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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit de la Santé, sécurité au travail|Droit du Travail|Uncategorized, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Déménagement et réorganisations d’entreprise : la consultation du CSE doit (aussi) porter sur les conséquences environnementales du projet


En imposant aux entreprises d’informer et de consulter leur CSE sur les conséquences environnementales des mesures envisagées affectant la marche générale de l’entreprise, notamment en cas d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (C. Trav., L2312-8 – précédente chronique), la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 a incontestablement bouleversé les pratiques de dialogue social, jusqu’à lors assez hermétiques aux thématiques environnementales.

 

  1. Etat des lieux : une appropriation qui reste à parfaire dans le champ du dialogue social

Face aux enjeux de transition climatique et environnementale, chacun cherche ses marques, que ce soit côté directions (RH notamment) et partenaires sociaux.

L’appropriation est progressive, à commencer par le véhicule de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), qui constitue le réceptacle des informations notamment environnementales mises à disposition du CSE en vue des 3 grandes consultations récurrentes (orientations stratégiques de l’entreprise/ situation économique et financière de l’entreprise/ politique sociale de l’entreprise, conditions de travail et emploi) et au cours desquelles l’instance est également informée des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise (C. Trav., L2312-17 s.).

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions le 25 août 2021, l’application de ces nouvelles exigences n’est pas encore arrivée à un stade de maturité, et le sujet reste encore bien souvent traité de manière secondaire, voire négligé ou occulté.

Une telle approche n’est pas sans écueils pour l’entreprise.

 

  1. Intégrer la thématique environnementale dans les projets de réorganisation, un sujet de dialogue social « en dur »

Les transformations d’entreprises sont courantes, et ne peuvent plus aujourd’hui être conduites sans s’interroger et analyser en amont les incidences environnementales prévisibles découlant d’un projet de réorganisation.

En effet, non seulement il est indispensable d’appréhender précisément les conséquences juridiques d’un projet du point de vue notamment de la réglementation environnementale (changement de régime, procédures, nouvelles obligations, etc.), mais il faut l’envisager comme un sujet de dialogue social imposé … sans préjuger que les élus ne vont pas s’y intéresser.

Une décision récente –la première à vrai dire à notre connaissance– vient illustrer la puissance du dispositif lorsque les élus souhaitent s’emparer de leurs nouvelles attributions (TJ Nantes, jugement de procédure accélérée au fond du 22 décembre 2022, n° 22/0114).

Dans cette affaire, l’employeur avait engagé une procédure d’information-consultation du CSE sur un projet de déménagement sur un autre site, sans toutefois fournir aux élus d’éléments d’information sur les aspects environnementaux du projet.

(cf. précédente chronique, pour aller plus loin)

Faute de réponses aux demandes de la délégation salariale, le CSE vote le recours à un expert habilité, puis engage une procédure judiciaire pour se voir transmettre un ensemble d’informations très précises et poussées :

  • Projection sur l’avenir et évaluation concrète des conséquences environnementales du retrait du site ;
  • Impact environnemental des déchets et des émissions de CO2 que le transport des collaborateurs, le renouvellement des outils et les changements de locaux pourraient engendrer ;
  • Evaluation de l’impact du projet sur la saturation des transports publics de voyageurs ;
  • Responsabilité environnementale des fournisseurs et des sous-traitants ;
  • Émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité de l’entreprise ;
  • Engagements environnementaux du prestataire de déménagement retenu (véhicules propres, écoconduite, matériaux recyclables ou réutilisables, etc.) ;
  • Emissions de gaz à effet de serre générées par le déménagement ;
  • Caractéristiques des nouveaux mobiliers et équipements (matière, consommation d’énergie, etc.), traitement des anciens mobiliers et équipements (recyclage, réutilisation, valorisation des déchets, etc.) ;
  • Les incidences du déménagement sur les déplacements des salariés ou encore les investissements et actions envisagées pour favoriser la mobilité « verte ».

En cours d’instance, l’employeur régularisera la situation en communiquant une étude technique complète sur cet ensemble de points, en sorte que le juge vient rejeter la demande du CSE de suspension de la procédure et de communication sous astreinte, fondée sur l’irrégularité dans la procédure.

En revanche, il fera droit à la demande de prorogation du délai de consultation, en faisant courir le délai de 2 mois de restitution d‘avis à compter de la date de remise de l’étude.

 

  1. Après l’« étude d’impact » santé-sécurité, place à l’« étude d’impact » environnemental ?

Cette solution s’inscrit dans le fil de l’exigence d’effet utile et d’effectivité de la consultation : selon la loi, le CSE doit de manière générale pouvoir disposer d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations (C. Trav., L2312-15).

On observera que dans cette affaire, la liste des informations environnementales demandées était très poussée et dépassait très largement le cadre des données mises à dispositions via la BDESE (cf. C. trav. R2312-8 s.).

A partir toutefois du moment où elles se rattachaient bien point par point à la mission et que le CSE les estimait nécessaires à la formulation d’un avis éclairé, la demande était recevable.

Seule solution pour y répondre de manière utile, l’employeur a été contraint de missionner un organisme extérieur spécialiste pour réaliser en urgence une étude technique complète et éviter une mesure judiciaire de blocage du projet.

Si les textes n’imposent pas de suivre un canevas particulier pour la remise des informations, laissant ainsi libre l’employeur du format qu’il souhaite (ou peut) utiliser, on voit bien que sur des sujets très techniques tels que la matière environnementale, le recours à une « étude d’impact » peut être nécessaire pour satisfaire aux demandes (* à distinguer des études d’impact prévues dans le cadre des procédures administratives d’évaluation environnementale).

Sans doute, le fait d’anticiper et se mettre en mesure de produire une telle étude dès le départ devrait réduire le risque de susciter le besoin pour le CSE de déclencher une expertise concurrente (et toujours coûteuse) …

Plus généralement, cela rejoint la question, dans le champ de la SSCT cette fois, de la prise en compte des risques psychosociaux susceptibles d’être induits par le projet de réorganisation, et qui a considérablement alimenté la jurisprudence depuis plus de 10 ans en matière de consultations et d’expertises CSE, au point d’un faire aujourd’hui un incontournable de la conduite des transformations en pratique (cf. mise à jour de l’évaluation des risques professionnels et du PAPRIPACT/ plan d’actions).

Par deux arrêts de principe du 21 mars 2023, le Conseil d’Etat vient ici de rappeler l’importance accordée à la prévention des risques professionnels -RPS notamment- en matière d’élaboration de grands licenciements collectifs pour motif économique.

Dans ce cadre, la régularité globale de la procédure d’information-consultation du CSE, qui conditionne l’octroi de la décision administrative d’autorisation/ homologation du PSE, doit être appréciée par l’autorité administrative en tenant compte, si la réorganisation fait apparaître des risques pour la santé physique/mentale ou la sécurité des travailleurs, des actions mises en place pour y remédier. Il doit s’agir de mesures précises et concrètes conformément aux principes généraux des articles L4121-1 et 2 du Code du travail, et prises dans leur ensemble, elles doivent être adéquates en termes de prévention (CE 21 mars 2023, n° 460660, 460924 et 450012).

 

*article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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