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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Procédures d’information-consultation des représentants du personnel en matière de santé et sécurité : la nouvelle donne


La maîtrise des procédures d’information et consultation du CE et du CHSCT constitue un enjeu majeur en matière de conduite de projets de réorganisation d’entreprise. Le contentieux judiciaire actuel relatif aux réorganisations illustre l’importance qu’occupe aujourd’hui la question de santé et de sécurité, et plus généralement des conditions de travail.

Dans ce domaine, la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013 devrait conduire à des évolutions importantes dans les pratiques procédurales et les stratégies de déploiement de projets.

Sans remettre en cause les fondamentaux en matière d’information et de consultation (qui constituent deux approches à bien distinguer), la loi est venue néanmoins réaménager les rapports entre direction de l’entreprise et les représentants du personnel, ses « partenaires sociaux ».

 

1/ L’information collective
Tout d’abord, les entreprises vont devoir mettre en place une base de données économiques et sociale (BDES) visant à assurer l’information permanente des représentants du personnel. Il s’agit d’une évolution majeure visant à compiler dans un même support l’ensemble des informations communiquées de manière récurrente au comité d’entreprise.

Un décret n° 2013-1305 du 27 décembre 2013 vient d’en préciser les modalités.
Tout d’abord, précisons que sont concernées les entreprises d’au moins 50 salariés assujetties à l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise.

Afin de leur laisser un délai d’adaptation, la BDES devant être constituée à compter du 14 juin 2014 pour les entreprises de plus de 300 salariés (entrée en vigueur reportée au 14 juin 2015 pour les entreprises de moins de 300 salariés). A défaut de sanctions particulières en cas de manquement concernant la BDES, l’employeur s’expose à une action devant le juge des référés, voire à des poursuites pénales pour délit d’entrave. Mieux vaut donc prévoir de bien faire les choses.

La BDES devra être constituée au niveau de l’entreprise (données agrégées au niveau central, y compris lorsqu’il existe des établissements distincts). De manière facultative et complémentaire, un accord de groupe pourra prévoir la mise en place d’une base de données de groupe et en définir les modalités (accès aux membres du comité de groupe par exemple), mais sans pouvoir se substituer à la BDES obligatoire au niveau de chaque entité du groupe.

La BDES pourra être constituée sur support papier et/ou informatique, au choix de l’employeur.

Un cahier des charges minimum est imposé en termes de contenu quantitatif et qualitatif ; celui-ci étant variable selon le seuil d’effectif précité. En particulier, cette base devra notamment intégrer une rubrique « investissement social » rassemblant entre autres les informations relatives aux conditions de travail (la durée du travail dont travail à temps partiel et l’aménagement du temps de travail, mais également, pour les entreprises de 300 salariés et plus, l’exposition aux risques et aux facteurs de pénibilité, les ATMP, l’absentéisme, les dépenses en matière de sécurité). Une rubrique relative à la sous-traitance sera également obligatoire, et intègrera les données relatives à la sous-traitance utilisée par l’entreprise et celle réalisée par l’entreprise (C. Trav., art. R2323-1-3 et 4 nouveaux).

A noter qu’un accord collectif de branche d’entreprise ou de groupe pourra toujours enrichir le contenu de ces informations (cf. C. Trav., L2323-7-2). Bien qu’assez peu mobilisée dans les entreprises contrairement aux branches professionnelles, rappelons que la négociation collective peut toujours jouer un rôle important en constructif, tout particulièrement dans le domaine de la santé et sécurité au travail.

Afin d’assurer compréhension et anticipation, chaque thème doit être traité sur une période glissante de 6 ans : les informations devront ainsi remonter en arrière sur les 2 années précédentes (sauf en 2014 ou 2015 lors de la première année de mise en place de la base), plus l’année en cours et les 3 années à venir. Les données devront être chiffrées (pour les années à venir elles pourront cependant être exprimées en grandes tendances, sauf pour l’employeur à justifier d’une impossibilité liée à la nature des informations ou aux circonstances).

L’employeur aura l’obligation de réactualiser régulièrement le contenu de la base, a minima en respectant les périodicités prévues par le Code du travail en matière d’information périodique du comité d’entreprise. Les partenaires sociaux en seront tenus informés. Au plus tard, les informations récurrentes du comité d’entreprise devront être intégrées dans la BDES le 31 décembre 2016.

Pour assurer cette information permanente, la BDES sera accessible aux membres du CE (ou des membres des comités d’établissement et du CCE dans les entreprises à structure complexe), ou des délégués du personnel en cas de carence ; ainsi que par ailleurs, des membres du CHSCT et des délégués syndicaux.

Il revient à l’employeur de déterminer les modalités d’accès, d’utilisation et de consultation de la base (C. Trav., R2323-1-7 nouveau). Point important, ces modalités doivent être définies de telle manière qu’elles permettent au comité d’entreprise d’exercer utilement sa compétence. Le décret ne prévoit qu’un type de restriction, concernant la confidentialité des données mises à disposition. D’une manière générale, la confidentialité ne se présume pas et ne sera donc opposable aux personnes ayant accès à la base, que s’agissant des informations limitativement présentées comme telles par l’employeur, et uniquement pour la durée spécifiée. Cela nécessitera de procéder à un travail de sélection, sachant que selon la jurisprudence, l’obligation de confidentialité ne peut être générale et doit être justifiée au cas par cas pour permettre aux représentants de communiquer utilement auprès du personnel.

Plus généralement, la mise en place de cette base impose donc de définir au niveau de chaque entreprise un process.

A noter que dans le cadre de consultations ponctuelles, l’existence et la mise à jour de cette base ne dispensent pas l’employeur de communiquer en complément aux instances dont la consultation est requise (CE et CHSCT), l’ensemble des informations relatives à la mesure envisagée. Dans ce cadre, c’est la règle traditionnelle qui s’applique, à savoir l’exigence d’une communication d’informations précises et écrites, assortie d’un délai d’examen suffisant.

 

2/ La consultation collective
En matière de procédures consultatives, la donne évolue également, l’objectif étant de mieux canaliser dans le temps l’exercice des attributions consultatives des comités d’entreprise.

Les consultations se trouvent dorénavant enserrées dans de nouveaux délais impératifs.
La loi permet aux parties de définir dans le cadre d’un accord global conclu avec la majorité des élus titulaires du comité d’entreprise les délais applicables à la procédure de consultation du comité d’entreprise, sans pouvoir être inférieurs à 15 jours. Mis à part les cas dans lesquels les textes prévoient des délais spéciaux, la quasi-totalité des cas de consultation est concernée (tels que par exemple en matière de projet impactant les conditions de travail).

A défaut d’accord, plusieurs délais sont prévus de manière supplétive, à l’issue desquels en l’absence d’avis rendu par le comité d’entreprise, celui-ci sera réputé avoir rendu un avis négatif, permettant alors à l’employeur de poursuivre la mise en œuvre de son projet (C. Trav., L2323-3).

Ce délai est, dans le cas général, fixé à 1 mois (le décret retient ici un délai plus long que celui de 15 jours prévu par l’ANI du 13 janvier 2013 et repris par la loi du 14 juin 2013).
En cas de recours par le CE à un expert-comptable ou à un expert technique, il est de 2 mois. Précisons que dans ces hypothèses, le décret prévoit (à défaut d’accord) des procédures permettant d’accélérer et de mieux encadrer les délais d’expertise.

Concernant les projets concernant la santé, la sécurité ou les conditions de travail, ce délai est rallongé : 3 trois mois en cas de saisine d’un ou plusieurs CHSCT d’établissement (ce que l’on peut interpréter comme visant le cas de saisine à l’initiative du comité d’entreprise en vertu des articles L2323-28 et L4612-13 du Code du travail). Dans ce cas, le CHSCT devra transmettre son avis au plus tard 7 jours avant l’expiration du délai imparti au CE, à charge pour l’employeur de planifier la procédure en conséquence.

Le délai passe enfin à 4 mois en cas de projet commun à plusieurs établissements impliquant l’intervention de l’instance de coordination des CHSCT (un dispositif analogue d’avis réputé négatif existe concernant cette nouvelle instance, mais avec des délais plus brefs – cf. C. Trav., L4616-3 et R4616-8).

Point important, ces délais courent ici à compter du moment où l’employeur a communiqué les informations ou mis à disposition ces informations dans la BDES, ce qui nécessite une traçabilité (ils ne courent donc ni à compter de la convocation ou de l’établissement de l’ordre du jour).

A défaut d’avis rendu au terme de ces délais, le fait que l’instance soit réputée avoir été consultée vaudra-t-il présomption de régularité de la consultation ? Sans doute la jurisprudence sera-t-elle être amenée à connaître de cette question. Précisions néanmoins que si les membres du CE s’estiment insuffisamment informés, ils ont la faculté de saisir le Président du Tribunal de Grande Instance selon une procédure accélérée, celui-ci ayant la faculté de proroger le délai de consultation en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé  (cf. C. Trav. L2323-4). Il serait dès lors logique que la procédure soit purgée de tout vice si les personnes ayant intérêt à agir n’ont pas saisi en temps utile le juge en la forme des référés (resterait toutefois le risque du délit d’entrave).

A cet égard, la jurisprudence a par exemple récemment rappelé que si la communication peut être synthétique, elle doit néanmoins être précise sur les tenants et aboutissants (un document sommaire de quelques pages sous format PowerPoint remis au CHSCT et n’analysant pas la question des incidences d’un projet de réorganisation sur les conditions de travail peut être ainsi insuffisant : Cass. Soc. 25 septembre 2013, n° 12-21747).

En résumé, ces nouvelles dispositions visent ainsi à permettre d’améliorer la transparence de l’information économique des représentants du personnel, tout en permettant de limiter le risque de situations de blocage. Il est en effet fréquent en pratique que des procédures consultatives ou d’expertises soient instrumentalisées au prétextant d’une insuffisance d’information.

Le décret vient ainsi remédier à une situation tout à fait délicate pour l’employeur, d’autant qu’il n’existait pas de véritable « jurisprudence » ayant admis qu’un refus de rendre un avis à caractère dilatoire puisse valoir avis négatif et autoriser l’employeur à passer outre.

L’amélioration de la sécurité juridique des procédures est opportune et permettra de favoriser un meilleur déroulement des projets de réorganisation.

Encore faut-il qu’au stade de l’élaboration du projet, aucun aspect ne soit négligé, le thème des conditions de travail devant être abordé et évalué au même titre que les aspects commerciaux, organisationnels, etc. de l’opération …

 

Article rédigé pour PREVENTICA : www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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