par Arnaud Pilloix
Usage dans le secteur sanitaire et social : l’agrément préalable est nécessaire ! (Cass. Soc. 21 novembre 2011)
En synthèse : la Cour de cassation conforte sa jurisprudence impliquant que tout avantage salarial, quelqu’en soit l’origine, « ne peut légalement prendre effet qu’après agrément ministériel » dans le secteur sanitaire et social à but non lucratif. Une telle position (qui vise à maîtriser les budgets), consacrée par la loi pour les accords collectifs et par la jurisprudence pour les engagements unilatéraux, est toutefois difficile (voir impossible) à appliquer aux usages d’entreprise, lesquels impliquent nécessairement une pratique préalable et répétées.
Afin de maîtriser les coûts de fonctionnement d’établissement dont les dépenses de fonctionnement sont en tout ou partie supportées par des fonds publics, l’application des accords collectifs est subordonnée à un agrément de l’autorité de tutelle. C’est le cas des établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif.
L’article L.314-6 dispose en effet : « Les conventions collectives de travail, conventions d’entreprise ou d’établissement et accords de retraite applicables aux salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, supportées, en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public, soit par des organismes de sécurité sociale, ne prennent effet qu’après agrément donné par le ministre compétent après avis d’une commission où sont représentés des élus locaux et dans des conditions fixées par voie réglementaire. »
Dans l’arrêt du 9 novembre 2011, la question posée à la Cour de cassation concernait l’application d’une telle disposition concernant un usage d’entreprise.
Rappelons qu’un usage constitue une pratique fixe, générale et constante au sein d’une entreprise, qui ne peut être remise en cause qu’en respectant une procédure particulière.
En l’espèce, une « prime de vie chère » avait été instituée au sein de l’association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et l’adolescence (ADSEA) de la Guadeloupe dans les années 1970 afin de favoriser le recrutement.
Au début des années 1990, le Conseil général de la Guadeloupe, autorité de tutelle, a décidé de ne plus attribuer que les fonds correspondant aux montants acquis par les salariés ayant jusqu’alors bénéficié de cet avantage.
Plusieurs salariés de l’ADSEA ont alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappels de salaires correspondant à un arriéré de « prime de vie chère ».
Pour faire droit à leur demande, la cour d’appel constate que le versement de la prime constitue un usage d’entreprise généralisé, constant et fixe, procédant de la volonté unilatérale de l’employeur, même s’il était admis qu’elle est financée par la puissance publique.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation en ces termes :
« Attendu que pour dire que les rappels de salaire correspondaient à un usage mis en oeuvre par l’ADSEA au bénéfice des salariés et devaient s’analyser en une prime de « vie chère » et condamner l’ADSEA de la Guadeloupe à verser à chacun des salariés l’intégralité des rappels de salaires et congés payés afférents, l’arrêt retient que, l’usage en question n’étant pas une norme conventionnelle, le moyen tiré de la nécessité d’un agrément ministériel pour valider l’usage litigieux doit être rejeté ;
Attendu cependant que dans les établissements privés gérant un service social ou médico-social à but non lucratif et dont les dépenses de fonctionnement sont supportées directement ou indirectement par une personne morale de droit public ou un organisme de sécurité sociale, un accord collectif à caractère salarial ne peut légalement prendre effet qu’après agrément ministériel ; que dans un tel système, l’usage doit être soumis aux mêmes conditions »
En l’espèce, l’avantage consacré par l’usage en cause était financé par la puissance publique. En l’absence d’agrément, les salariés n’étaient donc pas fondés à se prévaloir de cet usage pour réclamer un rappel de salaires.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a appliqué le même raisonnement s’agissant des accords d’entreprise appliqués unilatéralement ou encore d’engagements unilatéraux (Cass. Soc. 8 juin 2005, n° 02-46.465, et 7 mai 2008, n° 07-40.550).
Toutefois, un tel principe paraît difficile à mettre en œuvre pour des usages puisqu’un usage n’est qualifiable comme tel qu’à la condition qu’il constitue une pratique répétée.
Par contre, une telle jurisprudence pourrait permettre aux employeurs de revenir sur certains usages non agréés !
Affaire à suivre…
agrément ministériel • associations agréées • secteur sanitaire et social • usage