XS
SM
MD
LG
XL
Droit de la Protection Sociale
par Sébastien Millet

Les régimes complémentaires catégoriels de retraite et prévoyance, quels changements pour les entreprises et les salariés ?


Le décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012 vient de modifier en profondeur le paysage juridique des systèmes de protection sociale complémentaire pour les entreprises. [1]

Destiné à mettre un terme à une doctrine administrative jugée trop interventionniste [2],  celui-ci redéfinit notamment le caractère collectif des couvertures complémentaires de retraite ou prévoyance, dont dépend le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux applicables à la participation financière versée par l’employeur dans ces dispositifs [3].

Tirant les conséquences de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, le décret s’attaque aux régimes dits catégoriels (par opposition à ceux couvrant l’ensemble du personnel de l’entreprise de manière uniforme), en liant directement l’exigence du caractère collectif des garanties au respect de l’égalité de traitement. Si la possibilité pour l’employeur de ne couvrir qu’une catégorie de salariés [4] n’est pas remise en cause, cette faculté de catégorisation est désormais limitée par le respect de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, la catégorie doit être définie sur la base de critères objectifs, qui sont au nombre de cinq [5], à l’exclusion de toute autre référence ;
  • D’autre part, ce découpage ne doit pas être artificiel et doit selon le texte permettre de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées. C’est là l’apport principal du décret : en cas de régime catégoriel, le caractère collectif sera désormais apprécié de manière différenciée selon la garantie concernée (prévoyance, santé ou retraite supplémentaire). Afin de faciliter cette analyse [6] pour les branches et entreprises, le décret définit ici pour chaque type de garantie, le(s) critère(s) de catégorisation permettant à la couverture d’être présumée [7] couvrir l’ensemble des salariés placés dans une situation identique au regard des garanties mises en place. Si l’employeur souhaite s’en démarquer, il supportera alors la charge de la preuve et devra démontrer que la ou les catégories retenues (uniquement parmi celles visées dans le décret) permettent d’atteindre cet objectif. Cet exercice s’avère toutefois particulièrement délicat au vu de la jurisprudence rendue dans le cadre du contentieux de l’égalité de traitement. Rappelons que la différence de traitement doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence au regard de l’objet de l’avantage considéré [8]. En matière de différence fondée sur la catégorie professionnelle, la jurisprudence s’est certes quelque peu assouplie depuis 2011 [9], mais l’entreprise doit néanmoins se montrer prudente car au-delà du risque de redressement URSSAF, elle peut s’exposer à devoir verser en auto-assurance des prestations à des salariés qui n’auraient pas été couverts en violation de la règle d’égalité de traitement.

Plus généralement, ce décret va en pratique impacter de manière significative les différents types de couvertures, et tout particulièrement les garanties « santé », à plusieurs niveaux :

  • Par exemple, un régime complémentaire de frais de santé pourra éventuellement être modulé  s’agissant des garanties et/ou du financement entre cadres et non-cadres (au sens du régime AGIRC), mais à condition que l’ensemble du personnel soit couvert en santé, ce qui signifie qu’il ne pourra plus être réservé aux cadres comme cela peut parfois se pratiquer.
  • Les couvertures « santé » pourront continuer de prévoir une condition d’ancienneté pour l’accès aux garanties, mais dont la durée sera de 6 mois maximum (contre 12 auparavant tolérés par l’administration).
  • Lorsque le régime a été mis en place par voie de décision unilatérale de l’employeur (DUE), ce qui représente plus de 95% des couvertures « santé », les salariés employés sous CDD ne pourront plus être dispensés d’adhésion et de cotisation.

Cela illustre le fait que les entreprises vont perdre en souplesse et seront certainement amenées à revoir leurs budgets, s’agissant de garanties dont le coût ne cesse d’augmenter par ailleurs [10], ce qui risque de modifier leur politique sociale en matière de rémunérations différées.

Précisons à ce sujet que pour les couvertures existantes et déjà conformes au 11 janvier 2012, la mise en conformité –si elle s’avère nécessaire- pourra intervenir jusqu’au 31 décembre 2013. Compte tenu des études et pourparlers à mener en amont avec partenaires sociaux et organismes assureurs, les entreprises disposeront principalement de deux « fenêtres de tir » pour organiser l’adaptation de leurs supports juridiques, soit pour le 1er janvier 2013, soit pour le 1er janvier 2014. Toute mise en place de nouvelles garanties impose en revanche d’intégrer dès l’origine ce nouveau cadre réglementaire pour être éligible aux exonérations de cotisations de Sécurité sociale.


[1] Dispositions codifiées aux articles R242-1-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale

[2] Cf. article 17 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.

[3] Cf. CSS, L242-1 et CGI, art. 83 1° quater

[4] Il est toutefois regrettable que le cas des mandataires sociaux, visé par la précédente circulaire DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009 et non abordé dorénavant, ne soit pas clarifié.

[5] A savoir : cadres/ non-cadres selon le référentiel AGIRC ; tranches de rémunérations fixées en ARRCO/AGIRC ; catégories et classifications professionnelles de branche ou interprofessionnelles ; niveau de responsabilité, type de fonctions ou degré d’autonomie des salariés correspondant aux sous-catégories conventionnelles de branche ou interprofessionnelles ; catégories résultant d’usages en vigueur dans la profession.

[6] Il subsiste toutefois une relative insécurité juridique, dans l’attente d’une nouvelle position de l’administration, concernant le sort de la circulaire « cadre » précitée du 30 janvier 2009, dont plusieurs dispositions importantes n’ont pas été reprises dans le décret.

[7] Cf. CSS, R242-1-2 nouveau.

[8] Statistiquement, les différences de traitement sont généralement sanctionnées pour manque de pertinence.

[9] Cass. Soc. 8 juin 2011, n° 10-11933

[10] Au titre de la sinistralité mais également de mesures institutionnelles, telles que le relèvement au 1er octobre 2011 de la taxe sur les contrats d’assurance  santé dits solidaires et responsables (cf. CGI, art. 1001). Concernant la prévoyance, citons aussi la modification du calcul des indemnités journalières de la Sécurité sociale et le recul de l’âge légal de départ en retraite qui impacte les provisions des assureurs,



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

Contactez nous

Obtenez le meilleur conseil
en droit du travail pour votre entreprise

Obtenir du conseil

Confidentialité et réactivité
Nos avocats interviennent partout en France