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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Responsabilité pénale du chef d’entreprise en cas d’AT : illustrations


Nous traitons quotidiennement du problème : un accident du travail entraîne de multiples conséquences, pas seulement pour l’entreprise employant le(s) salarié(s) victime(s), mais également pour le chef d’entreprise, qui bien souvent se retrouve « en première ligne ».

Ainsi, en cas de poursuites devant le Tribunal correctionnel pour un délit non intentionnel (typiquement, infraction d’homicide ou de blessures involontaires), sa responsabilité est généralement recherchée en tant qu’auteur indirect du dommage.

Partant, il appartient au Ministère public de prouver (cf. présomption d’innocence) que le prévenu a commis une faute qualifiée (alors que pour l’auteur direct, une faute simple d’imprudence ou de négligence suffit).

Sur le papier, caractériser l’élément moral de l’infraction paraît donc relativement exigeant au regard du principe de légalité des délits et des peines.

En pratique, la tendance générale est à l’imputation au chef d’entreprise d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, ce qui est moindre sur l’échelle morale de gravité et donc plus facile à retenir que la violation manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (cf C. Pén., art. 121-3).

La faute caractérisée est donc au cœur des débats dans les prétoires et les décisions de justice.

Plusieurs arrêts rendus en 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation viennent illustrer ce sujet :

1ere affaire (Cass. Crim. 8 janv. 2013, n° 12-81102) : Un salarié, victime d’un écrasement alors qu’il travaillait seul au nettoyage des rouleaux d’entraînement d’un tapis roulant restés en mouvement et qui présentait des défauts de conformité, est découvert mort le lendemain, des suites d’une asphyxie.

La personne morale employeur et le chef d’entreprise sont poursuivis pour homicide involontaire pour avoir, par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, laissé travailler la victime sur une machine non pourvue de protections et comportant des boutons d’arrêt d’urgence inopérants.

Devant le Tribunal correctionnel, les prévenus sont toutefois relaxés au motif que les défauts de conformité incriminés étaient sans lien de causalité avec l’accident.

Le parquet fait appel ; la Chambre des appels correctionnels, après avoir délaissé la faute délibérée au profit de la faute caractérisée, confirme la relaxe du dirigeant, mais condamne la société.  La négligence du dirigeant est reconnue du fait qu’il n’avait pas veillé à l’application des principes généraux de prévention (C. Trav., L4121-2) et qu’il aurait dû définir et contrôler l’application effective des moyens de prévention adaptés à l’opération de maintenance envisagée et informer suffisamment et efficacement la victime, fût-elle expérimentée, de la nécessité de ne pas intervenir seule sur une machine en marche dépourvue de protections.

Elle est toutefois qualifiée de faute simple, insuffisamment grave pour atteindre le seuil de la faute caractérisée, ce qui est favorable au dirigeant et suffisamment inhabituel pour être relevé.

En revanche, cette faute simple du représentant de la société suffit à engager la responsabilité pénale de la personne morale (cf. C. Pénal, art. 121-2). La Cour de cassation confirme et rejette le pourvoi formé par la société à l’encontre sa condamnation.

 

2e affaire (Cass. Crim. 16 avril 2013, n° 12-83083) : Un salarié intérimaire est blessé à la main alors qu’il travaille sur une ensacheuse non conforme aux normes de sécurité.  L’entreprise utilisatrice et son Directeur général sont poursuivis en correctionnelle à un double titre, pour délit de blessures involontaires d’un part, et infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs d’autre part.

Ils sont condamnés en première instance. En appel, la Cour confirme la condamnation du dirigeant, retenant l’existence d’une faute caractérisée et un lien de causalité certain entre l’accumulation de ces fautes et l’accident.

Cela illustre le fait qu’une série de négligences, de par son accumulation, permet d’atteindre le seuil de la faute caractérisée. Les juges, dont le raisonnement est validé par la Cour de cassation, peuvent en déduire que le prévenu avait nécessairement connaissance du risque d’une particulière gravité auquel la victime était exposée.

En l’occurrence, la liste des éléments « à charge » contre le chef d’entreprise paraissait assez édifiante : absence de vérification et de contrôle de la machine depuis sa mise en service 15 ans auparavant ; défauts de conformité et absence de dispositif de protection suffisant interdisant l’accès aux organes en mouvement ; absence de compétence technique particulière de l’intérimaire ; absence de formation spécifique alors qu’il s’agissait d’un équipement dangereux ; situation de travail isolé sans supervision ; absence de document unique d’évaluation des risques professionnels. En outre, le dirigeant avait fait le choix malheureux de s’en remettre totalement à son chef d’atelier sans s’assurer que celui-ci respectait bien les règles de sécurité, ce qui en tant que tel ne pouvait bien entendu emporter transfert de responsabilité pénale. Or, la jurisprudence est constante sur le fait qu’il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte application effective des prescriptions légales et réglementaires visant à assurer la sécurité des personnels qu’il emploie, y compris les intérimaires.

 

3e affaire (Cass. Crim. 14 mai 2013, n° 12-81847) : un salarié est affecté à la réparation de la toiture d’un atelier et fait à cette occasion, faute d’être correctement sécurisé par sa ligne de vie, une chute de hauteur (7 mètres) dont il décède.

Le directeur du site est poursuivi pour double infraction d’homicide involontaire et à la réglementation sur la sécurité des travailleurs (précisons que s’agissant des infractions du Code pénal, toute personne peut être poursuivie, alors que seul le chef d’entreprise (« l’employeur ») ou son délégataire de pouvoirs peuvent l’être concernant le délit général de l’article L4741-1 du Code du travail).

La faute caractérisée est ici retenue au motif que le responsable du site n’a pas pris en compte le défaut de formation de la victime à la tâche demandée (absence de démonstration conduisant à une mauvaise compréhension et utilisation de l’EPI par le salarié)  et ne s’est pas assuré de l’application effective de consignes de sécurité données verbalement.

 

On le voit, cette appréciation de la faute caractérisée par les juges du fond est ainsi à géométrie variable et impose une très grande vigilance au quotidien sur le plan de la prévention et de la maîtrise des risques.

Cela d’autant qu’au stade du contentieux, les moyens de défense sont plus ou moins limités : comme le montrent ces affaires, il peut s’avérer difficile d’obtenir la reconnaissance d’une délégation de pouvoirs valable, et encore plus, d’une faute de la victime (celle-ci ne peut être exonératoire que s’il est démontré qu’elle a été la cause exclusive de l’accident, ce qui suppose bien entendu une absence totale de manquement du prévenu du point de vue de l’arbre des causes … ).

 

Pour aller plus loin 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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