Regards croisés : la transidentité en entreprise, un sujet nouveau qui interroge

Les changements de sexe sont de plus en plus fréquents, les entreprises doivent apprendre à aider et accompagner tout salarié souhaitant entamer une transition de genre. Sylvia Fenger, DRH du groupe SPIE Facilities a déjà fait face à une telle situation. Elle nous fait part de son expérience, accompagnée de Maria Paz Flores Mimica, psychologue, d’Emmanuelle Neau, secrétaire du CSE puis membre du comité Européen de Daikin France et déléguée syndicale de Denis Roth-Fichet Directeur régional aux droits des femmes et à l’égalité du Grand Est ainsi que Julia Auriault, et Maylis Carbajal deux avocates du cabinet Ellipse, spécialisé dans le droit du travail.

Comment avez-vous eu connaissance de la volonté d’un collaborateur de changer d’identité de genre ? 

 

Sylvia Fenger (DRH) : Le collaborateur, voulant changer de sexe, a exprimé sa volonté de se faire accompagner tout au long de sa transition. Pour cela il a, très en amont, communiqué son choix à sa DRH, ce qui traduit un signe de confiance en l’entreprise.

Julia Auriault (avocate) : En effet, cette décision relève d’une importante confiance en l’équipe et la direction, en leur ouverture d’esprit.

Sylvia Fenger (DRH) : Tout à fait, le changement de sexe de la collaboratrice, dans l’entreprise, s’est très bien passé et s’est fait avec simplicité (au niveau social, relations humaines). L’anticipation de la démarche a été le facteur clé de ce succès. 

Julia Auriault (avocate) : Cette transition a soulevé de nombreuses questions au sein de l’entreprise, comme : À partir de quand peut-on l’appeler « elle » sans la heurter ? Pour cette question, il a été dit que le collaborateur serait genré au féminin par l’ensemble de ses collègues dès qu’il en aura exprimé le souhait.

À noter : la transidentité désigne le fait pour une personne d’avoir une identité de genre différente de l’identité assignée à la naissance. L’identité de genre désigne le genre auquel une personne se sent appartenir.

Quel soutien peut trouver cette collaboratrice dans l’entreprise, après son changement de genre ?

 

Maria Paz Flores Mimica (psychologue) : Cette collaboratrice a déjà reçu un soutien important de la part de sa RH mais également de son équipe qui a sans problème intégré son choix. Les médecins du travail sont aussi un soutien important, malgré leur manque de formation dans ce domaine. Il est, en outre, important de préciser que les médecins doivent à tout prix éviter de pathologiser une transition, ce qui pourrait grandement heurter.

Sylvia Fenger (DRH) : Nous avons en effet fait tout notre possible pour lui rendre cette transition facile et naturelle au sein de l’entreprise. Par ailleurs, le référent harcèlement et agissements sexistes est également présent pour apporter du soutien.

 

Comment s’est fait l’accompagnement de la collaboratrice dans sa transition ?

 

Julia Auriault (avocate) : Nous avons identifié trois étapes qui décrivent cet accompagnement. La première, et la plus délicate, l’annonce du processus de transition, avec les premières questions qui se posent (comment gérer ?). La seconde étape est le mode d’accompagnement de l’entreprise (que faire au niveau des documents administratifs, du badge, de la carte de cantine…). Et enfin, comment accompagner le salarié pendant sa transition sans être trop intrusif, sans trop en faire.

 

Quels sont les outils juridiques à disposition de l’entreprise, et notamment du CSE, pour aider les salariés en transition de genre ? 

 

Emmanuelle Neau (secrétaire du CSE et déléguée syndicale) : Le CSE peut être amené à traiter du sujet du changement de sexe. À titre d’exemple, les activités sociales et culturelles (ASC) requièrent souvent de faire apparaître l’identité des salariés.

D’autres matières peuvent être impactées par un tel changement. C’est le cas des régimes de prévoyance – notamment le régime Maternité, ou encore en matière de contrôle Urssaf – pouvant interroger sur la modification de l’identité du bénéficiaire d’avantages du CSE. 

En l’absence de précision légale, la négociation collective semble être un support adéquat afin d’encadrer les situations de changement de sexe en entreprise. En effet, un accord d’entreprise ou un accord sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) peuvent permettre de définir une méthode d’accompagnement, un process pratique (RH, administratif …), etc. 

Denis Roth Fichet (Directeur régional aux droits des femmes et à l’égalité) : À mon sens, si ce sujet doit être traité par le biais d’un accord collectif, il devrait être intégré dans un accord englobant d’autres sujets. Vouloir établir un accord pour une seule personne peut être contre-productif : cela risquerait de mettre une forme de pression sur cette personne, voire de la stigmatiser.

Envisager un accompagnement individualisé avec le degré de confidentialité souhaité par l’intéressé(e) est, à mon avis, préférable.

Il convient de garder à l’esprit le risque éventuel de discrimination et de harcèlement.

Le référent contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes pourrait être un levier. À condition qu’il soit formé à ce sujet, il pourrait jouer un rôle de sensibilisation des équipes et de conseil. Mettre en place un échange direct entre lui et les Ressources Humaines pourrait permettre d’anticiper et de gérer les transitions de genre.

 

Comment s’est légalement passée la transition ?

 

Maria Paz Flores Mimica (psychologue) : C’est la partie qui nous a causé le plus de problèmes. En effet, l’entreprise doit-elle attendre que tout soit acté au niveau légal (registre civil) pour par exemple pouvoir modifier le prénom sur les documents officiels ? Ou peut-elle, dès que le collaborateur le souhaite, faire figurer le nouveau nom d’usage sur les bulletins de paie par exemple. L’ensemble peut paraître complexe mais le seul changement à réaliser est un changement d’état civil, mais celui-ci peut prendre plusieurs mois.

Julia Auriault (avocate) : C’est en effet la partie compliquée de la transition. En fait, le Code du Travail est complètement masculin, on parle du salarié, et jamais de la salariée, sauf quand il y a maternité. Alors, comment peut-on envisager d’accueillir un changement de sexe dans un Code du Travail qui ne considère pas les femmes. En effet, à ce jour, le Code du travail, ne pose aucune règle à propos des changements de genre en entreprise, c’est un sujet encore actuellement très peu établi.

Comment le changement s’est-il fait dans l’entreprise, au niveau des relations entre collègues, des comportements ont-ils changé ?

 

Sylvia Fenger (DRH) : Comme dit précédemment, tout s’est très bien passé, aussi bien avec les collègues de la collaboratrice, qu’avec ses clients. Pour contextualiser, le Groupe SPIE propose des services multi-techniques dans les domaines de l’énergie et des communications, qui sont de nos jours très peu féminisés. Nous craignions donc que ce changement suscite chez ses collègues des réactions inappropriées qui pourraient freiner l’accompagnement mis en place ou encore que certains se mettent à l’éviter, non pas par méchanceté, mais par crainte, par pudeur. Mais non, les relations sont restées les mêmes et nous en sommes satisfaits.

Julia Auriault (avocate) : Je dirai que l’identification dans l’entreprise se fait de différentes façons, des plus importantes aux plus insignifiantes, mais qui ont toutes leur importance pour la collaboratrice. Tout d’abord l’habillement, un sujet qui n’est pas encadré légalement, il existe en effet une liberté de s’habiller. Le prénom, qui est utilisé dès que le souhait est exprimé. Les modifications du nom sur le contrat de travail, le badge, la carte de cantine, mais aussi les espaces non-mixtes, tels que les vestiaires.

Emmanuelle Neau (secrétaire du CSE et déléguée syndicale) : Si la transidentité ne pose pas de question en soi, les aspects administratifs et l’accompagnement des équipes doivent tout de même être pris en compte.

Une certitude demeure : en discuter contribue nécessairement à faire évoluer la culture de l’entreprise. Ici, il ne s’agit pas de revendications, mais de faire progresser les mentalités à ce sujet. Il est possible d’établir un parallèle avec toutes les formes de discrimination et de racisme, exacerbées par une méconnaissance de l’autre.

Denis Roth Fichet (Directeur régional aux droits des femmes et à l’égalité) : En tant que directeur régional, je n’ai pas encore eu à connaître de ces questions. Il est certain que ces situations ne sont pas toujours simples ; elles rencontrent diverses résistances et stéréotypes, probablement liés à une méconnaissance de l’autre, malgré l’évolution de la société.

Une circulaire sur le changement de nom a d’ailleurs œuvré pour mettre fin à ces résistances (Circ. min. justice, 15 juin 2023, NOR : JUSC2309291C). 

Quelles informations communiquer aux salariés et à quels salariés ?

 

Sylvia Fenger (DRH) : Seul le département dans lequel travaille la collaboratrice a été informé, pas toute l’entreprise, c’était inutile. Par ailleurs, les clients ont eux aussi été informés du changement de sexe du collaborateur. Tous ont, sans aucuns problèmes, accepté cette transition et ce changement.

 

Comment pouvez-vous aider le salarié à accélérer les démarches auprès de l’état Civil ?

 

Maylis Carbajal (avocate) : Il me semble que le fait que la personne soit déjà connue dans l’entreprise sous sa nouvelle identité peut permettre au collaborateur d’appuyer sa démarche auprès de l’état civil. En effet, s’il explique que son entourage, ses amis, ses collègues et ses supérieurs utilisent couramment sa nouvelle identité, cela devrait aider à accélérer le processus administratif.

 

Propos recueillis par Delphine Julien-Paturle, juriste spécialisée en droit social dans Les Cahiers Lamy du CSE – n°250 – septembre 2024

Continuer la lecture

Tous nos articles