilatérale par une charte après consultation du CSE. Cela permettra d’encadrer les droits et devoirs des télétravailleurs et de formaliser les règles applicables au télétravail.

 

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Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication[1]. Sauf restrictions prévues par l’entreprise, le télétravail peut donc en principe être réalisé en tout lieu, et pas nécessairement au domicile habituel du salarié.[2]

De prime abord, le télétravail est généralement perçu par les salariés comme un moyen permettant de mieux concilier la vie personnelle et vie professionnelle.[3]

A n’en pas douter, les expérimentations déployées en urgence et de manière dégradée pour faire face à l’épidémie de la COVID-19 ont engendré une formidable promotion pour le télétravail, et le travail hybride (présentiel et télétravail) est de plus en plus sollicité par les salariés.

L’enjeu sera désormais de passer de ce régime « d’exception » à un mode d’organisation plus pérenne qui concilie la protection des droits fondamentaux des travailleurs : droit au respect de la vie privée (1), droit à la santé / sécurité au travail (2), droit à l’égalité de traitement (3).

 

  1. Télétravail et droit au respect de la vie privée

Historiquement, les sphères personnelles et professionnelles étaient bien cloisonnées, mais la porosité entre ces deux sphères n’a eu de cesse d’augmenter au gré des évolutions technologiques.[4]

Le télétravail constitue une intrusion inévitable de l’employeur dans la vie personnelle du salarié avec les écueils suivants :

  • Sur la protection du domicile [5]

Le travail à domicile ne retire pas au domicile du salarié son caractère privé. L’employeur ne peut donc en aucun cas pénétrer au domicile du télétravailleur sans l’accord de celui-ci, sous peine de sanctions civiles[6] ou pénales. [7]

Néanmoins, l’employeur n’est pas exonéré de ses obligations relatives à la protection de la santé et de la sécurité du télétravailleur au seul motif que le salarié exerce son activité en dehors des locaux de l’entreprise. [8]

 

  • Sur le contrôle de l’exécution du travail

La perméabilité des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle[9] résultant du télétravail n’exonère pas l’employeur de respecter les règles qui protègent la vie privée des salariés. Si par son pouvoir de direction, l’employeur a en principe le droit de contrôler l’activité des salariés en télétravail, il ne peut le faire que lorsque cette atteinte est justifiée et proportionnée au respect de sa vie privée.[10]

Certaines pratiques sont prohibées selon les recommandations de la CNIL, comme une caméra activée en continue ou des appels répétés et permanents. [11]

Afin de garantir ces droits, le salarié peut se tourner vers différents acteurs lorsqu’ils estiment que cette surveillance est excessive et/ou disproportionnée :  l’inspection du travail[12], la médecine du travail, la CNIL[13] pouvant réaliser des contrôles à distance, sur place, sur audition ou sur pièces en cas de plainte d’un salarié ou de sa propre initiative, mais également par le biais d’une action judiciaire devant le Conseil de Prudhommes [14] fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail ou une situation de harcèlement.

Ces garde-fous dans le contexte particulier du télétravail pour l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle inhérent au lien de subordination, sont une invitation à l’élaboration de normes internes adaptées aux spécificités de chaque entreprise.

 

 

  1. Télétravail et droit à la santé / sécurité

L’employeur a l’obligation de prévenir les risques professionnels à l’égard de tous les salariés : il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leurs santé physique et mentale[15].

Or le télétravail peut être vecteur de surcharge de travail, d’isolement et de perte du lien social. [16]

Cela se traduit par l’indispensable mise à jour du DUER, mais également par la mise en place d’outils de prévention primaire et secondaire en lien avec les représentants du personnel.

A ce titre, le droit à la déconnexion évolue peu à peu en un droit fondamental : autoriser le salarié à ne plus être disponible pour son employeur en dehors de ses horaires de travail. [17]

Concrètement, pour le télétravailleur, ce droit à la déconnexion se traduit notamment par le strict respect de ses jours, de ses horaires de travail et de ses pauses. [18]

Il faut donc que l’employeur mette en place les outils appropriés pour contrôler le respect des durées maximales de travail et des temps de repos afin (i) de préserver la santé mentale et physique du salarié, et (i) de suivre le temps de travail effectif. [19]

 

  1. Télétravail et égalité de traitement

Le télétravail ne doit pas entacher le principe d’égalité entre les salariés en télétravail et les salariés présents dans les locaux. [20]

Ce principe n’écarte pas pour autant toute différence de traitement lorsque les salariés sont objectivement placés dans des situations différentes. Les conditions d’attribution de l’avantage collectif peuvent également exclure certains travailleurs selon des critères objectifs (par exemple, la distance domicile-travail).

Cela se traduit par des textes et des jurisprudences s’adaptant aux spécificités du télétravail [21] :

  • Télétravail et accident du travail: lorsque le télétravailleur subit un accident pendant la durée effective de travail, il existe une présomption d’accident du travail [22]
  • Télétravail et tickets restaurants: l’octroi de titres-restaurants bénéficie également aux télétravailleurs selon le Gouvernement [23]. A noter que les tribunaux judiciaires de Paris[24] et Nanterre[25] ont rendu des décisions contradictoires sur cette question ;
  • Télétravail et prise en charge de l’abonnement de transport: cette obligation s’applique lorsque le télétravail s’effectue par alternance, par exemple 1 ou 2 jours par semaine ou une semaine sur deux [26]
  • Télétravail et le droit à la formation: l’employeur qui doit assurer le maintien de l’employabilité, doit s’assurer que les formations demeurent accessibles lorsque le salarié n’est pas en présentiel, celles-ci pouvant être dispensées en ligne. [27]

 

Arnaud PILLOIX, assisté de Pauline BOURLIER

 

[1] Article L1222-9 du code du travail

[2] Le télétravail se distingue du travail à domicile (adapté à la réalisation de tâches manuelles, sans utilisation des TIC), qui est régi par des règles spécifiques (articles L7411-1 à L7424-3 et R7413-1 à R7424-2 du code du travail)

[3] « Conciliation vie personnelle-vie professionnelle : un nouveau paradigme », Odile LEVANNIER-GOUËL et Mehdi de La ROCHEFOUCAULT, Les Cahiers du DRH, Nº 283-284, 1er février 2021

[4] Il ne faut pas oublier que c’est la vie personnelle du salarié qui est entrée dans l’entreprise avec les téléphones mobiles personnels et l’accès à sa messagerie personnelle.

[5] Article 9 du code civil et article 8 de la convention européenne des droits de l’homme

[6] Article 9 du code civil

[7] Article 226-4 du code pénal

[8] Article L4121-1 du code du travail

[9] « Le télétravail : les risques d’un outil de gestion des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle », Marc Dumas, Caroline Ruiller, Management & Avenir 2014/8 (N° 74)

[10] Article L. 1121-1 du Code du travail et article 9 du Code civil

[11] CNIL  5 nov. 2019, n° MED 2019-025 ; Les questions-réponses de la CNIL sur le télétravail, 12 novembre 2020 ; Cass. soc., 23 juin 2021, n° 19-13.856

[12] Article L8112-1 du code du travail

[13] Questions-réponses de la CNIL sur le télétravail, 8 septembre 2021

[14] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 mars 2021, 19-24.232

[15] Article L4121-1 du code du travail

[16] Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020

[17] Rapport d’initiative parlementaire du 21 janvier 2021 demandant à la Commission européenne de légiférer sur le droit à la déconnexion en un droit fondamental.

[18] « Garantir l’efficacité du droit à la déconnexion, entre obligation et utopie », Isabelle AYACHE-REVAH et Amanda GALVAN, Les Cahiers du DRH, Nº 245, 1er septembre 2017

[19] « Respect de la vie privée du télétravailleur », Liaisons sociales – Les Thématiques, Nº 68, Section Le point spécial, 1er avril 2019

[20] Article L1222-9 du code du travail

[21] Accords nationaux interprofessionnels des 19 juillet 2005 et 26 novembre 2020

[22] Article L1222-9 III du code du travail

[23] Questions Réponses du Ministère du Travail actualisés sur le télétravail

[24] TJ Paris 30-3-2021 n° 20/09805

[25] TJ Nanterre 10-3-2021 n° 20/09616

[26] Ministère du travail, questions-réponses Télétravail en période de Covid-19

[27] ANI, 26 nov. 2020 ; article L1222-9 du code du travail

[28] « Construction du projet, question du passage ou non par la négociation collective et cadre juridique du télétravail », Le Lamy santé sécurité au travail, Mars 2021



Arnaud Pilloix

Avocat associé, Bordeaux

Passionné par ce métier captivant et soucieux d'apporter aux clients une approche innovante, nous avons créé le cabinet ELLIPSE AVOCATS en 2010 avec Arnaud RIMBERT et Sébastien MILLET. Conseiller au quotidien les dirigeants et DRH avec une équipe dynamique & disponible dans un cadre de travail confortable et bienveillant. Cette philosophie guide nos choix au quotidien pour apporter des solutions pragmatiques. A titre plus personnel, après un parcours universitaire en France et en Angleterre tourné vers le droit des affaires, c'est en droit du travail et des relations sociales que j'ai toujours exercé la profession d'avocat, ce qui me permet de plaider, d'auditer, de restructurer et de conseiller au quotidien nos clients. Cette diversité permet d'assouvir ma curiosité et de croiser chaque jour des profils, des domaines d'activité et des projets multiples et variés pour toujours se renouveler, et surtout ne jamais avoir de certitude. Et enfin et surtout des moments de déconnexion indispensables pour trouver l'équilibre, sur une planche de surf et dans ma vie de famille.

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