par Walter Gauthier
Transfert de charges vers les complémentaires, quel impact ?
L’information n’est pas passée inaperçue à propos du transfert de charges.
Le 15 juin 2023, le gouvernement a annoncé que les soins bucco-dentaires seront davantage financés par les complémentaires santé plutôt que par la Sécurité sociale. Le coût de ce transfert de charges vers les organismes assureurs est estimé à 500 millions d’euros par an.
Si, sur le principe, le transfert de charges est acté depuis l’adoption de la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, celui-ci aura un impact financier bien plus important que les projections initiales (qui devaient s’élever à hauteur de 300 millions en année pleine).
Concrètement, à compter du 1er octobre 2023, les frais dentaires seront remboursés au taux de 60% sur la base des tarifs de convention, au lieu de 70% actuellement. Pour les complémentaires, cela se traduit par une augmentation de 10 points du ticket modérateur pris en charge sur l’ensemble des actes dentaires (soins conservateurs et prothétiques).
Cette annone vient s’ajouter à la réforme du 100 % santé et du dispositif de zéro reste à charge qui a conduit à une forte croissance des prestations servies par les complémentaires santé. Elle s’inscrit également dans le cadre de la négociation de la nouvelle convention dentaire, qui lie les chirurgiens-dentistes à la Sécurité sociale et qui pourrait déboucher sur une hausse du tarif conventionnel pour ces professionnels de santé.
Dans une tribune collective publiée dans les Echos le 5 juillet 2023, les organismes assureurs ont fait savoir que les complémentaires santé ne disposaient pas « d’argent magique » et que leurs comptes étaient aussi impactés par la dérive structurelle des dépenses de santé.
On peut en déduire, sans prise de risque excessive, que le coût du transfert devrait se traduire mécaniquement par une hausse des cotisations pour les assurés.
Ce transfert de charges aura-t-il un impact sur les entreprises ? A n’en point douter. Rappelons que, selon une étude de la Mutualité française, au titre de l’année 2023, les contrats collectifs sont les plus impactés par la hausse des cotisations, avec une augmentation moyenne de 5,7 %.
Une entreprise confrontée à une augmentation du montant des cotisations du contrat collectif de frais de santé doit s’assurer de la mise en conformité de l’acte de droit du travail formalisant le régime (dans l’hypothèse où elle n’applique pas le régime de branche). Elle peut également s’interroger sur la structure de son schéma assurantiel, afin d’en limiter les coûts.
1. Augmentation des cotisations en raison du transfert de charges ?
Afin de faire face à une hausse de la sinistralité (qui correspond au ratio entre les cotisations versées et les remboursements effectifs obtenus dans le cadre des garanties), un organisme assureur peut proposer une augmentation des cotisations à une entreprise couverte par un contrat collectif frais de santé.
En cas d’acceptation de l’augmentation, l’employeur doit s’assurer de la conformité de l’acte de droit du travail (DUE ou accord collectif) formalisant le régime avec le contrat d’assurance.
L’acte permet-il de répercuter cette hausse auprès des salariés ? Bien souvent, une clause prévoit que l’évolution du montant de la cotisation s’applique automatiquement, sans que cela ne constitue une modification du dispositif (dans la limite, le cas échéant, d’un plafond). Dans cette situation, l’acte n’a pas à être révisé et les salariés ne pourront s’opposer à l’augmentation du précompte de leur cotisation sur leur rémunération. La précaution suppose néanmoins d’en informer le CSE et les salariés.
A défaut d’une telle clause, l’acte doit faire l’objet d’une révision afin d’intégrer l’évolution de la cotisation, sous peine de ne pas être opposable aux salariés. Si le régime est formalisé par DUE, la révision peut être effectuée unilatéralement par le chef d’entreprise, sous réserve du respect de la procédure afférente (information des IRP, remise individuelle de la décision aux salariés et respect d’un délai de prévenance).
Si le régime résulte d’un accord collectif, seul un avenant permettra de formaliser ladite augmentation. Or, en cas de hausse significative, les organisations syndicales peuvent se montrer réticentes à la conclusion d’un tel avenant, dont la principale conséquence sera de diminuer le net à payer des salariés. Dans cette situation, les entreprises pourront se trouver dans une position assez inconfortable, si elles n’arrivent pas à trouver un accord, alors qu’elles sont tenues d’adapter le dispositif conventionnel du régime de frais de santé.
En outre, n’oublions pas qu’en cas de discordance entre le montant des cotisations figurant dans l’acte formalisant le régime et le montant réellement acquitté de cotisations, on ne peut exclure un risque de réintégration du financement patronal dans l’assiette des charges sociales, en cas de contrôle Urssaf.
En cas de refus de l’augmentation par l’entreprise, l’organisme assureur n’aura d’autre choix que de résilier le contrat d’assurance.
Ce refus pourrait se révéler être une « fausse bonne idée ». En effet, rappelons que selon l’article
L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale, toute entreprise a l’obligation de participer au financement d’un régime complémentaire de frais de santé à hauteur de 50 %, le reste étant à charge du salarié.
Afin de satisfaire à cette obligation légale, l’entreprise devra, en tout état de cause, rechercher un nouvel assureur et souscrire à un ou plusieurs contrats collectifs de santé répondant aux exigences du panier de soins et, le cas échéant, aux garanties minimales conventionnelles. Compte tenu de l’augmentation générale des dépenses de santé, il n’est pas certain que les nouveaux contrats soient plus avantageux financièrement.
Par ailleurs, la prise en charge des salariés en portabilité, ainsi que les obligations imposées par la loi Evin, entrent en ligne de compte dans la tarification de la nouvelle cotisation.
L’entreprise devra, enfin, adapter les actes de droit du travail afin de les mettre au diapason de ces nouveaux contrats. Or, si le montant de la couverture est jugé trop important par les salariés, ceux-ci pourraient, en cas de mise en place par DUE, être tentés de faire jouer l’article 11 de la loi Evin, afin de refuser leur affiliation, ce qui ne serait pas sans conséquence sur l’équilibre financier du régime.
2. Évolution du schéma assurantiel en raison du transfert de charges ?
L’obligation, pour toute entreprise, de participer au financement d’un régime complémentaire de frais de santé à hauteur de 50 %, ne vaut que pour ses salariés.
Dans les faits, il est fréquent que la couverture santé soit également applicable à leurs ayants droit (conjoint et/ou enfants), dont la définition varie selon les organismes assureurs.
Cette faculté est avantageuse pour les employeurs et les salariés, puisque si le dispositif de garanties prévoit la couverture obligatoire des ayants droit du salarié, la totalité de la contribution de l’employeur bénéficie alors de l’exclusion d’assiette de cotisations de sécurité sociale.
Néanmoins, en raison d’une évolution à la hausse des cotisations, les entreprises pourraient être tentées de revenir sur le financement patronal affecté à la couverture des ayants droit, afin de contenir le coût de cette augmentation.
Pour ce faire, la tarification des contrats santé d’entreprise pourrait être renégociée. Deux options sont notamment envisageables :
- le contrat d’assurance n’a vocation à couvrir que les salariés de l’entreprise. Aussi, les salariés souhaitant couvrir les membres de leur famille devront souscrire une assurance individuelle.
- mise en place d’une cotisation « isolé » obligatoire et de cotisations « duo » ou « famille » facultatives. Dans cette hypothèse, l’employeur ne participe qu’au cofinancement de la cotisation des salariés. Toutefois, ces derniers ont la possibilité de rattacher leurs ayants droit au contrat d’assurance de l’entreprise, sous réserve d’acquitter intégralement le montant de la cotisation supplémentaire. Les salariés pourront, potentiellement, bénéficier de meilleures garanties et d’un tarif attractif grâce à un contrat négocié pour l’ensemble des salariés d’une entreprise. A contrario, ils n’auront pas la main sur le contenu des garanties, qui peut s’avérer inadaptées aux besoins de leurs ayants droit.
A l’opposé, une augmentation des cotisations pourrait se traduire par la volonté des salariés de se désaffilier de ces dispositifs collectifs. En effet, si l’adhésion des salariés au régime de frais de santé est obligatoire, ce caractère obligatoire est loin d’être absolu, compte tenu de l’existence de nombreux cas de dispense.
En premier lieu, les salariés pourraient solliciter les dispenses « facultatives » prévues par la DUE ou l’accord instituant le régime dans l’entreprise, sous réserve, bien évidemment, de remplir les conditions de mise en œuvre. En second lieu, ils ont également la possibilité d’invoquer les cas de dispense « obligatoires » du Code de la sécurité sociale, quand bien même ceux-ci ne seraient pas mentionnés dans l’acte de droit du travail.
Enfin, notons que dans un arrêt du 7 juin 2023 (Cass. Soc., 7/06/2023, n° 21-23.743), la Cour de cassation affirme que la dispense d’adhésion d’un salarié n’est pas conditionnée à la preuve qu’il bénéficie à titre obligatoire, de la couverture collective de son conjoint en tant qu’ayant droit (rendue en droit du travail, cette position n’a, à date, pas été confirmée par la 2ème Chambre civile, en charge du contentieux de la sécurité sociale). Autrement dit, dès lors qu’il est rattaché, même de manière facultative, à la complémentaire santé de son conjoint, il peut demander à être dispensé d’adhérer à celle de son entreprise.
Cette décision est de nature à amplifier les revendications des salariés qui, bien informés, pourraient souhaiter optimiser leurs dépenses en matière de santé.
En conclusion, le transfert des charges décidé unilatéralement par le Gouvernement pourrait avoir des répercussions insoupçonnées pour les entreprises. Compte tenu des enjeux en droit du travail ou en matière de charges sociales, la précaution est de rigueur en cas d’évolutions de leurs contrats collectifs de frais de santé.
Notre équipe du Pôle Protection sociale complémentaire et rémunération est à votre disposition pour vous accompagner dans ces évolutions.
Sur l’obligation d’information du souscripteur en cas de modification du contrat d’assurance, vous pouvez consulter cet article.